16/10/2025 ssofidelis.substack.com  10min #293581

Nu en noir et blanc

Par  MR. FISH, le 6 août 2025

"Il ne suffit pas de gagner une guerre ; il importe surtout d'instaurer la paix". ― Aristote

Lors d'une visite au Smithsonian National Air and Space Museum à Washington, D.C., alors que j'avais 11 ans, j'ai découvert que la bulle transparente d'un avion de chasse d'où un mitrailleur tire avec sa mitrailleuse s'appelle un "blister". Cette découverte m'a semblé quelque peu dérangeante, comme si tout avion chargé de semer le chaos dans les entrailles tendres et gluantes des êtres humains devait, par une sorte de jurisprudence cosmique, se couvrir de cloques et de pustules. Comme la cirrhose frappe un alcoolique ou la syphilis une prostituée, l'apparition soudaine de blisters gigantesques et non aérodynamiques sur le dos, le ventre et la queue d'un avion moralement corrompu par son addiction à la violence se manifestant par des yeux exorbités. Si j'avais visité le musée ne serait-ce qu'un an auparavant, j'aurais peut-être été moins sensible aux spécificités techniques de l'agression militaire, préférant flâner tout l'après-midi autour du module de commande d'Apollo 11 ou contempler le ventre argenté du Spirit of St. Louis, et me délecter de la fierté et de l'optimisme autrefois prêtés à l'Amérique par le célèbre sympathisant nazi et eugéniste Charles Lindbergh. Mais il se trouve qu'on m'avait récemment montré une photo déchirée de l'actrice Susan Dey, de la série The Partridge Family, sans sa chemise, et mes priorités avaient changé.

La photo, manifestement arrachée à la hâte dans un magazine et passée de mains en mains avec tant de célérité par toute la classe de sixième que sa texture ressemblait moins à du papier qu'à de la dentelle, montrait Laurie Partridge elle-même, allongée, seins nus, sur un lit défait, la bouche en forme de petit arc, les seins fermes comme des tasses à thé renversées, les tétons pointus comme des boutons de rose pressés dans une poche à douille. Aussi vulgaire et grossière que cette description puisse me paraître aujourd'hui, il n'y avait pas d'autre façon pour un enfant de 11 ans de découvrir une femme nue, car l'anatomie féminine était alors une nouveauté absolue, faisant de la notion d'objectivation une simple expression de 16 lettres qui, comme l'assurance maladie, allait finir par m'intéresser. Cela dit, lorsque j'ai vu cette photo en 1977, qui, comme je l'ai découvert plus tard, était tirée d'un film intitulé First Love, mes opinions politiques se sont instantanément alignées sur celles défendues par le personnage incarné par Dey à la télévision. Comme soudain été délivré des entrailles d'une caverne obscure, j'ai commencé à tâtonner pour trouver la clarté que représentaient le pacifisme ringard, le féminisme peu convaincant et le dévouement enthousiaste à la justice sociale de Laurie Partridge, et j'ai trouvé refuge en moi-même, en supposant que seul une hippie de plus m'offrirait l'accès à ce que je savais exister sous son poncho à franges et à fleurs.

J'ai repensé à Susan Dey, aux blisters et au statut de hippie en octobre 2011, alors que je tournais près du Musée de l'air et de l'espace à la recherche d'une place de parking. J'étais à Washington pour prêter mon corps et ma rancœur aux manifestants d'Occupy Wall Street rassemblés sur la Freedom Plaza pour leur première journée de mobilisation. J'étais seul - ceux que je connaissais devaient tous travailler - et j'étais impatient de rencontrer des inconnus partageant les mêmes idées et de vivre le frisson unique que procure la camaraderie entre intrus béats et moralement ancrés. "Quoi ? !" a crié ma femme dans l'écouteur de mon téléphone portable, d'une voix métallique affaiblie par l'ultra technologie que je tenais à la main.

"Je me suis perdu !" ai-je répondu en criant pour couvrir le vacarme des voitures et des piétons alentours. "Je croyais voir d'autres manifestants avec des pancartes et des sacs de couchage et les suivre", ai-je dit en regardant de tous côtés, "mais il n'y a personne de ce genre, juste des connards en costume !"

"Je ne t'entends pas !" a-t-elle hurlé. "Où est Freedom Plaza ?!" ai-je crié. "Friedman ?!"

"Freedom ! LIBERTÉ !" ai-je répondu, attirant tous les regards en imitant involontairement le célèbre antisémite et misogyne au visage rougeaud et fervent admirateur de Jésus, Mel Gibson.

Après avoir été orienté par ma femme vers le site de la manifestation, qui m'a guidé avec brio depuis une pièce sans fenêtre, à une centaine de kilomètres de là, j'ai franchi une arche à l'angle sud-est de Freedom Plaza. Cette arche se composait de deux drones RQ-1 Predator en carton fixés sur de grands poteaux. L'ironie du parallélisme était trop grossière pour être appréciée. Pendant les deux heures suivantes, j'ai déambulé parmi les manifestants, lisant des pancartes faites maison, souriant aux t-shirts aux slogans humoristiques et discutant avec des révolutionnaires sur la fin du monde, les saisies immobilières et la société de demain, tout en écoutant d'une oreille distraite les organisateurs de l'événement et les orateurs enflammés qui, depuis la tribune improvisée, transformaient Marx, Debs et Guthrie en rimes faciles et en slogans simplistes. "Les dirigeants de Wall Street ne sont qu'une bande de tyrans !" a hurlé un trentenaire barbu, si maigre que le poids de ses lunettes gigantesques semblait le déséquilibrer. "Et les tyrans sont puissants ! Et ils sont cruels !" a-t-il conclu, invitant le public à applaudir et à lever le poing, façon de montrer leur dédain pour tous les capitaines d'équipe du collège qui les avaient choisis en dernier pour jouer au kickball. Les caméras ont filmé la scène sous tous les angles, procurant la désagréable impression que bon nombre de participants n'étaient pas vraiment des participants, mais plutôt des spectateurs espérant profiter de l'euphorie provoquée par le petit nombre de véritables fauteurs de troubles qui tentaient de toutes leurs forces de transformer ce carnaval "Fuck You" contre la modernité elle-même en un sit-in culturellement et politiquement viable contre, en particulier, ces riches Blancs.

