Par Tom Eley
16 mars 2011
Le sénat du Wisconsin qui est contrôlé par les Républicains a voté mercredi soir une loi dépouillant les fonctionnaires de leurs droits de négocier une convention collective et les obligeant à payer beaucoup plus pour l'assurance santé et la retraite. La loi a été adoptée malgré l'absence de 14 sénateurs démocrates qui avaient fui l'Etat, privant juridiquement les Républicains de quorum et de la majorité requise des deux-tiers pour entamer la procédure de vote.
La loi devrait être votée jeudi à l'assemblée de l'Etat de Wisconsin et promulguée par le gouverneur Scott Walker d'ici la fin de la semaine.
Les Républicains ont fait valoir un fondement juridique pour la démarche en retirant provisoirement du soi-disant « projet de loi de réparation budgétaire » ses éléments fiscaux. Ce faisant, les Républicains ont dit que la législation n'était plus un projet de loi de finance et donc nullement soumise au quorum requis. C'était un moment de mensonge évident pour Walker et les dirigeants républicains du sénat qui, dans chaque déclaration publique, avaient assuré que l'attaque contre les droits de négociation salariale était du ressort fiscal.
Le projet de loi a été adopté, sans discussion ou débat, vers 18 heures 30 par une commission spéciale hâtivement formée qui se réunit normalement pour régler des divergences entre des projets de loi concurrents.
Les manifestants mercredi soir devant le bâtiment du Capitole de Wisconsin
« Ce soir, le sénat adoptera les dispositions du projet de loi de réparation budgétaire susceptibles d'être votés avec les 19 membres [présents], » a dit dans un commentaire le sénateur Scott Fitzgerald, le président du groupe républicain à l'annonce de la décision.
Le vote a été une violation flagrante de la Loi de la Liberté de réunion au Wisconsin qui stipule que toute réunion publique doit faire l'objet d'une déclaration publique « 24 heures avant le début de telles réunions à moins que, pour des raisons valables, une telle déclaration soit impossible ou peu pratique. »
Les manifestants à l'intérieur du bâtiment du Capitole
Des milliers de personnes ont afflué vers le Capitole à l'annonce de l'adoption du projet de loi. La foule s'est ruée vers les portes du bâtiment du Capitole en criant « vous êtes des lâches » et « laissez nous entrer. » Le slogan « grève générale ! » a résonné à l'intérieur et à l'extérieur du bâtiment.
Un intervenant du Socialist Equality Party parle à la foule à l'intérieur du bâtiment du Capitole
Une équipe du Socialist Equality Party (SEP, Parti de l'Egalité socialiste, USA) était présente sur les lieux. Andre Damon, journaliste du World Socialist Web Site, a pu parler à des milliers de manifestants tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du bâtiment du Capitole. Il a appelé à la formation de comités indépendants sur les lieux de travail afin de planifier une grève générale et faire partir Walker. Ces revendications ont été accueillies avec enthousiasme par les travailleurs présents. (Voir : « Walker doit partir! Grève générale au Wisconsin! »)
Les responsables syndicaux et leurs partisans ont aussi essayé de s'adresser à la manifestation spontanée, dont John Nichols du journal The Nation. Ils ont désespérément cherché à nourrir les illusions dans le Parti démocrate en louant les agissements des « Wisconsin 14 » qui avaient fui l'Etat de Wisconsin.
En fait, l'adoption du projet de loi révèle les conséquences de l'assujettissement de la lutte de masse des travailleurs et des jeunes de Wisconsin au Parti démocrate et aux syndicats. Depuis le début, la fuite des sénateurs démocrates dans l'Illinois avait pour but d'arracher l'initiative des mains des employés du public, des étudiants et des enseignants qui avaient les jours précédents lancé une vague de grève « d'arrêt de maladie » (« sick-in ») contre le projet de loi en impliquant des dizaines de milliers d'entre eux.
La manoeuvre juridique des Républicains a pris les Démocrates par surprise. Les sénateurs démocrates croyaient que leurs discussions avec Walker étaient à un stade avancé pour pouvoir amoindrir le coup contre les finances des syndicats tout en maintenant intacte la réduction des prestations sociales et des droits des travailleurs sur le lieu de travail. Des échanges de courriels entre le bureau de Walker et des sénateurs démocrates, que le gouverneur a révélés à la presse, ont laissé entrevoir qu'un accord était sur le point de se faire qui aurait nécessité, entre autres, des élections pour la reconnaissance automatique des syndicats tous les trois ans au lieu de chaque année. Les Démocrates espéraient que ceci fournirait un certain alibi politique à leur capitulation - qui était imminente selon plusieurs articles de presse.
Hier encore, le sénateur Bob Jauch, destinataire de ces courriels, a salué l'échange de points de vue comme étant « le type de point de départ que l'on peut avoir pour arriver à un compromis. » L'ensemble de la stratégie des Démocrates et des syndicats - selon laquelle des Républicains soi-disant « hésitants » pourraient être influencés sous la pression - a été démasquée. Les Républicains étaient bien plus déterminés que les Démocrates de « Wisconsin 14 » qui en principe ont toujours accepté le projet de loi, en ne se distinguant que sur la question de priver les syndicats du revenu des cotisations.
Après l'adoption du projet de loi au sénat de l'Etat, les efforts entrepris pour renforcer les illusions dans les Démocrates seront canalisés vers la campagne des primaires visant un certain nombre de sénateurs républicains. Quelle que soit l'issue de ces élections, cela n'aura aucune incidence pour contrer l'assaut contre les travailleurs prévu dans le « projet de loi de réparation budgétaire » de Walker ou contre son budget draconien pour les deux prochaines années qui réduit drastiquement Medicaid et l'éducation publique, en préparant la privatisation de l'université de Wisconsin.
Kim
Le Duluth News Tribune a rapporté qu'en réponse au vote, Jauch a « encouragé des adversaires au projet de loi pour qu'ils intensifient leurs efforts pour un rappel des législateurs qui l'ont soutenu, » en ajoutant que « personnellement, il n'approuverait pas» une grève générale. « Vous n'allez pas me pousser dans ce sens, » a-t-il dit.
Le WSWS a parlé à quelques personnes qui s'étaient rassemblées mercredi soir devant le Capitole. Kim, professeur d'art, a dit, « Il n'y aura bientôt plus d'enseignement d'art et de musique à cause de ce budget. »
Quant au rôle du Parti démocrate, Kim a dit, « Les Démocrates devaient savoir que ce que Walker a fait était une possibilité. Il avait un bâton et il n'a cessé de nous cogner dessus. Il a cassé le contrat social. »
Beth
Les enseignants ont fait grève pendant quatre jours, a-t-elle dit. « Nous sommes retournés à l'école en pensant qu'on allait trouver une solution. J'ai le sentiment qu'on m'a piétiné le coeur. »
Beth, une ingénieur de système-réseau, chargée de la résolution des problèmes, était d'accord. « Voilà à quoi ressemble la ploutocratie. C'est le capitalisme extrême. Ils me prennent mon argent pour payer Wall Street. »
« Ils veulent que tous les bons travailleurs partent pour pouvoir dire qu'ils n'ont pas réussi et pour les privatiser. Je suis pour une grève générale. Nous ne pouvons pas accepter cela. »
(Article original paru le 10 mars 2011)