Gouvernant en tant que traîtres opportunistes politiques, leurs moments « Moubarak » les attendent, peut-être plus tôt qu'ils l'imaginent pour avoir exploité et trahi leur propre peuple, et notamment agressé les manifestants non violents.
Stefen Lendman
Manifestation du 5 février à Ramallah
(AP)
Malgré l' interdiction par les dirigeants de l'Autorité palestinienne (AP) de toute manifestation anti-Moubarak, des centaines de Palestiniens se sont rassemblées en soutien aux Égyptiens.
Le 5 février, le journaliste Khaled Abu Toameh titrait dans le Jerusalem Post, « Cent manifestants à Ramallah en soutien aux Égyptiens ».
Défilant à Ramallah avec des drapeaux égyptiens, ils soutiennent publiquement les Égyptiens « pour la première fois depuis le début de leur insurrection... » écrit Toameh. Une autre manitestation à Ramallah a suivi, ainsi qu'une autre à Bethléhem.
Le titre de l'article de Toameh du 2 février montrait l'autre face, « L'Autorité palestinienne lance une manifestation pro-Moubarak à Ramallah », l'article dénonçant Mohamed El Baradei comme « agent de la CIA ».
Le 4 février, le Comité populaire contre l'occupation israélienne publiait un communiqué de presse :
« La nation arabe égyptienne... Nous saluons cette grande nation arabe, nos frères. C'est le salut de la liberté qu'adresse le peuple de Palestine qui combat depuis des décennies pour la liberté et l'indépendance, et pour préserver l'honneur des Arabes.
« Les Palestiniens observent les évènements dans le monde arabe en général, et en Égypte en particulier, avec une grand fierté... Nous espérons que les peuples arabes en rébellion feront leur priorité d'exiger de tout gouvernement ou direction à venir la rupture des liens avec l'occupation israélienne et la dénonciation du traité de paix israélo-égyptien... Nous appelons toutes les nations libres du monde, spécialement en Europe et les États-Unis, de descendre dans la rue en manifestations massives le 11 février, pour confirmer le droit des peuples à vivre dans la liberté et la dignité : un jour de colère pour la justice, le début d'une Intifada mondiale ».
Le 3 février, Amira Hass titrait dans Ha'aretz, « Pourquoi l'Autorité palestinienne ne soutient-elle pas l'insurrection égyptienne ? ».
A la place, écrit-elle, « elle interdit les manifestations en solidarité avec les peuples en rébellion. La télévision palestinienne ignore pratiquement les évènements d'Égypte. » Les manifestants devant le consulat du Caire à Ramallah étaient sous le contrôle des forces de sécurité en civil.
« De quoi a-t-elle donc peur... ? (l'AP) ». Elle a des liens étroits avec Moubarak, comme avec Israël, et « quand un régime n'est pas suffisamment démocratique, il craint que les manifestations populaires n'échappent à son contrôle. » poursuit-elle.
Le 7 février, Hass titrait, « La Sécurité palestinienne contient la ferveur de la Cisjordanie pour les manifestations égyptiennes ».
Les forces de sécurité de l'AP répriment une manifestation à Ramallah. Adnan Dmeri, porte-parole des forces de sécurité de l'AP, déclare, « Les manifestations pourraient conduire à la pagaille. La priorité pour les Palestiniens est de renforcer la résistance populaire contre l'occupation et de travailler pour l'indépendance. »
En réalité, les forces de sécurité d'Abbas/Fayyad oeuvrent en collaboration avec Israël contre (la résistance), renforçant la dureté de l'occupation. Ils ont été formés et sont financés pour le faire. Dans un article précédent, j'expliquais :
« Le général américain Keith Dayton, coordinateur de la Sécurité US (USSC) pour Israël et l'AP, s'est fortement impliqué dans la création, la mise en place et la formation d'une force de 25 000 hommes. Ces dernières années, Washington a dépensé environ 400 millions de dollars pour institutionnaliser un contrôle radical, en complément des efforts d'Israël.
« Dayton a en charge la construction et la rénovation des garnisons, des instituts de formation, des installations du ministère de l'Intérieur, et des sièges de la Sécurité. Le Président Mahmoud Abbas et le Premier ministre Salam Fayyad sont à la tête d'un régime illégitime en tant qu'hommes de main d'Israël et de Washington, durcissant l'occupation et le projet colonial d'Israël, y compris pour une Jérusalem totalement judaïsée. »
Gouvernant en tant que traîtres opportunistes politiques, leurs moments « Moubarak » les attendent, peut-être plus tôt qu'ils l'imaginent pour avoir exploité et trahi leur propre peuple, et notamment agressé les manifestants non violents.
