
Par Lubna Masarwa
Lorsqu'une vidéo montrant des soldats israéliens violant un prisonnier palestinien a fait surface l'année dernière, l'indignation en Israël a été immédiate, mais pas à cause du crime.
Au lieu de cela, la colère s'est dirigée vers l'origine de la fuite.
La semaine dernière, Yifat Tomer-Yerushalmi a démissionné de son poste d'avocate de l'armée israélienne après avoir confirmé son implication dans la fuite d'images de vidéosurveillance provenant de l'intérieur du tristement célèbre camp de détention de Sde Teiman pendant la guerre génocidaire menée par Israël contre Gaza.
Sur ces images, on pouvait voir des soldats israéliens lourdement armés attraper et emmener un prisonnier palestinien aux yeux bandés, avant de l'entourer de boucliers anti-émeutes pour dissimuler leur viol collectif.
L'homme palestinien, qui selon certaines informations aurait depuis été renvoyé à Gaza, a subi des blessures à l'anus, une rupture intestinale, des lésions pulmonaires et des côtes cassées.
Après la divulgation de ces images, Tomer-Yerushalmi, qui a passé toute sa carrière à défendre l'armée israélienne, s'est retrouvée harcelée par des politiciens de droite.
Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a critiqué l'avocate, affirmant qu'elle « avait agi contre nos soldats » et « collaboré à la divulgation d'informations antisémites ».
Pendant ce temps, les soldats impliqués dans le viol ont tenu une conférence de presse pour réclamer une indemnisation pour « atteinte à leur image ».
Dans un pays qui se targue constamment de respecter l'État de droit, cet épisode aurait dû susciter une remise en question morale. Au lieu de cela, il a révélé à quel point la déshumanisation des Palestiniens est profonde et à quel point la violence sexuelle et la torture sont devenues courantes dans les centres de détention israéliens.
Lors de leur conférence de presse devant la Haute Cour, les quatre soldats qui ont violé collectivement la Palestinienne se sont vantés d'être toujours en liberté.
Portant des cagoules, dans le but d'échapper à des poursuites devant la Cour pénale internationale (CPI), les hommes ont déclaré : « Nous vaincrons ».
« Vous avez essayé de nous briser, mais vous avez oublié une chose : nous sommes une unité de 100 hommes ».
Ils n'avaient pas honte. Ils étaient même enhardis.
Le message était sans équivoque : en Israël, même le viol peut être présenté comme un acte héroïque lorsque la victime est palestinienne.
Pendant ce temps, les dirigeants du pays ont serré les rangs autour des auteurs.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a refusé de dénoncer l'agression. Au contraire, il a qualifié la fuite d'« attaque propagandiste peut-être la plus grave que l'État d'Israël ait connue depuis sa création ».
Il se souciait de l'image d'Israël, et non de l'homme brutalisé à l'écran.
Cette inversion morale n'est pas un échec isolé. Un récent rapport du groupe israélien de défense des droits humains B'Tselem, intitulé « Welcome to Hell » (Bienvenue en enfer), a documenté les abus systématiques commis à l'encontre des détenus palestiniens depuis qu'Israël a lancé sa guerre contre l'enclave.
Cinquante-cinq anciens prisonniers ont décrit des passages à tabac, des privations de sommeil et des violences sexuelles.
Fadi Baker, 25 ans, se souvient que des soldats l'ont brûlé avec des cigarettes et lui ont attaché les parties génitales à des objets pesants.
Il a ensuite été laissé nu dans une cellule glaciale pendant deux jours, avec de la musique à plein volume. Au au moins 81 décès de Palestiniens en détention israélienne depuis le début de la guerre, ont été répertoriés à ce jour.
Ces témoignages brossent le tableau d'un système de détention régi par l'impunité.
Même lorsque des preuves apparaissent, comme ce fut le cas l'année dernière dans les installations de Sde Teiman, où des soldats ont été arrêtés pour abus, les personnalités politiques se précipitent pour défendre les accusés.
Des membres d'extrême droite de la Knesset ont pris d'assaut des bases militaires, menacé des procureurs et accusé le corps juridique de l'armée de « trahir » la nation.
Les réseaux sociaux ont été inondés d'appels à « brûler » et à « lapider » les fonctionnaires enquêtant sur les soldats.
Depuis qu'Israël a lancé son offensive sur Gaza, les abus sexuels et les tortures infligés aux Palestiniens se sont multipliés dans les territoires occupés, comme l'ont documenté à plusieurs reprises les Nations unies et les organisations de défense des droits humains.
Le prétendu statut de « l'armée morale », voire de « l'armée la plus morale au monde », dont se targue l'armée israélienne s'est avéré n'être qu'une nouvelle tentative de relations publiques visant à dissimuler les crimes commis par Israël contre le peuple palestinien.
En Israël, la fuite de la vidéo a davantage bouleversé les Israéliens que le crime lui-même.
Elle a révélé qu'Israël avait perdu toute capacité d'indignation morale lorsque les victimes sont palestiniennes.
Auteur : Lubna Masarwa

* Lubna Masarwa est journaliste et chef du bureau Palestine et Israël de Middle East Eye, basé à Jérusalem. Son compte Twitter.
3 novembre 2025 - Middle-East-Eye - Traduction : Chronique de Palestine
