
Par Philip Weiss, le 2 décembre 2025
La communauté juive américaine traverse une crise ouverte concernant son soutien à Israël après deux ans de génocide à Gaza. L'un des enjeux majeurs de cette crise est un sujet autrefois considéré comme trop tabou pour être critiqué : le lobby israélien.
Le mois dernier, un haut responsable de l'organisation juive J Street, qui a travaillé pour Obama et Harris, a expliqué que la tradition du Congrès de soutenir Israël "quoi qu'il arrive" a été imposée par un "groupe de gros donateurs... Juifs".
"Un petit groupe organisé de gros donateurs juifs américains a traité cette question comme un enjeu électoral majeur, et la plupart des candidats ont décidé qu'il valait mieux ne pas s'aliéner ce groupe", a écrit Ilan Goldenberg.
Il n'y a pas si longtemps, de telles attaques contre le lobby israélien (y compris les miennes) étaient rejetées comme des théories antisémites complotistes. Mais aujourd'hui, c'est une importante organisation juive qui le dénonce.
En effet, la communauté juive américaine est aujourd'hui en proie à une profonde crise liée à son soutien historique à Israël. Des personnalités juives s'en prennent enfin au lobby, une structure politique créée il y a 60 ans par les principaux groupes juifs pour éviter tout désaccord entre les gouvernements israélien et américain.
Cette crise est due entre autres à la victoire du maire de New York, Zohran Mamdani, une première dans l'histoire de la politique américaine. En effet, être antisioniste était jusque là incompatible avec une carrière politique aux États-Unis.
Le lobby israélien a dépensé des dizaines de millions de dollars pour battre Mamdani, sous la houlette de Bill Ackman et de Mike Bloomberg, mais Mamdani a tout de même battu Andrew Cuomo à deux reprises. Après les élections du mois dernier, l'establishment juif s'est manifesté sur un registre inquiétant. L'élection de Mamdani serait "néfaste" et "de mauvais augure", a déclaré la Conférence des présidents.
"L'accession de Zohran Mamdani à Gracie Mansion nous rappelle que l'antisémitisme est un danger bien réel et omniprésent".
L'ADL a annoncé la création d'un "Mamdani-tracker" (suivi de Mamdani) véhiculant l'idée que Mamdani encouragerait la violence antisémite, une affirmation basée sur les critiques de Mamdani à l'égard d'Israël.
"Mamdani a promu des discours antisémites... et a manifesté une intense animosité envers l'État juif, allant à l'encontre des opinions de la grande majorité des New-Yorkais juifs".
Si le lobby pensait détourner les électeurs de Mamdani, il a échoué. Deux semaines après l'élection, Mamdani s'est rendu à la Maison Blanche et a parlé du "génocide" israélien, et Trump ne l'a pas contredit. Il était temps que ce mot cesse d'être absent de la Maison Blanche.
Le courage de Mamdani a encouragé un nouveau discours critique à l'égard d'Israël, grâce un mouvement social plus large. Les jeunes Américains se retournent contre Israël en raison de ses politiques anti-palestiniennes de génocide et d'apartheid.
Rahm Emanuel a communiqué cette triste nouvelle à la plus grande organisation juive, la Jewish Federations, le mois dernier. Notant qu'Obama s'était rendu en Israël avant d'annoncer sa candidature à la présidentielle en 2007, M. Emanuel, qui brigue la présidence, a déclaré qu'en 2028, aucun candidat démocrate n'osera se conformer à la tradition.
"Aujourd'hui, plus personne ne traverse l'Atlantique pour se rendre à Jérusalem. C'est un choix politique".
Et pas seulement les Démocrates. M. Emanuel a déclaré que les jeunes, qu'ils soient de gauche ou de droite, se détournent d'Israël.
"Regardez où en est Israël auprès des moins de 30 ans aux États-Unis", a-t-il déclaré. "Faites abstraction des partis. Aujourd'hui, prendre position en faveur d'Israël est un risque politique. Israël est extrêmement impopulaire, et je tiens à le rappeler à tous ceux d'entre nous qui soutiennent l'État juif : pour la génération des moins de 30 ans, les deux dernières années seront aussi déterminantes que la guerre des Six Jours l'a été pour la génération précédente. Nous devons faire preuve d'honnêteté sur la réalité du défi".
Le lobby israélien s'effondre sous nos yeux. Eric Fingerhut, ancien membre du Congrès et dirigeant des Fédérations, a déclaré lors de cette même conférence que la mauvaise image d'Israël serait le résultat d'une conspiration internationale.
"Nous avons été victimes d'une attaque planifiée et coordonnée contre l'image d'Israël en Amérique du Nord et contre la communauté juive qui le soutient. Alimentée par des milliards de dollars d'argent occulte... [provenant] d'Iran, du Qatar, de Chine, de Russie et d'autres pays. Et diffusée par les technologies de communication les plus perfectionnées".
