
Par Chris Hedges, le 15 décembre 2025
Le génocide à Gaza n'a pas cessé. Il a juste été relooké. Ce subterfuge linguistique suffit à inciter le monde à regarder ailleurs.
D'abord, on a invoqué le droit d'Israël à se défendre. Puis on a parlé de guerre, même si, selon les propres données du renseignement militaire israélien, 83 % des victimes sont des civils. Les 2,3 millions de Palestiniens de Gaza, qui survivent sous blocus aérien, terrestre et maritime israélien, ne disposent ni d'armée, ni d'aviation, ni d'unités mécanisées, ni de chars, ni de marine, ni de missiles, ni d'artillerie lourde, ni de flotte de drones tueurs, ni de réseaux de surveillance de pointe pour cartographier les moindres déplacements, ni d'alliés comme les États-Unis, qui ont abreuvé Israël d'au moins 21,7 milliards de dollars d'aide militaire depuis le 7 octobre 2023.
Maintenant, on appelle cela un "cessez-le-feu". Sinon qu'Israël n'a respecté que la première des 20 conditions. En échange du retour des 20 prisonniers israéliens restants, il a libéré environ 2 000 prisonniers palestiniens détenus dans les prisons israéliennes - dont 1 700 arrêtés après le 7 octobre - ainsi que les corps d'environ 300 Palestiniens contre les vingts derniers otages.
Israël a violé toutes les autres conditions. Il a torpillé l'accord - négocié par l'administration Trump sans la participation des Palestiniens - ainsi que tous les autres accords de paix concernant les Palestiniens. Le mépris flagrant et généralisé d'Israël pour les accords internationaux et le droit international - Israël et ses alliés refusent de se conformer à trois séries d' ordonnances juridiquement contraignantes rendues par la Cour internationale de justice (CIJ), à deux avis consultatifs de la CIJ, ainsi qu'à la Convention sur le génocide et au droit international humanitaire - laisse présager un monde où seule la loi des pays les plus militarisés prévaudra.
Le pseudo-plan de paix, intitulé "Plan global du président Donald J. Trump pour mettre fin au conflit à Gaza", a été approuvé en novembre par la plupart des membres du Conseil de sécurité de l'ONU, la Chine et la Russie s'étant abstenues. Un acte de trahison effarant envers le peuple palestinien. Les États membres se sont désintéressés de Gaza et ont regardé ailleurs.
L'adoption de la résolution 2803 (2025) a été, pour reprendre les mots de Norman Finkelstein, spécialiste du Moyen-Orient,
"révélatrice de la faillite morale de la communauté internationale, et une déclaration de guerre contre Gaza. En proclamant le droit international nul et non avenu, le Conseil de sécurité s'est lui-même invalidé. Le Conseil de sécurité s'est alors mué en organisation criminelle envers Gaza".
Le prochain chapitre devait marquer le désarmement du Hamas et le retrait d'Israël de Gaza. Mais ces deux étapes ne se produiront jamais. Le Hamas, comme d'autres factions palestiniennes, rejettent la résolution du Conseil de sécurité. Ils affirment qu'ils ne désarmeront que lorsque l'occupation prendra fin et qu'un État palestinien sera créé. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a quant à lui assuré que si le Hamas ne dépose pas les armes, Israël l'y contraindra "par la force".
Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire - © M. Fish
Le "Conseil de paix", sous la direction de Trump, gouvernera officiellement Gaza avec le soutien de mercenaires armés de la Force internationale de stabilisation alliée à Israël, même si peu de pays semblent prêts à déployer leurs troupes. Trump promet de créer une " Riviera de Gaza" qui fonctionnerait comme une "zone de libre-échange" échappant à la législation nationale et entièrement régie par des investisseurs privés, à l'image de la ville libertarienne de Peter Thiel au Honduras. Les Palestiniens seront "réinstallés" à la " demande", et ceux qui possèdent des terres se verront offrir des jetons numériques en échange. Trump affirme que les États-Unis "prendront le contrôle de la bande de Gaza" et "en deviendront propriétaires". C'est un retour à la règle des vice-rois, mais sans le sinistre Tony Blair. Les Palestiniens seront "déradicalisés" par leurs nouveaux maîtres coloniaux, selon l'un des points les plus grotesques du plan.
