15/12/2025 dedefensa.org  12min #298985

La peur et l'insurrection

 Bloc-Notes  

• Une vision inédite du sentiment des Etats-Unis, avec leur jugement si catégorique objectivement favorable aux poussées de populisme antiSystème dans un Système qu'ils furent les premiers à mettre en place et qui est devenu bruxellois et totalitaire. • Pourtant et "en même temps", comme dit notre pied-nickelés présidentiel, jamais les citoyens domptés par la "société du spectacle" n'ont été aussi prêts à s'insurger contre la "société du théâtre" qui gruge d'abord l'auteur et ses interprètes. • Car Schopenhauer avait annoncé en son temps la tragédie-bouffe.

16 décembre 2025 - Décidément, nous le remarquons une fois de plus, le rapport NSS-2025 fait beaucoup de bruit, dépassant largement toutes les polémiques et querelles autour de Donald Trump. Et, au cœur de cette NSS2025, c'est bien la critique furieuse de l'évolution de l'Europe qui tient la vedette. Il s'agit de ce passage et de ces multiples remorque qui dénoncent "l'effondrement civilisationnel" de l'Europe. On y voit les États-Unis, qui ont passé plus d'un demi-siècle à étouffer les velléités d'indépendance, de souveraineté des pays européens, pousser les hauts cris dans un document absolument officiel, en réclamant que les pays européens se débarrassent du totalitarisme économique et du génocide culturel et identitaire exercés par l'Europe-UE (Bruxelles) contre les "États-membres", - réclamant que ces "États-membres" redeviennent indépendants, souverains et retrouvent leur culture et leur identité.

Que se passe-t-il donc  ? Est-ce une manœuvre vicieuse de plus de la part des Etats-Unis, un complot de plus fomenté contre l'Europe ("diviser pour régner" par exemple)  ? Mais si l'on prend en compte et en compote tout ce qui s'est passé depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et la marche de l'"américanisation" de l'Europe par le biais de l'Europe-UE, cela n'a guère de sens puisque c'est craindre et dénoncer le monstre qu'on a soi-même fabriqué, chez Ford et à la General Motors, pour fabriquer une "Europe" sous surveillance.

Alors, - si nous cessons enfin ce petit jeu du "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué", si nous retrouvons justement l'explication des choses les plus évidentes, on revient à une hypothèse effectivement très simple : la peur de l'Amérique devant l'effondrement culturel, démographique, - c'est-à-dire l'"effondrement civilisationnel" de l'Europe, cette dynamique d'effondrement qui la menace elle-même (l'Amérique) et la menacera de plus en plus.

C'est le philosophe italien Andrea Marcigliano qui développe l'hypothèse (original sur ' electromagazine.it', traduction sur ' euro-synergie-hautefort.com).

« La peur de Washington

« Les États-Unis sont inquiets. Très inquiets. Pour l'avenir de l'Europe.

« Cela peut nous sembler étrange, étant donné que Washington est désormais dirigé par une administration qui semble très éloignée de l'Europe. Tant dans son style que dans son contenu.

« Une administration bien représentée par Donald Trump. Non pas un cow-boy excentrique, comme continue de le définir une certaine partie de notre cirque médiatique. Mais plutôt l'homme qui incarne et donne une voix à l'Amérique profonde. Loin, très loin de la «sensibilité européenne » proclamée et autoréférentielle (et presque onaniste).

« Et pourtant, c'est précisément cette Amérique qui est préoccupée. Parce qu'elle voit avec une lucidité détachée la dérive européenne. Et elle est consciente de ce que cela pourrait entraîner dans un avenir immédiat. Même, et surtout, pour les États-Unis.

« C'est ce que nous disent les analystes russes. De plus en plus attentifs à ce qui se passe dans le camp occidental. Dans le camp, disons-le clairement, de «l'ennemi».