Un manifestant anonyme commente les évènements de Ramallah :
« Il y une chose que nous n'avions pas encore faite. Des policiers en uniforme ont commencé à se disputer avec l'un des manifestants, apparemment dans le but de se donner un prétexte pour l'arrêter. Ils lui ont pris sa carte d'identité et l'ont entraîné vers le poste de police ».
Selon Human Right Watch (HRW), les policiers de l'AP ont été rejoints par des inspecteurs de police, des forces de la sécurité préventive et des gens des renseignements généraux, « tous en civil ». Ils ont tabassé, donné des coups de pieds, et traîné des manifestants, violemment. De nombreuses arrestations ont eu lieu. La prise de photos a été interdite. Des téléphones portables et des caméras ont été confisqués, les forces de l'AP filmaient les scènes, voulant identifier les militants pour ultérieurement les arrêter et les mettre en détention.
Le nombre des militants, pourtant, est monté jusqu'à environ 2000, défilant et scandant des slogans entendus à Tunis et en Égypte :
« Le peuple veut la chute du régime... Le peuple veut la chute d'Abbas, » et la fin de l' « inqisam ! (rupture) » entre Palestiniens... « Élevez vos voix, masses arabes ! La dignité ou la mort, nous avons besoin d'une vraie union ! » Deux membres bien connus du Fatah (pas de nom) ont rejoint les manifestants en solidarité.
Le 5 février, des centaines d'habitants de Bil'in, avec des sympathisants internationaux et israéliens, ont manifesté en solidarité avec les Égyptiens et les Tunisiens. Appelant à l'union nationale. Les troupes israéliennes les ont agressés, à coups de lacrymogènes et de grenades à concussion.
S'étant rassemblés dans le centre de Bil'in pour leur manifestation non violente hebdomadaire du vendredi, ils ont défilé vers le mur de séparation d'Israël, qu'ils appellent le Mur d'annexion, construit sur les terres du village. Leur déclaration dit :
« 1 - Nous saluons les peuples égyptien et tunisien, en solidarité avec leur combat pour la liberté ;
2 - Nous appelons à l'union nationale et à la préservation de la paix civile (pour) franchir cette étape historique avec succès ;
3 - Nous espérons que les peuples arabes en rébellion feront leur priorité d'exiger de tout gouvernement ou direction à venir la rupture des liens avec l'occupation israélienne et la dénonciation du traité de paix israélo-égyptien qui ignore le peuple palestinien, le laissant occupé et réprimé sous une rigueur militarisée ;
4 - Nous appelons toutes les nations libres dans le monde à se rassembler en solidarité avec les peuples arabes qui se battent pour être libres. »
De son point de vue, Omar Barghouti, fondateur et directeur de la Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d'Israël, ne s'est pas étonné de la façon dont les forces de l'AP ont réagi, disant :
« Non élus, les régimes autoritaires tendant à se tenir ensemble. Ils ont très peur de la mobilisation populaire, surtout à la lumière des Documents Palestine ( Al Jazeera-Wikileaks). (Ils) approuvent la répression et n'ont aucun intérêt à l'émancipation ou à la mobilisation des peuples. »
Le 10 février, Gideon Levy, dans Ha'aretz, titrait, « Le Moyen-Orient n'a pas besoin de stabilité ».
Il écrit : « Quand les enfants jettent des pierres sur les chars d'assaut qui pénètrent dans les quartiers, on dit qu'il y a "Trouble à l'ordre public". Quand ils sont arrêtés pour résistance à l'occupation, on parle de "rétablissement de l'ordre".
« L'occupant opprime, le peuple occupé surmonte ses instants et son combat, et le bon ordre est maintenu... pour l'instant. La stabilité. »
Les Égyptiens osent « troubler l'ordre public », sapant la stabilité du Moyen-Orient. « Effectivement, cette stabilité doit être sapée », dans toute la région et notamment en Palestine occupée. Comment un peuple opprimé peut-il autrement redevenir libre ? La stabilité l'étouffe. La résistance est libératrice si elle est soutenue assez longtemps.
Égyptiens et Tunisiens ont pris un bon départ, mais leur combat ne fait juste que commencer. Quand les Palestiniens commenceront-ils le leur ? Quand les chars d'assaut envahissent leurs quartiers, « il faut jeter des pierres sur eux ; la stabilité exaspérante du Moyen-Orient doit disparaître », remplacée par une liberté libératrice, peut-être suffisamment contagieuse pour se propager dans toute la région, mais jamais ce n'est facile, ni rapide, ni sans grands risques et coûts élevés.