Mais ces fantasmes ne se concrétiseront jamais. Israël sait ce qu'il compte faire à Gaza, et qu'aucune nation n'interviendra. Les Palestiniens lutteront pour survivre dans des conditions primitives et déshumanisantes. Et comme par le passé, le peuple palestinien sera trahi.
Israël a commis 738 violations de l'accord de cessez-le-feu entre le 10 octobre et le 12 décembre, dont 358 bombardements terrestres et aériens, tuant au moins 383 Palestiniens et en blessant 1 002 autres, selon le Bureau des médias du gouvernement à Gaza et le ministère palestinien de la Santé. Soit une moyenne de six Palestiniens tués chaque jour à Gaza, contre une moyenne de 250 par jour avant le "cessez-le-feu". Israël a déclaré avoir tué samedi un haut commandant du Hamas, Raed Saad, lors d'une frappe de missile sur une voiture sur la route côtière de Gaza. Trois autres personnes auraient également été tuées lors de ce raid.
Hamas (Photo © Chris McGrath/Getty Images) - Benhamin Netanyahu au Capitole américain (Photo © Anna Moneymaker/Getty Images)
Le génocide n'est pas terminé. Le rythme a certes ralenti, mais l'intention de nuire demeure. C'est un massacre au ralenti. Le nombre quotidien de morts et de blessés, qui augmente avec le nombre de cas de maladie et de victimes du froid et des intempéries, ne se compte plus en centaines, mais en dizaines.
En décembre, seuls 140 camions d'aide humanitaire ont été autorisés à entrer dans Gaza chaque jour, au lieu des 600 promis, et maintenir ainsi les Palestiniens au bord de la famine et garantir une malnutrition généralisée. En octobre, l' UNICEF a diagnostiqué 9 300 enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition aiguë sévère à Gaza. Israël a rouvert le checkpoint de Rafah avec l'Égypte, mais uniquement pour les Palestiniens quittant Gaza, et non pour ceux qui souhaiteraient y retourner, comme le stipule l'accord. Israël a pris le contrôle d'environ 58 % de la bande de Gaza et déplace progressivement sa ligne de démarcation, la fameuse "ligne jaune", afin d'étendre son occupation. Les Palestiniens qui franchissent cette ligne arbitraire, qui évolue constamment et mal balisée, sont abattus ou victimes d' explosions, enfants compris.
Les Palestiniens sont parqués dans un camp de concentration de plus en plus exigu, insalubre et surpeuplé, en attendant d'être déportés. Selon les estimations de l'ONU, 92 % des bâtiments d'habitation de Gaza ont été endommagés ou détruits, et environ 81 % du reste des structures sont en ruines. La bande de Gaza, longue de 40 km et large de 12 km, n'est plus qu'un monceau de décombres de 61 millions de tonnes, dont 9 millions de tonnes de matériaux dangereux contenant de l'amiante, des déchets industriels et des métaux lourds, mais aussi des munitions non explosées et 10 000 cadavres en décomposition, selon les estimations. Il n'y a pratiquement plus d'eau potable, d'électricité ou de traitement des eaux usées. Israël bloque les livraisons de matériaux de construction, notamment de ciment et d'acier, de matériaux pour les abris et les infrastructures hydrauliques, ainsi que de carburant, et rien ne peut donc être reconstruit.
82 % des Juifs israéliens approuvent le nettoyage ethnique de la population de Gaza et 47 % soutiennent l'extermination des civils dans les villes sous contrôle de l'armée israélienne. 59 % d'entre eux estiment qu'il faudrait en faire autant avec les citoyens palestiniens d'Israël. Selon une enquête de juillet, 79 % des Juifs israéliens se disent peu concernés, voire pas du tout, par les informations relayant la famine et les souffrances de la population de Gaza. Selon un nouveau rapport sur les discours de haine et l'incitation à la violence contre les Palestiniens, l'expression "Effacer Gaza" est apparu plus de 18 000 fois dans des publications en hébreu sur Facebook rien qu'en 2024.