« C'est une nouvelle qui a eu très peu d'importance dans nos médias, trop occupés à étudier ou à contempler des choses vraiment intéressantes. Comme les disputes télévisées entre Meloni et Schlein sur des questions fondamentales telle le genre. Ou les logorrhées de certains représentants de la majorité sur les chats errants de Cosenza. Ou celles de Picierno et de ses compagnons sur l'antisémitisme rampant et les crèches non inclusives. Des choses de cet acabit. Des choses sérieuses. Il n'y a pas de temps d'antenne ou de place dans les colonnes des quotidiens pour des futilités comme le déclin de l'Europe selon Washington.

« À tel point que j'ai trouvé cette information, fournie par un analyste russe, sur Internet, grâce à mon ami Corrado Caldarella. Un autre vieux schnock, comme moi, qui perd son temps avec ce genre de préoccupations.

« Quoi qu'il en soit, comme je le disais, Washington est très inquiet. Car, si cela continue ainsi, l'Europe va complètement se dénaturer. Ou, plus simplement, disparaître.

« La vague montante d'immigrants en provenance du sud du monde. La chute vertigineuse de la natalité. L'augmentation de l'âge moyen des citoyens... qui, soit dit en passant, a atteint 50 ans en Italie. Et puis, il y a ce génie de Crosetto qui voudrait réintroduire le service militaire obligatoire...

« Des futilités, comme je le disais. Mais qui inquiètent Trump et son entourage. Car ils doivent commencer à raisonner comme si l'Europe n'existait plus.

« Des millénaires d'histoire effacés en peu de temps, par la folie de la Commission et des gouvernements subordonnés aux intérêts financiers et spéculatifs.

« La perspective d'un vide, qui sera comblé par les Asiatiques, les Africains... comme c'est déjà le cas en Grande-Bretagne.

« Les États-Unis commencent à se sentir de plus en plus seuls.

« Isolés dans leur périphérie, certes vaste, du monde.

« Seuls. Face à la marée montante de l'Eurasie russe. De peuples encore jeunes, peut-être sauvages. Mais qui représentent l'avenir.

« Comme les barbares de Kavafis.

« Mais ne vous inquiétez pas. Ce qui compte vraiment, ce sont les droits des homosexuels unijambistes, des remboursements médicaux pour les candidats transgenre et autres absurdités de ce genre. »

En attendant l'insurrection

Marcigliano cite le poète grec Konstantinos Petrou Kavafis (nom orthographié également en anglais, sa deuxième nationalité, 'Constantine P. Cavafy', ou 'C.P. Cavafy') et fait allusion à son poème « En attendant les barbares ». L'IA nous donne un résumé tout à fait convenable de ce poème datant de 1904 et significatif du pessimisme antimoderniste du poète, de sa nostalgie et de son constat de l'inéluctabilité de la Chute. (Ce poème de Cavafy a notamment inspiré 'Le désert des Tartares' de Dino Buzzati, cet homme qui écrivit cette phrase qui aurait tout pour être fameuse : « Dieu qui n'existe pas, je T'implore ».)

« Le poème "En attendant les barbares" de Cavafy dépeint une ville paralysée par l'attente d'une invasion. Ses dirigeants et ses citoyens se préparent à l'arrivée de "barbares" censés apporter le changement, mais ces derniers ne viennent jamais, les laissant dans un état de confusion et leur faisant prendre conscience de la stagnation de leur propre société. Le poème utilise cette menace imminente comme métaphore d'une société devenue si décadente et dépendante d'une menace extérieure pour donner un sens à son existence qu'elle ne peut plus fonctionner. Les dernières lignes révèlent que les barbares représentaient une sorte de "solution" à leurs vies vides de sens. »

Effectivement, cette description, bien que le poème semble inspirée plus par la chute de la Rome lors de l'invasion des "barbares" de 410-411 que par celle que nous attendons, pourrait aussi bien décrire l'attitude des élites et des dirigeants actuels des pays européens et des fonctionnaires technocrates de l'Europe-UE, notamment devant l'immigration, qui est certainement l'un des principaux facteurs de l'évolution décadente de l'Europe et de la "peur de Washington", si l'hypothèse est retenue. Il y a une autre hypothèse beaucoup plus opérationnelle concernant l'évolution de l'Europe, qui alimente également les craintes de Washington et semble l'issue inéluctable pour nombre d'analystes.'