Les évènements égyptiens retentissent dans toute la région
Ce qui résultera de l'Égypte aura des implications régionales, notamment en Palestine occupée, surtout compte tenu du rôle coopératif de Moubarak avec Israël et Washington. Par conséquent, les officiels de l'AP gardent nettement leurs distances avec les soulèvements en Égypte, Tunisie, Jordanie, au Yémen et en Algérie, de crainte que bientôt ce soit leur tour. Ils répriment aussi agressivement pour l'empêcher, par la violence, par des intimidations et des arrestations.
Jusqu'à présent, ça a fonctionné, mais pour combien de temps ? Les Égyptiens ont subi Moubarak pendant trois décennies. En 1948, les Palestiniens ont perdu leur patrie et pendant près de 44 années, ils ont souffert de la violence sous une occupation militarisée, exacerbée par les collaborateurs de l'AP.
Peut-être que le courage des Égyptiens les incitera à acquérir une liberté libératrice sous une direction de leur choix.
Un dernier commentaire
En février, Jon Donnison de la BBC titrait, « La jeunesse de Gaza exprime sa colère sur Facebook », disant :
« Khaled (un pseudonyme) est devenu assez bon sur le web à Gaza, mais aujourd'hui il vit en réalité dans la clandestinité » pour sa sécurité après avoir co-organisé le Manifeste de la jeunesse de Gaza pour le changement, « une tirade de 450 mots contre les frustrations » d'une vie occupée sous le siège. Publié en décembre, il y a plus de 19 000 participants sous le nom de Gaza Youth Breaks Out (La jeunesse de Gaza se libère).
Tout le monde y est mis au pilori, le Hamas, le Fatah, Israël, Washington et les Nations-Unies. Ils disent :
« Nous, les jeunes de Gaza, on en a marre de l'occupation, des violations permanentes des droits de l'homme et de l'indifférence de la communauté internationale !
« ASSEZ ! Assez de douleurs, assez de larmes, assez de souffrances, assez de contrôles, de limites, de justifications injustifiées, de terreurs, de tortures, d'excuses, de bombes, de nuits sans sommeil, de civils tués, de souvenirs sombres, d'avenir(s) bouchés, d'un présent désespérant, de politiques insensées, de politiciens fanatiques.
« NOUS DISONS STOP ! Ce n'est pas l'avenir que nous voulons ! Nous voulons être libres. Nous voulons pouvoir vivre une vie normale. Nous voulons la paix. Est-ce trop demander ? »
La passion de ce manifeste est-elle le prélude à de vastes manifestations de rue à travers la bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est, au niveau du courage stupéfiant des Égyptiens ? C'est ainsi que la liberté se gagne par moments, mais jamais aisément - rapidement ou dans la durée - et sans une vigilance maintenue pour soutenir une longue lutte, jamais sans des gains acquis et facilement reperdus autrement.
De nombreuses fois auparavant, Bob Chapman, depuis longtemps initié, a lancé des appels impressionnants, souvent avant les autres. Le 10 février, sur Progressive Radio News Hour il a déclaré que Washington surestimait son influence en Égypte. Aujourd'hui, Washington essaie de se sortir d'un problème peut-être trop difficile à maîtriser et il finira par perdre son emprise sur la région quand les évènements auront pris tournure.
D'autres en conviennent, dont Immanuel Wallerstein dans son article du 3 février, « La deuxième révolte arabe : les gagnants et les perdants ».
« Des mois passeront avant qu'ils ne soient connus, écrit-il. A ce stade, les évènements sont fluides, les résultats incertains. » Pourtant, il appelle Washington le « grand perdant », l'Iran, le grand gagnant, avec la Turquie pour son soutien à la révolte arabe et sa confrontation avec Israël.
En effet, il est trop tôt pour savoir, mais il se peut que ce devienne le bon côté de l'histoire. Si oui, cela va remettre en cause les chances qui favorisent le pouvoir sur les soulèvements populistes, une exception qui peut-être confirme la règle si les gains sont maintenus et ne sont pas perdus par manque d'une vigilance éternelle.
Note : les évènements de dernière minute de l'insurrection en Égypte seront abordés dans un prochain article. Les choses ne sont pas toujours comme elles le paraissent. Sous la surface, les manœuvres, manipulations et machinations sont beaucoup plus importantes qu'on ne le voit en surface. Les articles des grands médias, évidemment, ne l'expliqueront pas. Le journalisme réel et ses analyses sont essentiels. Concentrons-nous sur eux et sur le groupe en ligne d'Al Jazeera pour nous mettre à jour des informations.
La manifestation du 5 février à Ramallah :
* Stephen Lendman habite à Chicago. On peut le contacter à lendmanstephensbcglobal.net et sur [sjlendman.blogspot.com]. Il anime des émissions d'avant garde sur the Progressive Radio News Hour sur the Progressive Radio Network.
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