La dernière ignominie en date de ce déchaînement génocidaire en Israël, où les réseaux sociaux et les chaînes d'information célèbrent régulièrement les souffrances des Palestiniens, se manifeste par le port de nœuds coulants dorés sur les vestes des membres du parti extrémiste Otzma Yehudit, la version israélienne du Ku Klux Klan, y compris par le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir.
Un petit garçon près de l'épave d'une voiture ciblée par une frappe aérienne israélienne, tandis que d'autres inspectent la voiture dans la rue Al-Rashid à Gaza, le 13 décembre 2025. Quatre Palestiniens ont été tués. (Photo © Abood Abusalama via Getty Images)
Source : @ 1998027139992662329-infinite_jaz:twitter
Ces extrémistes ont présenté à la Knesset un projet de loi prévoyant la peine de mort pour les Palestiniens qui, "intentionnellement ou non, sont impliqués dans la mort de citoyens israéliens", si le crime est motivé par "le racisme ou l'hostilité envers un groupe de personnes", et dans le but de nuire à l'État israélien ou à "la renaissance du peuple juif sur sa terre", explique l'organisation israélienne de défense des droits humains Adalah. Depuis le 7 octobre, plus de 100 Palestiniens ont été tués dans les prisons israéliennes. Si ce nouveau projet de loi est adopté - et il a été approuvé en première lecture -, il s'ajoutera aux plus de 30 lois anti-palestiniennes promulguées depuis le 7 octobre.
Le message sans équivoque envoyé au reste du monde, dont plus d'un milliard de personnes vivent avec moins d'un dollar par jour, peut se résumer en ces termes : "Nous voulons tout, et si vous essayez de nous en empêcher, nous vous tuerons".
C'est le nouvel ordre mondial. Gaza en est l'exemple. Camps de concentration. Famine. Destruction des infrastructures et du tissu social. Massacres. Surveillance généralisée. Exécutions. La torture, dont les coups, les électrocutions, le waterboarding, le viol, l'humiliation publique, la privation de nourriture et le refus de soins médicaux, fait partie des pratiques fréquemment employées sur les Palestiniens dans les prisons israéliennes. Épidémies. Maladies. Fosses communes où les cadavres sont enfouis à coups de bulldozer dans des charniers anonymes, et où les corps, comme à Gaza, sont déterrés et déchiquetés par des meutes de chiens sauvages affamés.
Nous ne sommes pas promis au Shangri-La tant vanté par des universitaires fumeux comme Stephen Pinker. Nous sommes voués à l'extinction. Non seulement la mort individuelle - que notre société de consommation tente furieusement d'occulter en colportant le mythe de la jeunesse éternelle -, mais aussi l'extinction massive, alors que les températures augmentent et rendent la planète invivable. Si vous croyez que l'espèce humaine réagira rationnellement à l'écocide, c'est que vous ignorez tout de la nature humaine. Vous devriez vous pencher sur le cas de Gaza. Et un peu d'histoire.
Si vous vivez dans le nord, vous verrez l'horreur de loin, mais elle migrera lentement vers chez vous à mesure que le climat se dégradera, faisant de la plupart d'entre nous des Palestiniens. Et compte tenu de notre complicité dans ce génocide, c'est tout ce que nous méritons.
Les empires, face à toute menace, ont toujours recours au génocide. Qu'on demande aux victimes des conquistadors espagnols. Ou aux Amérindiens. Aux Herero et aux Nama. Aux Arméniens. Aux survivants d'Hiroshima ou de Nagasaki. Aux Indiens rescapés de la famine du Bengale, aux Kikuyu insurgés contre leurs colonisateurs britanniques au Kenya. Les réfugiés climatiques connaîtront le même sort.
Ce n'est pas la fin du cauchemar. Ce n'est que le début.