
Agustin Maldonado
CHILI : Un an après sa disparition, Julia Chuñil attend toujours justice
Le 8 novembre 2025 marquera un an depuis la disparition de Julia Chuñil Catricura, 72 ans, dirigeante mapuche et présidente de la communauté de 17 familles de Putreguel (Région de Los Ríos, Chili). Malgré les promesses des autorités chiliennes, aucune avancée significative n'a été enregistrée dans l'enquête. L'association Al Sur exige que toute la lumière soit faite sur cette disparition et que justice soit rendue.
Qui est Julia Chuñil ?
Mère de 5 enfants et grand-mère de 10 petits-enfants, Julia Chuñil se définissait elle-même comme « cheffe de famille et combattante ». Depuis 2015, elle menait l'occupation et la protection d'un terrain de près de 900 hectares, dont une grande partie de forêt naturelle et cinq cours d'eau, espérant sa régularisation foncière par la CONADI (Corporation nationale pour le développement autochtone).
Elle y vivait de manière précaire, sans électricité, ni eau potable, ni couverture téléphonique, pratiquant une agriculture paysanne de subsistance. Profondément engagée dans la revitalisation de la culture mapuche, Julia organisait des *trafkintü* (trocs), ces espaces d'échange non monétaires de semences, plantes, artisanat et savoirs qui tissent les réseaux de solidarité communautaire.
« On partage avec les personnes, parfois d'autres communautés, on récupère nos graines, c'est important. Les graines qu'on récolte, on les échange contre des choses qu'on n'a pas. J'aime participer et ramener des boutures, des graines, de la farine, tout ce que je fais dans ma maison »*, confiait-elle quelques mois avant sa disparition.
Des menaces avant la disparition
Malgré les pressions constantes qu'elle subissait de la part de l'entrepreneur forestier Juan Carlos Morstadt Anwandter, Julia refusait de quitter ses terres ancestrales. Peu de temps avant sa disparition, elle confiait à sa famille, prémonitoire : **« S'il m'arrive quelque chose, vous savez déjà qui c'est »**, en faisant allusion à J.C. Morstadt.
Le 8 novembre 2024 : une disparition inexpliquée
Ce jour-là, Julia est partie avec trois de ses chiens pour surveiller ses animaux dans les collines voisines. Seuls deux chiens sont revenus. Julia et son jeune chien Cholito, qui ne la quittait jamais, n'ont jamais été retrouvés. Aucune trace d'elle n'a été découverte depuis.
Ses enfants, soutenus par la Fondation Escazú, ont porté plainte pour enlèvement, évoquant la possibilité d'un féminicide politique.
Une enquête défaillante et opaque
L'enquête a été marquée par une succession de quatre procureurs différents et souffre d'un manque flagrant de continuité et de transparence. Les avocats de la famille dénoncent :
- La fuite du dossier confidentiel vers les médias
- L'absence de moyens techniques adéquats (géoradar, drones)
- Des perquisitions répétées et violentes visant la famille de Julia, transformant les victimes en suspects.
Un témoignage accablant
Dans un enregistrement issu d'une conversation téléphonique exposé auprès d'organismes de défense des droits humains, J.C. Morstadt confie à son père : « Julia Chuñil, ils l'ont brûlée »
Cette révélation insoutenable doit accélérer le processus d'enquête afin que justice soit faite.
Une campagne médiatique de dénigrement
Le 12 octobre 2025, un reportage diffusé sur Canal 13, chaîne de télévision nationale chilienne, a remis en question l'engagement de Julia Chuñil au sein du mouvement mapuche et écologiste. Les journalistes ont insisté sur une prétendue culpabilité de ses enfants dans sa disparition, sans aucune preuve concrète.
Silencieux durant plus de 11 mois, les médias dominants sortent de leur réserve pour protéger l'industrie forestière, niant une fois de plus la subjectivité politique de Julia Chuñil et, par extension, celle des femmes autochtones.
Un gouvernement aux promesses non tenues
Cette disparition revêt une portée symbolique d'autant plus forte qu'elle survient sous un gouvernement qui s'était engagé à résoudre la dette historique de l'État chilien envers la nation Mapuche.
Si le président Gabriel Boric a publiquement exprimé sa préoccupation pour la disparition de Julia Chuñil et promis de poursuivre les recherches, sa déclaration n'a été suivie d'aucune avancée concrète.
D'autres défenseuses menacées
Aujourd'hui, d'autres défenseuses territoriales continuent leur lutte malgré les menaces. C'est le cas de la machi (chaman) Millaray Huichalaf, engagée depuis quinze ans pour la défense du fleuve Pilmaikén (Los Ríos) contre l'entreprise norvégienne Statkraft et sa centrale hydroélectrique.
En août 2025, l'entreprise a ouvert les vannes du barrage sans prévenir, alors que la machi et sa communauté célébraient une cérémonie sur le fleuve. La crue provoquée a emporté une jeune fille et un homme qui tentait de la sauver. Depuis, Millaray Huichalaf fait face à des intimidations policières et à une criminalisation de sa lutte.