
par Amal Djebbar
Il existe dans la vie une loi silencieuse : nul ne traverse l'existence sans tomber. La chute n'est pas un échec, mais une initiation. C'est dans la poussière que se révèle la lumière. Là où tout semble perdu, commence l'apprentissage du relèvement, cette alchimie secrète entre la douleur et l'éveil.
La chute n'est pas un accident du chemin, mais son essence même. L'existence humaine est une suite de chutes et de relèvements, un rythme sacré, une respiration entre l'obscurité et la lumière. Chaque effondrement est une initiation secrète, une invitation à descendre dans les profondeurs de soi pour mieux renaître.
Tomber, ce n'est pas échouer. C'est être rappelé à la gravité du monde, à la densité de notre condition terrestre. Quand la vie nous jette à terre, elle nous ramène au sol, au contact de la matière, de l'argile et du réel. Elle nous dépouille des illusions d'immortalité et de contrôle. Le sol, dans sa froideur, est le lieu du dépouillement. On y perd le superflu, les masques, les postures. Là, face à la poussière dont nous sommes faits, nous rencontrons l'humilité de l'être.
Mais la chute n'est pas la fin. Elle est le seuil. C'est depuis ce point de contact avec le néant que peut surgir la lumière. Se relever n'est pas un acte physique, mais un mouvement intérieur. Ce n'est pas tant le corps qui se redresse que l'âme qui se souvient de sa verticalité. L'esprit humain, même brisé, conserve cette mémoire du haut. Quelque chose en nous demeure debout, même quand tout s'effondre.
La chute sur la Terre est une descente initiatique, une opportunité d'apprentissage et de retour vers Dieu par la connaissance et la prière. Dans chaque tradition, la chute est l'épreuve nécessaire de l'élévation. L'univers tout entier respire selon cette loi : la mort nourrit la vie, la nuit prépare l'aube. Rien ne pousse sans être d'abord enfoui dans la terre sombre. Il n'y a pas de relèvement sans passage par la chute, comme il n'y a pas de sommet sans vallée.
Cette dynamique révèle la nature paradoxale de la liberté. Nous ne choisissons pas de tomber - la vie s'en charge. Mais nous pouvons choisir la manière de nous relever. C'est là que s'exerce notre pouvoir intérieur. La liberté n'est pas d'éviter les épreuves, mais d'en faire des lieux de transfiguration. Se relever, c'est dire à la vie : je suis plus que ce que tu m'imposes. C'est affirmer la souveraineté de l'esprit sur le destin.
La chute est une initiation du feu. Elle brûle ce qui en nous n'est pas essentiel. Quand tout s'écroule, ce qui reste est la flamme nue de l'être. Cette flamme, fragile et invincible à la fois, est le témoin du divin en nous. C'est elle qui murmure, au fond de la désolation : relève-toi, car tu n'as jamais vraiment chuté. Puisque dans la perspective de l'âme, la chute est une illusion : nous ne faisons que traverser les niveaux de conscience, du plus dense au plus subtil, pour apprendre à nous reconnaître dans tous.
«Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas». dit Thot. Se relever, c'est accomplir ce principe alchimique : unir l'argile et la lumière, le corps et l'esprit, la chute et l'élévation. La descente dans les ténèbres est nécessaire pour manifester la clarté du ciel en soi. Ainsi, chaque chute devient un acte d'alchimie intérieure, un retour à l'équilibre entre le visible et l'invisible.
Se relever, ce n'est pas revenir à ce que nous étions avant la chute. C'est devenir autre. C'est renaître. Celui qui s'est relevé ne marche plus de la même façon : il porte dans ses pas la gravité du sol et la légèreté du ciel. Il sait que la chute est la compagne fidèle de toute ascension, et qu'on ne peut s'élever sans accepter de tomber encore.
La vie vous mettra toujours à terre - parce que c'est là que commence le vrai voyage. La terre est la mère et la tombe, le point de départ et le retour. Et chaque fois que vous vous relevez, vous participez au grand mystère de la création : celui d'une conscience qui, tombant dans la matière, se souvient peu à peu qu'elle est faite de lumière.
M'hamed Issiakhem, Femme et Mur (1977‑78).