La conférence était consacrée à la restauration de l'image d'Israël dans le discours américain, "une réhabilitation en profondeur et à long terme de l'image d'Israël".
Mais elle a échoué de manière spectaculaire. La couverture médiatique de l'événement s'est en effet concentrée sur un autre échec : celui de Sarah Hurwitz, ancienne plume d'Obama, qui a déploré qu'aujourd'hui, parler d'Israël aux jeunes revient à franchir un "cimetière d'enfants".
"Même les Juifs américains sont bouleversés par les enfants morts", a déclaré Sarah Hurwitz."TikTok diffuse toute la journée des vidéos du carnage à Gaza dans la tête de nos jeunes. Voilà pourquoi beaucoup d'entre nous ne peuvent pas avoir de conversation sensée avec les jeunes Juifs : quoi que nous leur disions, ils n'entendent que le vacarme du carnage. J'aimerais leur fournir des données, des informations, des faits. Mais ils les ignorent, obnubilés par ce déluge d'images".
Elle a ajouté que même l'enseignement de l'Holocauste a échoué auprès des jeunes Juifs. Selon lui, ils assimilent les Israéliens lourdement armés à des nazis et les Palestiniens affamés à des victimes suscitant la compassion.
Mme Hurwitz a été violemment critiquée sur les réseaux sociaux pour ces propos. Mais pour la communauté juive officielle, elle est une héroïne, car elle soutient que ceux qui nient le droit des Juifs à un État juif sont antisémites.
Selon elle, la souveraineté juive au Moyen-Orient est inhérente à la religion juive et la puissance militaire d'Israël est la réponse nécessaire à deux millénaires marqués par la haine envers les Juifs. Et en niant ces vérités, les antisionistes prouvent leur haine des Juifs.
Ces idées sont non seulement fausses, mais surtout dangereuses. Si les jeunes Américains haïssent Israël, c'est parce que ce pays a tué sans discernement la population civile palestinienne et détruit ses moyens de subsistance à Gaza pendant deux ans, avec le soutien du gouvernement américain et du lobby israélien.
En novembre, la star des programmes pour enfants, Mme Rachel, a exprimé la dimension morale de la situation à Gaza en accueillant à New York une fillette traumatisée, Qamar :
"Je déplore que le monde soit resté les bras croisés pendant que son camp était bombardé, qu'elle ait été privée de soins médicaux pendant 20 jours, qu'on l'ait amputée d'une jambe et qu'elle ait vécu dans une tente déchirée, inondée et froide".
Mme Rachel est rapidement devenue une figure de proue du discours de solidarité avec la Palestine aux États-Unis grâce à sa clarté, sa simplicité et son sens du devoir.
Les médias mainstream se démènent aujourd'hui pour nier l'existence de ce mouvement. Ils affirment notamment que les positions sur la Palestine n'ont eu aucune incidence sur la défaite de Kamala Harris en 2024. Ils nient qu'elles aient été un facteur important dans la victoire de Madani à New York.
Et ce, alors que des candidats s'opposant à Israël émergent dans les primaires démocrates à travers le pays.
Ce bouleversement politique est désormais une crise juive. La communauté juive se fracture sur son soutien officiel au génocide.
Les Juifs qui dénoncent les actions d'Israël ont joué un rôle clé dans la coalition de Mamdani. Parmi eux, certains ont été des sionistes libéraux. Mais le sionisme libéral est lui-même en pleine crise, renonçant à ses anciens credo, comme la conviction que BDS serait antisémite, pour rallier les jeunes Juifs.
Sarah Hurwitz, Éric Fingerhut et Jonathan Greenblatt poussent l'establishment juif au bord de la marginalisation. L'argument ultime de Sarah Hurwitz est exceptionnaliste. Selon elle, les Juifs auraient un rôle spécial à jouer dans le monde, raison pour laquelle ils sont en butte à la haine.
La désinformation s'inscrit dans une longue tradition : le lobby a imposé mensonge après mensonge dans notre discours politique. Les réfugiés sont pourtant privés de leur droit de retour. Mais déplacer 700 000 colons dans les territoires occupés, pas de problème. Déni d'apartheid. Déni de génocide.
Même si les guerres d'Israël contre ses voisins servent les intérêts des États-Unis, ces mensonges ne tiennent plus aujourd'hui. Quels que soient les idéaux que le sionisme prônait à ses origines en tant que mouvement de libération européen, il s'est métamorphosé en idéologie extrémiste face à la résistance palestinienne. Et la communauté juive officielle l'a encouragé.
Les mensonges du lobby israélien étaient autrefois un sujet tabou en Amérique. Mais aujourd'hui, sa faillite propulse ses mensonges sur la place publique.
Traduit par Spirit of Free Speech