Dans une conversation avec Glenn Diesen sur sa chaîne d'information, Alastair Crooke évoque cette hypothèse en rejoignant l'avis de Chas Freeman , ancien diplomate du département d'État, récemment invité par Diesen. Les deux hommes, âgés, expérimentés, artistes dans l'art de la diplomatie et ennemis des emportements incontrôlés et donc bien peu suspects de jugements irréfléchis, arrivent à la même conclusion de l'insurrection des populations européennes contre leurs élites, la jugeant rationnellement complètement justifiée et inévitable.

C'est bien sûr un facteur absolument fondamental dont ne tiennent pas compte les dirigeants américanistes qui craignent pour la civilisation européenne qu'ils ont tant contribué, - que tous, en Europe et aux USA, ont tant contribué à miner et à désintégrer. Il s'agit bien de cette époque, la nôtre, où la prévisibilité semble instruite par l'évidence mais se heurte brutalement à des événements extrêmement rapides et complètement imprévisibles pour son champ d'exploration, se produisant sur d'autres théâtres avec des effets immédiats sur celui qu'on est en train d'évaluer. La prévision des choses, pourtant si évidente sur le théâtre qu'on est en train de considérer, développe des évidences contradictoires et, par conséquent, devient comme du sable et de l'eau dans les mains qui croient les saisir. La société du spectacle fait pour divertir le spectateur et l'empêcher de s'attacher au vrai, se transmue en société du théâtre où les auteurs et ses interprètes qui entendent berner, leurrer et renarder les spectateurs, se font eux-mêmes berner, leurrer et renarder par eux-mêmes. Et la  tragédie-bouffe règne...

Glenn Diesen : «...l'Europe pourrait réellement prospérer si nous consacrions davantage d'efforts à coopérer avec la Russie. Mais au lieu de cela, eh bien Chas Freeman a fait remarquer que nous pourrions être confrontés à un moment prérévolutionnaire en Europe car il y a eu tant de marginalisation de l'opposition et des médias. Et maintenant avec les problèmes économiques croissants que vous avez mentionnés, nos dirigeants disent plus ou moins que nous devons nous préparer à la guerre avec la Russie et tous ces mensonges accumulés au cours des dernières années sont en train d'être révélés. Voyez-vous la possibilité d'un bouleversement politique massif due à une crise de légitimité politique ou est-ce exagéré ?

Alastair Crooke : « Oh, je pense qu'au contraire, c'est sous-estimé. Absolument. Je veux dire, la direction européenne a placé l'Europe dans une situation catastrophique. Vous en connaissez les détails et les gens qui regardent ceci aussi, j'en suis sûr. Le modèle économique de l'Europe s'est effondré. Le niveau de vie des Européens s'effondre. Il y a d'énormes tensions dans d'autres domaines comme l'immigration. Et tous les ponts politiques de sortie ont été délibérément détruits par l'Union européenne et leur insistance sur un cordon sanitaire. Ce ne sont que des partis centristes, souvent minoritaires.

« Et vous savez, le NSS avait tout à fait raison à ce sujet. Ce n'est ni démocratique ni particulièrement légitime. Et tout le processus a été si mal géré que l'Europe se retrouve dans une situation catastrophique. Elle est en mauvais terme avec la Chine, en mauvais terme avec la Russie. et en mauvais terme avec l'Amérique, du moins avec cette administration. Je sais qu'ils espèrent peut-être qu'il y aura bientôt un nouveau président, mais l'espoir n'est pas une stratégie. » Pendant ce temps, ils ont abandonné leur propre énergie en échange de gaz naturel liquéfié américain extrêmement coûteux. C'est un désastre. Et je pense que la réponse à votre question, que faire est très évidente. Si vous protestez en Europe, vous serez réprimé et violemment réprimé.

