10/09/2012 tlaxcala-int.org  19min #71627

 Manifs à Tel-Aviv : Non à la guerre contre l'iran

La marche folle de l'histoire

 Uri Avnery

Rien ne saurait être plus angoissant que la pensée que ce duo - Ben­jamin Netanyahou et Ehoud Barak - est en situation de déclencher une guerre dont les dimen­sions et les consé­quences sont imprévisibles.

Ce n'est pas angoissant seulement en raison de leurs obses­sions idéo­lo­giques et de leurs men­ta­lités, mais aussi en raison de leur niveau d'intelligence.

Le mois dernier nous en a donné un petit exemple. Ce n'était en soi qu'un événement pas­sager. Mais comme illus­tration de leurs capa­cités de prendre des déci­sions, c'était assez effrayant.

L'HABITUELLE confé­rence du Mou­vement des Nations non-alignées devait se tenir à Téhéran. Cent vingt Etats avaient promis d'y par­ti­ciper, dont beaucoup étaient repré­sentés par leur pré­sident ou leur Premier ministre.

C'était une mau­vaise nou­velle pour le gou­ver­nement israélien qui avait consacré beaucoup de son énergie au cours de trois der­nières années à des efforts acharnés pour isoler l'Iran - lequel Iran ne consa­crait pas moins d'efforts acharnés à isoler Israël.

Comme si le lieu de la confé­rence ne suf­fisait pas, le Secré­taire général des Nations unies, Ban Ki-moon, annonça qu'il y par­ti­ci­perait également. Et comme si cela n'était pas encore assez, le nouveau pré­sident de l'Égypte, Mohamed Morsi, avait aussi promis de venir.

Netanyahou se trouva en face d'un problème : comment réagir ?

SI UN expert avisé avait été consulté, il aurait peut-être demandé : pourquoi faut-il vraiment réagir ?

Le Mou­vement des Non-alignés est une coquille vide. Il a été créé (ou « fondé ») il y a 51 ans, en pleine Guerre Froide, par Néhru d'Inde, Tito de You­go­slavie, Sukarno d'Indonésie et Abd-el-Nasser d'Égypte. Cent vingt nations les ont rejoints. Ils vou­laient ouvrir une voie entre les blocs amé­ricain et soviétique.

Depuis lors, le contexte a com­plè­tement changé. Les Sovié­tiques ont disparu et les États-Unis ne sont plus ce qu'ils étaient. Tito, Nehru, Nasser et Sukarno sont tous morts. Les Non-Alignés n'ont plus aucune fonction réelle. Mais il est plus facile de créer une orga­ni­sation inter­na­tionale que de la sup­primer. Son secré­tariat fournit des emplois, ses confé­rences offrent des occa­sions de photos, les diri­geants du monde aiment à voyager et à bavarder.

Si Netanyahou s'était tenu tran­quille, il y a des chances que les médias mon­diaux auraient ignoré le non-évènement. CNN et Alja­zeera y auraient peut-être consacré trois bonnes minutes, par cour­toisie, et puis c'est tout.

Mais pour Netanyahou, se tenir tran­quille n'est pas une option. C'est pourquoi il a fait quelque chose d'extrêmement insensé : il a dit à Ban Ki-moon de ne pas aller à Téhéran. Pour être plus précis : il lui a intimé l'ordre de ne pas y aller.

L'expert avisé évoqué plus haut - s'il existait - aurait dit à Netanyahou : ne fais pas cela ! Les Non-alignés ras­semblent plus de 60 des membres des Nations unies. Ban Ki-moon sou­haite se faire réélire le moment venu, et il ne va pas faire un affront à 120 élec­teurs, tout comme vous ne vou­driez pas faire un affront à 80 membres de la Knesset. Ses pré­dé­ces­seurs ont assisté à toutes les confé­rences passées. Il ne peut pas refuser main­tenant - surtout pas après que vous lui en ayez publi­quement donné l'ordre.

Et puis il y avait Morsi. Que faire le concernant ?

Si un autre expert avisé, cette fois à propos de l'Égypte, avait été interrogé, il aurait donné pour l'essentiel le même conseil : laissez-le tranquille.

L'Égypte sou­haite retrouver son rôle de leader du monde arabe pour être un acteur de la scène inter­na­tionale. Le nouveau Pré­sident, membre des Frères Musulmans, ne vou­drait cer­tai­nement pas qu'on le voie céder aux pres­sions israéliennes.

Alors, selon l'adage hébreu, mieux vaut avaler une gre­nouille - même deux gre­nouilles - que de faire quelque chose d'insensé.

MAIS NETANYAHOU serait inca­pable de suivre un tel conseil. Ce serait contraire à sa nature. Du coup, lui et ses adjoints ont déclaré bruyamment - très bruyamment - que les 120 pays par­ti­ci­pants sou­tiennent les efforts de l'Iran pour détruire Israël, et que Ban et Morsi sont en train d'encourager un second Holocauste.

Au lieu d'isoler l'Iran, Netanyahou a aidé l'Iran à isoler Israël.

Et cela d'autant plus que Ban comme Morsi ont utilisé la scène de Téhéran pour cri­tiquer sévè­rement le diri­geant iranien et ses alliés syriens. Ban a condamné la négation de l'Holocauste par Ahma­di­nejad tout comme l'affirmation de ses espoirs de voir dis­pa­raître l'"entité sio­niste". Morsi est allé encore plus loin en cri­ti­quant sévè­rement le régime meur­trier syrien, le prin­cipal allié de l'Iran.

(Ce dis­cours a été diffusé en direct par la télé­vision ira­nienne. Le tra­ducteur a suscité l'admiration générale pour sa pré­sence d'esprit. À chaque fois que Morsi disait en arabe "Syrie", le tra­ducteur disait en farsi "Bahrein".)

