Index on Censorship
Traduit par Omar Khayyam
Edité par Fausto Giudice
Des observateurs cyniques pourraient conclure que le gouvernement tunisien s’en est tiré à bon compte, lorsque l’Union Internationale des Magistrats ( AIJ/UIM) a récemment émis son jugement sur le système judiciaire tunisien, assujetti et manipulé par le régime.
Le contrôle majoritaire exercé par le régime au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) – l’organisme qui nomme les juges, décide de leur affectation et assure la discipline interne – enfreint non seulement tous les principes fondamentaux de l’indépendance du corps judicaire, condition sine qua non de l’État de droit, mais il bafoue aussi les droits constitutionnels originaux de la Tunisie et contredit de façon flagrante les principes qui guident l’UIM elle-même.
Ceci a suscité chez certains l’espoir que le dédain affiché par le CSM envers les normes de l’UIM provoquerait une sanction de la part de cette dernière. L’Ivoirienne Fatoumata Diakité, présidente de l’UIM, a plutôt préféré accorder au régime un non-lieu, en se retirant du débat et en qualifiant la série d’abus perpétrés par le CSM tunisien d’« affaire interne ».
Ce qui ne veut pas dire que l’UIM n’est pas au courant des mauvais agissements du CSM. En effet, la direction de l’UIM, présidée par Diakité, déclare que si le CSM était conduit par une majorité de juges élus par leurs pairs et non désignés par le pouvoir, et que si le ministre de la Justice n’en était pas le vice-président, tout cela « consoliderait l’État de droit dans le pays, et tous les juges, ainsi que la société civile, en tireraient un grand bénéfice. » Mais la direction de l’UIM ne semble pas trop se soucier de cette situation.
Depuis que le juge Mokhtar Yahyaoui a écrit sa lettre ouverte en 2001 pour mettre en garde contre l’ingérence du pouvoir politique dans les affaires du corps judiciaire, menaçant ainsi l’État de droit – Yahyaoui a été renvoyé, censuré et sa famille a payé le prix de son acte – le régime a œuvré pour que les juges prononcent les verdicts dictés par lui à l’encontre des opposants pris pour cible.
Lorsque l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT) a adopté la position de Yahyaoui, son siège a été fermé par le Ministère de la Justice et des mesures ont été prises pour évincer les défenseurs de l’indépendance de la justice. Pendant le mois courant, Index on Censorship et PEN International, présents en Tunisie à l’occasion de la Journée Internationale des Droits Humains, ont rendu visite à quelques victimes.
Parmi ces dernières se trouve Kalthoum Kennou, mutée par le CSM, contre son gré, à Tozeur, une ville du Sud, en guise de punition pour sa position en faveur de l’indépendance de la justice. Beaucoup de femmes juges de l’AMT, comme Kennou, ont été particulièrement victimes de mesures de rétorsion. Pourtant, bien qu’elle admette « que la permanence des juges dans leurs fonctions est un principe fondamental », l’UIM s’est jusqu’ici refusée à les défendre.
Index préside Échange international de la liberté d’expression: le Groupe d’observation de la Tunisie. (en anglais:IFEX-TMG), une alliance de vingt organisations de défense de la liberté d’expression. Le TMG a rapporté de nombreuses distorsions de la loi visant à punir les journalistes et à museler la liberté d’expression. Ainsi des juges inféodés au régime accordent-il de la crédibilité à des accusations ridicules et à des preuves qui ne tiennent pas.
Le journaliste Fahem Boukaddous a été jeté en prison pour avoir « constitué une association criminelle susceptible de porter atteinte aux personnes et aux biens », alors qu’il n’a fait que des reportages sur les mouvements de protestation publics contre le chômage et la corruption dans la région minière de Gafsa, en 2008.
Le reporter de Radio Kalima Mouldi Zouabi a été attaqué en avril, mais peu de temps après, la police l’a bizarrement accusé, lui qui était victime, de « violences aggravées et injures publiques » envers son agresseur.
Index on Censorship a recommandé à l’UIM de reprendre sa précédente enquête, franchement décevante, effectuée en 2008 avec la participation de Mme Diakité, pour s’enquérir de la situation en Tunisie, mais cette fois-ci avec un regard plus reigoureux. L’UIM doit exiger, au moins, que l’AMT s’en tienne fermement aux principes d’Indépendance de la Justice, établis par l’UIM, ainsi qu’à la Charte Universelle du Juge, approuvée en 1999, et aussi que le CSM agisse pour aligner la législation tunisienne sur les normes internationales.
Il est improbable que les sessions de l’AMT, réunie ce week-end à Tunis, discutent de l’érosion progressive de l’indépendance de la justice, ou qu’elles daignent jeter un regard sur la panoplie de persécutions auxquelles sont soumis les juges indépendants : mutation vers des régions éloignées de la capitale, déni de promotion, coupes de salaire injustifiées, interdiction de voyager etc. L’obéissance silencieuse au Ministère de la Justice permettra à certains juges de conserver leur poste et évitera à leurs enfants de perdre leurs droits à l’éducation et au voyage.
La question pour 2011 n’est pas de savoir si les juges, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Tunisie, continueront à ignorer les exactions du régime, mais si l’Union Européenne va enfin s’y intéresser. La Tunisie est en train de courtiser l’UE pour conclure avec elle un accord spécial sur le commerce et l’aide économique.
Les cyniques pourraient arguer que les affaires priment sur les droits humains, si l’on se place dans un horizon plus large. Mais qui, en dehors d’un juge tunisien indépendant, peut protéger les investisseurs de l’UE de cette sorte de corruption aléatoire, récemment évoquée par des diplomates usaméricains cités par WikiLeaks ?
Les intérêts d’affaires, impliquant le placement de sommes énormes entre les mains de la Tunisie, pourraient être le meilleur argument en faveur d’une justice indépendante en Tunisie.
Courtesy of Tlaxcala
Source: indexoncensorship.org
Publication date of original article: 18/12/2010
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