18/12/2025 reseauinternational.net  4min #299277

Les saisons du zombie - Décembre

par Amal Djebbar

Décembre,

Décembre  ! À Châlons-en-Champagne ou à Reims, les rues clignotent comme des vitrines géantes. Les marchés de Noël squattent les places, ça sent le marron grillé et le vin chaud à la cannelle. Saint Nicolas fait son petit show avec son âne, pendant que les calendriers de l'avent sponsorisés s'alignent devant la mairie. Je marche dans ce capharnaüm et je me prends en pleine gueule les haut-parleurs qui recrachent «Jingle Bells» et «I Wish You a Merry Christmas» en boucle, coupés par des pubs. Sur les réseaux, des groupes comme «Tout Châlons» organisent des jeux débiles : gagner un menu à la «Pataterie», un bon d'achat au Leclerc ou un coffret-cadeau d'une boutique artisanale du CHV (centre de l'hôtel de ville. Tout est là pour distraire, pour faire acheter, pour anesthésier dans une fausse magie. Les gens s'injectent leur dose de dopamine.

Et Jésus dans tout ça  ? Il reste planqué dans le cœur des quelques vieux croyants qui vont encore à la messe dans une église à moitié vide. Noël, ce n'est plus la naissance du Christ : c'est la fête de Coca-Cola, d'Apple et de Gucci. Le dieu de la consommation a viré le Fils de Dieu. Les gens ne pensent qu'à leur gueule. Jésus est mort dans leur cœur depuis longtemps.

Et maintenant, le pompon : l'État veut même rebaptiser le truc. On ne veut plus dire Noël, on appelle ça «la fête de l'hiver». Voilà où on en est.

À Mourmelon-le-Grand, à Sommepy-Tahure, à Sainte-Menehould, il y a des guirlandes municipales vissées aux ronds-points et pendues le long des artères principales. Et sur la place de la mairie, la nouveauté écolo-bobo : le sapin en bois. Et partout où je passe, je vois tourner la machine à cash. Rien de magique là-dedans : juste un pic annuel de consommation.

Pendant tout le mois, les gens sont obsédés par deux choses : les cadeaux et les deux repas sacrés : Noël et le Nouvel An. Dans les supermarchés, les allées centrales débordent de foie gras, saumon, huîtres, fromages, chocolats emballés comme des bijoux. La bouffe à gogo... On pourrait nourrir le département avec tout ça.

La Marne, depuis peu, s'est mise à l'heure américaine. Noël n'a plus rien d'une fête. Les sapins sont devenus des arbres sous stéroïdes, bardés de guirlandes fluorescentes et de boules criardes. Les maisons s'illuminent à coups de LED hystériques, comme si chaque pavillon participait à un concours d'épilepsie collective.

Et puis il y a la télé. Ou plutôt, Netflix, la nouvelle cathédrale. On y célèbre la messe du cucul la praline en boucle. Films de Noël interchangeables : elle est citadine, il est bûcheron, ils se détestent puis s'aiment devant une cheminée. Tout le monde regarde, tout le monde s'abrutit, parce que «c'est Noël, il faut se mettre dans l'ambiance».

Le Père Noël Coca-Cola, lui, trône en effigie. Symbole mondial de la junk culture, mascotte rouge pétant, ventripotent et jovial comme un commercial de supermarché. C'est ça, la magie qu'on nous vend : consommer, sourire bêtement et vider son compte en banque sous prétexte de partage.

La Marne s'américanise, et ce n'est pas beau à voir. Plus de messe, plus de recueillement, plus de simplicité. Non, place aux faux chants, aux guirlandes bon marché et à l'orgie de sucre. Les gamins n'attendent pas Jésus dans une crèche, ils attendent leur nouvelle console. Et les parents, eux, attendent la fin du mois sans découvert, en avalant de travers leurs chocolats à l'huile de palme.

Noël  ? Une kermesse consumériste repeinte aux couleurs yankees. Le pire, c'est que tout le monde joue le jeu. On s'incline devant l'autel du sapin en plastique et on fait semblant d'y croire.

Et puis vient le repas. Ah, le grand festin  ! En réalité, du discount déguisé en luxe : saumon d'élevage gonflé aux antibiotiques, foie gras de supermarché, dinde industrielle qui a vu plus de produits chimiques que de soleil. On s'empoisonne joyeusement, mais avec des paillettes dans les yeux. Le tout arrosé d'alcool, évidemment. Pas pour trinquer à l'amour ou à la paix, non : pour supporter la famille, noyer la mélancolie et mettre en pause les emmerdes qui, elles, ne prennent jamais de vacances.

Derrière les guirlandes, derrière l'arbre artificiel qui ne perd même pas ses aiguilles, il reste quoi  ? Des familles fauchées, endettées, mais qui se collent un sourire figé pour la photo. On appelle ça «la magie de Noël». En vrai, c'est juste la dîme moderne, prélevée par le dieu du Capital.

Et quand tout est terminé, le rideau tombe. On remballe le plastique, on jette les papiers-cadeaux, on fait les comptes en priant que la banque ne bloque pas la carte. Puis, on attend docilement l'année prochaine.

Joyeux Noël !

Et surtout, n'oubliez pas : l'an prochain sera pire.

Alors bonne année, les zombies - et continuez à applaudir vos propres chaînes.

Extrait d'«Une France Potemkine, plongée derrière le décor» :
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 Amal Djebbar

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