TOUT CET épisode n'est important que dans la mesure où il illustre l'incroyable bêtise de Netanyahou et de ses conseillers (tous choisis par sa femme Sarah, qui est sans peine la per­sonne la plus impo­pu­laire du pays). Ils semblent être coupés du monde réel et vivre dans un monde imaginé par eux.

Dans ce monde ima­gi­naire, Israël est le centre de l'univers, et Netanyahou peut donner des ordres aux diri­geants des nations, de Barack Obama et Angela Merkel à Mohamed Morsi et Ban Ki-moon.

Eh bien, nous ne sommes pas le centre du monde. Nous avons beaucoup d'influence, que nous devons en partie à notre his­toire. Nous sommes une puis­sance régionale, très au-delà de notre taille réelle. Mais, pour être réel­lement efficace, nous avons besoin d'alliés, d'une répu­tation morale et du soutien de l'opinion publique inter­na­tionale, tout comme n'importe qui d'autre. À défaut, Le projet favori de Netanyahou - s'assurer une place dans les livres d'histoire en atta­quant l'Iran - ne peut être mené à bien.

Je sais que beaucoup de sourcils se sont levés lorsque j'ai déclaré caté­go­ri­quement que ni Israël ni les États-Unis n'attaqueraient l'Iran. Il sem­blait que j'étais en train de risquer ma répu­tation - dans le contexte - alors que Netanyahou et Barak étaient en train de pré­parer l'inévitable expé­dition de bom­bar­dement. Lorsque le dis­cours sur l'attaque immi­nente atteignit des sommets, le petit nombre de ceux qui me veulent du bien furent sin­cè­rement inquiets.

Pourtant, au cours des quelques der­niers jours, un chan­gement de ton presque imper­cep­tible a eu lieu ici. Netanyahou a déclaré que la "famille des nations" doit définir une "ligne rouge" et un délai pour stopper l'effort d'armement nucléaire de l'Iran.

Traduit en hébreu simple : il n'y aura pas d'attaque israé­lienne, sauf avec l'accord des Amé­ri­cains. Un tel accord est impos­sible avant les pro­chaines élec­tions amé­ri­caines. Il est aussi hau­tement impro­bable après pour les raisons que j'ai essayé d'exprimer. Les contextes géo­gra­phique, mili­taire, poli­tique et écono­mique le rendent impos­sible. La diplo­matie s'impose. Il se pourrait qu'un com­promis fondé sur les intérêts et le respect mutuels soit la meilleure issue.

Un com­men­tateur israélien a fait l'intéressante sug­gestion que le Pré­sident des États-Unis - après les élec­tions - se rende per­son­nel­lement à Téhéran pour s'adresser au peuple iranien. Cela n'est pas plus impro­bable que la visite his­to­rique de Richard Nixon en Chine. J'ajouterais la sug­gestion que dans la foulée le Pré­sident vienne, aussi, à Jéru­salem pour sceller le compromis.

IL Y A UN AN et demi, j'avais aussi suggéré que le Prin­temps arabe serait bon pour Israël.

À l'époque, on consi­dérait de façon générale en Israël, et dans l'ensemble du monde occi­dental, que la démo­cratie arabe conduirait à une montée de l'islam poli­tique et que cela repré­sen­terait un danger mortel pour Israël. La pre­mière partie de cette hypo­thèse était juste, la seconde erronée.

La dia­bo­li­sation obs­cu­ran­tiste de l'islam peut s'avérer dan­ge­reu­sement trom­peuse. La pré­sen­tation de l'islam comme une religion meur­trière, fon­da­men­ta­lement anti­sémite, peut entraîner des consé­quences des­truc­trices. Par chance, les pires pré­vi­sions sont démenties tous les jours.

Dans la patrie du Réveil Arabe, la Tunisie, un régime isla­mique modéré a pris racine. En Libye, où les com­men­ta­teurs pré­voyaient le chaos et une guerre civile per­ma­nente entre les tribus, les chances de sta­bilité aug­mentent. Il en va de même pour les chances de voir les isla­mistes jouer un rôle positif dans la Syrie d'après Assad.

Et ce qui est le plus important, les Frères musulmans en Égypte font preuve d'une pru­dence exem­plaire. Six mille ans de sagesse égyp­tienne exercent un effet de modé­ration sur les Frères, y compris sur le Frère Morsi. Au cours de ses quelques semaines au pouvoir, il a déjà fait preuve d'une aptitude remar­quable à des com­promis avec des intérêts diver­gents - avec les libéraux laïques et le com­man­dement de l'armée dans son propre pays, avec les États-Unis, et même avec Israël. Il est main­tenant engagé dans une action pour calmer les choses avec les Bédouins du Sinaï, prenant en consi­dé­ration leurs griefs (fondés) et demandant d'arrêter les opé­ra­tions militaires.

Il est, natu­rel­lement, beaucoup trop tôt pour le dire, mais je crois qu'un monde arabe rajeuni, dans lequel des forces isla­miques modérées jouent un rôle important (comme elles le font en Turquie), peut constituer un contexte favo­rable à la paix israélo-arabe. Si nous sou­haitons la paix. Pour que cela arrive, nous devons sortir du monde ima­gi­naire de Netanyahou pour revenir au monde réel, le monde pas­sionnant, évolutif, sti­mulant du 21e siècle.

Sinon nous ne ferons qu'ajouter un nouveau cha­pitre ter­ri­fiant au brillant ouvrage de Barbara Tuchman (1912−1989), "The March of Folly" [titre de la tra­duction fran­çaise : "La Marche folle de l'histoire" ndt]


Courtesy of  AFPS
Source:  zope.gush-shalom.org
Publication date of original article: 07/09/2012
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