Jonathan Cook
Jonathan Cook estime que le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, et ses partisans croient pouvoir « sauvegarder la légitimité de l'état juif - et tuer tout espoir de voir créér un Etat palestinien » en proscrivant les manifestations non-violentes contre l'occupation israélienne des territoires palestiniens et contre le siège de Gaza, ne laissant subsister que la violence comme mode résistance.
C'est un législateur arabe qui a présenté l'argument le plus convaincant pendant le vote de la loi interdisant le boycott au parlement israélien, loi qui proscrit les appels au boycott d'Israël ou de ses colonies dans les territoires occupés. Ahmed Tibi a demandé : « qu'est-ce qu'un militant de la paix ou un Palestinien a l'autorisation de faire pour s'opposer à l'occupation ? Acceptez-vous quelque action que ce soit ? »
La loi sur le boycott est la dernière d'une série de lois toujours plus draconiennes proposées par l'extrême droite. Le but de la législation est d'intimider les citoyens israéliens, juifs et palestiniens, qui n'ont pas encore cédé devant la mafia majoritaire.
Attendez-vous dans les jours et les semaines à voir un projet de loi empêchant l'activité des organisations israéliennes de défense des droits humains qui s'efforcent de protéger les Palestiniens dans les territoires occupés contre les abus de l'armée et des colons israéliens ; il y aura aussi un projet de loi mettant en place un comité parlementaire, dirigé par l'extrême droite, doté d'un pouvoir de veto pour les nominations à la cour suprême. La cour est le seul rempart, pourtant déjà affaibli, contre la puissance absolue de la droite.
Tournant décisif dans l'assaut contre les droits civiques
La loi sur le boycott, soutenue par le gouvernement de Benjamin Netanyahu, marque un tournant dans l'assaut législatif à deux égards.
D'abord, elle fait sauter la clef de voûte de tout système démocratique : le droit à la liberté d'expression. D'après la nouvelle loi, il est illégal pour les Israéliens et les Palestiniens de préconiser un programme politique non violent - le boycott - pour contrer la montée en puissance d'un demi-million de colons juifs vivant sur les terres palestiniennes volées.
Comme le fait remarquer le commentateur israélien Gideon Levy, les vannes sont maintenant ouvertes : « Demain on interdira les appels à la fin de l'occupation ou [en faveur] de la fraternité entre juifs et Arabes. »
Ce qui est également préoccupant est que la loi institue un nouveau type d'infraction, à savoir civile plutôt que criminelle. L'État n'entamera pas d'actions en justice. Au lieu de cela, l'application de la loi sera confiée aux colons et à leurs avocats. Tout qui soutient le boycott peut être poursuivi en dommages et intérêts par les colons eux-mêmes qui - chose à nouveau unique - n'ont pas besoin de prouver les dommages qu'ils auraient subis.
En vertu de cette loi, on ne fera même par l'honneur aux adversaires de l'occupation de subir des peines de prison ni d'avoir l'occasion de devenir des prisonniers de conscience. En revanche, ils seront tranquillement ruinés par des actions en justice privées, leurs capitaux seront saisis, soit pour couvrir leurs frais d'avocats ou à titre de dommages et intérêts punitifs.
Les avocats des droits de l'homme précisent qu'il n'y a aucune loi similaire n'importe où dans le monde démocratique. Même Eyal Yinon, conseiller juridique naturellement conservateur au parlement, a caractérisé la loi comme mettant fin à un« débat qui a été au coeur de la discussion politique en Israël depuis plus de 40 années ».
Mais plus que la moitié des Israéliens la soutiennent et 31 pour cent seulement s'y opposent.
Délusion d'une vision du monde empreinte de l'apitoiement sur soi
Dignité-Al Karama
Cette vision du monde empreinte de délusion et de pitié de soi a été très bien illustrée le mois dernier par un petit clip publicitaire fabriqué et probablement financé par le ministère israélien de la hasbara (propagande). La scène se déroule dans le cabinet d'un psychiatre.
