Mercredi 12 janvier, on a appris que le président tunisien Ben Ali avait limogé son ministre de l'Intérieur et promis la libération de toutes les personnes arrêtées depuis le début - il y a un mois - des manifestations qui secouent le pays.
Viviane Lafont
C'est au moins le signe de l'impuissance du pouvoir face à l'extension et à la détermination croissantes du mouvement, et cela malgré la répression.
« Ben Ali menteur, pilleur, casse-toi », clamaient les milliers de manifestants regroupés ces derniers jours, du 8 au 10 janvier, à Kasserine, Thala, Regueb, dans le centre-ouest tunisien. La police, tirant à balles réelles dans la foule, a fait de nombreux morts, plusieurs dizaines selon des participants et des ONG.
Pour le dictateur, intervenant à la télévision tunisienne le 10 janvier, il ne s'agissait là que d'« actes terroristes impardonnables perpétrés par des voyous cagoulés » dont les véritables responsables étaient « certains partis qui veulent porter atteinte aux intérêts du pays, ou manipuler notre jeunesse ». Et d'annoncer cependant, en réponse à des événements... qui n'ont d'après lui pas eu lieu, 300 000 créations d'emploi, en plus de ceux déjà promis quelques jours plus tôt. Espérant sans doute rendre plus difficile la mobilisation des jeunes, il a décrété la fermeture, dès le 11 janvier et jusqu'à nouvel ordre, des lycées et des universités.
Mais de fait, depuis la mi-décembre, le mouvement de colère d'une grande partie de la population ne fait que s'amplifier. Protestant contre la pauvreté et la vie chère, contre le chômage et la confiscation par les milieux proches du pouvoir des rares emplois proposés aux jeunes diplômés à la fin de leurs études, contre la corruption du régime et de l'administration, les manifestants, dès le début et de plus en plus, dénoncent la dictature que fait régner depuis vingt-trois ans le président Ben Ali, appuyé par sa famille et son petit milieu de privilégiés. Après les avocats, les étudiants se mobilisent. L'un d'eux aurait été blessé sur le campus Al-Manar, près de la capitale. Des rassemblements étudiants auraient aussi eu lieu à la Manouba, dans les quartiers du Bardo, de l'Ariana, de Ben Arous, ainsi qu'à Sfax, Sousse, Nabeul, villes côtières et touristiques. Il circule même des bruits de grève générale.
La répression, les tirs policiers sur la foule ou sur des individus isolés, manifestants ou non, les multiples arrestations, les tabassages et les tortures, l'écrasement de toute liberté d'expression, rien n'est parvenu jusqu'à présent à faire taire la révolte populaire. L'utilisation d'Internet comme moyen de transmission, le téléphone, la lecture des blogs - avant leur fermeture et l'arrestation de leurs auteurs - la mobilisation des syndicalistes et des militants, dont beaucoup sont clandestins, les dénonciations venant des organisations pour les droits de l'homme : tout concourt à élargir la mobilisation et à faire tomber l'image d'un pays où « l'espace des libertés progresse », comme disait il y a peu Sarkozy.
L'Union européenne, très investie dans la « coopération » avec la Tunisie de Ben Ali, s'est sentie obligée, par la voix de sa commissaire aux Affaires étrangères, d'appeler le dictateur à de « la retenue dans le recours à la force ». Le Quai d'Orsay, encore plus hypocritement, a « déploré les violences qui ont fait des victimes » et souhaiterait « l'apaisement ». Ce qui n'a pas empêché le ministre français de l'Agriculture, Bruno Le Maire, de prendre sur Canal Plus la défense de Ben Ali « souvent mal jugé (et qui) a fait beaucoup de choses »...
Mais quelles que soient les révoltantes prises de position des dirigeants occidentaux en faveur de leur ami et obligé Ben Ali, la solidarité et le soutien des travailleurs et militants de ces pays ne peuvent qu'aller à tous ceux, jeunes et moins jeunes, qui se lèvent actuellement contre le régime, pour leur liberté et leur dignité.