« Vous avez vu ce qui s'est passé à Paris lors des manifestations  ? Tout cela fait clairement partie d'un plan concerté et délibéré pour empêcher les protestations. Les manifestations sont une bannière réactive, des bannières assez fortes. Je crois que les Français ont eu à un moment donné quelque chose comme 80 000 policiers anti-émeutes affrontant les manifestants. Je veux dire, c'est la guerre. Cela ne ressemble pas à du maintien de l'ordre. Et la même chose, on ne rapporte tout simplement pas qu'il y a des manifestations et des grèves dans des endroits comme l'Italie, à peine mentionné dans la presse, des régions entières de l'Italie à l'arrêt. Pas trop de violence mais un peu quand même. Et si les manifestations ne fonctionnent pas, si la création d'un parti d'opposition alternatif ne fonctionne pas, regardez ce qui leur est arrivé. Ils ont tous été, vous savez, qualifiés d'extrême droite ou menacés d'interdiction, tous leurs dirigeants sont pris pour cible, par des procédures judiciaires ou accusé de quelque forme que ce soit.

« Je veux dire que ce soit en Roumanie, en Moldavie ou en France, c'est la même chose. Vous fondez un parti qui n'est pas dans le cercle sanitarisé et les dirigeants qui sont attaqués seront qualifiés de corrompus ou hors la loi. Or, si les manifestations ne fonctionnent pas, si le vote ne fonctionne pas, si vous n'avez que Bonnet Blanc et Blanc Bonnet pour qui voter, à quoi bon, à mesure que les choses empirent, que les gens s'appauvrissent et que la vie devient terriblement très difficile pour eux... Alors oui, ils se tourneront vers l'insurrection. »

Et la  tragédie-bouffe règne...

Schopenhauer y pensait-il lui-même lorsqu'il écrivit ceci, qui nous semble, tant les choses vont vite, donner une nouvelle nature d'événements où le tragique et le bouffe ne sont pas des données séparées que l'on affronte comme il les décrit, mais bien des données mélangées et transmuées en cet événement inédit qu'est la tragédie-bouffe. Même les "hommes-femmes sérieux" de notre époque sont des personnages sérieux qui sont bouffes jusqu'à transformer la tragédie en événement bouffe. La pompe et la gravité chaleureuse qu'ils mettent dans les automatismes robotisés qui sont les moteurs à post-combustion de leurs discours constitués massivement de simulacres édifiés à coups de mensonges de première catégorie parviennent effectivement à faire du bouffe de la tragédie, et vice-versa, - d'où le nom composite de leur spécialité, - "Ces dames et ces messieurs sont des tragédiens-bouffe, c'est-dire des transgenres ayant réussi à marier des sentiments-genres si opposés jusqu'à ce qu'on ne distingue plus ce qui est 'trans' ni dans un sens, ni dans l'autre, - et d'ailleurs quelle importance ?".

Comprenez-vous pourquoi Schopenhauer à-la-vue-si-perçante, était si désespéré derrière sa vision de l'absurdité de notre condition  ? C'est de la prémonition...

« La vie de tout un chacun, lorsqu'on la parcourt du regard en gros et en général, et qu'on n'en retient que les traits significatifs, est au fond toujours une tragédie ; mais lorsqu'on la parcourt en détail, elle revêt le caractère d'une comédie. Car l'agitation et la peine du jour, l'incessante taquinerie de l'instant, les désirs et les craintes de la semaine, les accidents de chaque heure occasionnés par le hasard toujours prompt à faire des farces, sont autant de scènes comiques. Mais les désirs jamais réalisés, les efforts empêchés, les espoirs écrasés sans pitié par le destin, les erreurs funestes de la vie, avec, à la fin, l'augmentation des souffrances et la mort, donnent toujours une tragédie. Puisque le destin a tenu à ajouter la dérision à la misère de notre existence, notre vie doit contenir toutes les douleurs de la tragédie sans que nous puissions nous prévaloir de la dignité des personnages tragiques ; dans les plats détails de la vie, nous devons être, au contraire, des personnages comiques inévitablement niais. » (Extrait de 'Le monde comme volonté et comme représentation', titre annonçant le spectacle qui va devenir théâtre)

Mis en ligne le 16 décembre 2025 à 07H15

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