Une jeune femme traumatisée déchiffre les images cachées dans le célèbre test de Rorschach. En voyant les taches d'encre, sa panique et sa colère vont augmentant. Progressivement, nous nous rendons compte, qu'elle se représente l'Israël moderne vulnérable, abandonné de ses amis et toujours profondément choqué par l'attaque contre ses commandos de la force navale par les passagers « terroristes » à bord de la flottille d'assistance pour Gaza l'année dernière.
Aveugle à la réalité -à savoir que les bateaux essayaient de briser le blocus israélien punissant Gaza, que les commandos étaient illégalement montés à bord des bateaux dans les eaux internationales et qu'ils avaient exécuté neuf militants- Miss Israël rappelle en larmes que le monde entier « essaye toujours de nos tourmenter et de nous nuire sans raison ». Finalement elle fulmine « qu'est-ce voulez ? Qu'Israël disparaisse de la carte ? »
La vidéo -diffusée sous le slogan « arrêtez les provocations contre Israël » - faisait partie d'une campagne visant à discréditer la récente nouvelle flottille en partance de Grèce, flottille qui a été abandonnée après que les autorités grecques, sous la pression des Israéliens, eurent refusé de la laisser appareiller vers Gaza.
La mentalité de siège israélienne a refait surface quelques jours plus tard lorsque des militants internationaux ont organisé un autre événement de solidarité-appelée la « flytilla". Par centaines, ils ont essayé de se rendre en Israël le même jour et de déclarer leur intention de se rendre en Cisjordanie. Le but était de montrer qu'Israël contrôle et restreint sévèrement l'accès aux territoires occupés et aux Palestiniens.
À l'appui de l'argument des militants, Israël a menacé les compagnies aériennes de représailles si elles transportaient les militants et des centaines de soldats ont été dépêchés à l'aéroport Ben Gourion pour accueillir les arrivants. Quelque 150 pacifistes qui sont arrivés en Israël ont été arrêtés immédiatement après l'atterrissage.
En écho aux élucubrations de la femme dans la vidéo, le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a dénoncé les différentes flottilles comme « refusant à Israël le droit d'exister » et menaçant sa sécurité..
En fait, l'intensification de l'activité des flottilles reflète non pas une attaque contre Israël mais la preuve fournie par des groupes internationaux qu'Israël réussit à isoler du monde les petites superficies de territoires occupés restant aux Palestiniens. Les flottilles constituent une rébellion contre la ghettoïsation rapide des Palestiniens.
Bien que les commentaires de Netanyahu soient empreints de délusion, il y a peut-être une méthode à la folie de la loi sur le boycott et à la réaction hystérique devant les flottilles.
Comme Tibi le précise, ces initiatives ne laissent aucune place à l'opposition non-violente à l'occupation. Arundhati Roy, l'auteur indien primé, a noté que la non-violence est essentiellement « une pièce de théâtre. Elle a besoin d'un public. Que pouvez-vous faire sans spectateurs ? »
Netanyahu et la droite israélienne le comprennent. Ils démantèlent soigneusement chaque plate-forme sur laquelle les Israéliens dissidents, les Palestiniens et les militants internationaux espèrent présenter leurs protestations. Ils rendent impossible l'organisation d'une résistance conjointe pacifique et non-violente, que ce soit sous forme de boycott ou de visites de solidarité. La seule solution qui reste est la violence.
Est-ce là ce que veut la droite israélienne estimant que cela confirmera pour les Israéliens leur fantaisie paranoïde et justifiera aux yeux du monde son enracinement dans l'occupation ?
C'est ce que Netanyahu semble croire, à savoir qu'en produisant la terreur qu il prétend essayer de vaincre,il peut sauvegarder la légitimité de l'état juif - et détruire tout espoir de création d'un État palestinien.
* Jonathan Cook est un écrivain et un journaliste basé à Nazareth. Ses derniers livres sont "Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East" (Pluto Press) et "Disappearing Palestine : Israel's Experiments in Human Despair" (Zed Books). Son site web est www.jkcook.net.
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