À l'extrémité nord de la place, un père Noël en colère, vêtu d'un costume de velours rouge défraîchi, exprimait sa solidarité avec les manifestants tout en les traitant avec dédain, comme de vulgaires lapins dans son jardin. "L'Amérique est un État fasciste et corporatiste !" a-t-il craché, ses grandes mains menaçantes balayant l'air à tout va. "Ce foutu pays ne dit plus rien de vrai depuis le 22 novembre 1963 !" Puis, il se mit à chanter "God Bless America", insistant pour que tous se joignent à l'euphorie.

Des affiches retouchées sur Photoshop montrant Barack Obama moustachu à la Hitler, Benjamin Netanyahu moustachu à la Hitler, Hillary Clinton moustachue à la Hitler, Sarah Palin moustachue à la Hitler, Bill O'Reilly moustachu à la Hitler, ainsi que, pour les nostalgiques d'une époque plus naïve, Dick Cheney et George W. Bush moustachus à la Hitler, étaient postées un peu partout. Le petit carré noir s'est imposé comme la métaphore la plus dévastatrice pour les progressistes, un cri de ralliement pour ceux qui préfèrent le chaos du politiquement correct à l'humour subtil.

Des touristes de West Palm Beach, Buffalo et Saint-Paul traversaient la place, le visage crispé, et dont chaque regard semblait dire : "Comment osez-vous, sales beatniks, gâcher nos vacances en dénaturant l'image que nous avons de Washington, D.C., en exerçant les droits du Premier Amendement que chaque statue et monument de la ville considère comme sacrés !"

Zéro nuance à l'horizon.

"Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi on n'entend jamais de chansons sur la paix à la radio ?" Cette remarque, amplifiée par le système de sonorisation du rassemblement, m'est parvenue alors que je traversais la rue, après avoir repéré un Starbucks dont j'espérais capter gratuitement le signal Wi-Fi à travers la vitrine. "C'est parce que toutes les radios appartiennent aux entreprises !" a déclaré la voix, incitant la foule à protester bruyamment, beaucoup d'entre eux arborant des t-shirts ornés de symboles de paix provenant de Walmart, Old Navy et Urban Outfitters. Le regard rivé sur le large rebord d'un immense bac à fleurs en béton où j'avais repéré un espace vide entre deux manifestants de Wall Street tapant sur leurs ordinateurs portables, j'ai pressé le pas, animé par une soudaine envie de revoir une photo prise il y a 67 ans, près de la Papouasie-Nouvelle-Guinée dans le Pacifique Sud, pendant la Seconde Guerre mondiale. "Les entreprises n'aiment pas la paix, et c'est pourquoi vous n'entendez plus Pete Seeger et Peter, Paul et Mary à la radio !" L'unique marque d'approbation montrait que la majorité du public était trop jeune pour connaître Pete Seeger et Peter, Paul and Mary, et que l'autre moitié semblait réticente à soutenir vocalement un mouvement exigeant le retour de "Guantanamera" et "Stewball" sur les ondes commerciales.

Cette célèbre photo en noir et blanc prise en 1944 par le photographe Horace Bristol, de l'agence Time/Life, montre un mitrailleur en tenue d'Adam à bord d'un PBY lors d'une opération de sauvetage dans la baie de Rabaul. Le jeune soldat, dont on ne voit que le dos, est anonyme. Sa silhouette mince évoque davantage celle d'une gazelle que d'un guerrier, et l'inhibition transmise par son langage corporel rappelle les baigneurs de Thomas Eakins dans son chef-d'œuvre de 1885, The Swimming Hole. De minuscules gouttelettes de sueur ou d'eau de mer perlaient sur ses épaules et les courbes de son dos, sublimées par un rayon de soleil focalisé sur le petit creux au sommet de son postérieur. Ses cheveux ébouriffés et son casque sur les oreilles, il semblait prêt à affronter les périls de la guerre. Le ciel déchiré par les tirs antiaériens japonais semblait animé par les bourdonnements meurtriers à travers l'énorme bulle qu'il occupait.

Ce qui me frappe le plus dans cette photographie, c'est la façon dont elle dépeint la vulnérabilité fascinante du corps humain. Ce gosse nu, sans doute à des milliers de kilomètres de chez lui, piégé dans l'ossature macabre d'une machine métallique géante conçue pour déclencher et contenir la cruauté humaine la plus brutale que l'homme moderne ait jamais imaginée, n'est qu'un corps vulnérable, dont la tendresse de l'âge, la beauté physique et la précaire condition réduisent à néant les affiliations politiques, les convictions religieuses et les préjugés culturels. Son existence, à l'instar du réalisme brut de son apparence, s'avère palpable, poignante et fragile, sans besoin de justification intellectuelle ni de validation bureaucratique pour prendre tout son sens, et incite l'observateur à affronter ses propres vulnérabilités humaines, soudain précieuses et sublimées par association.

Pour moi, c'était de la poésie et un appel à la fraternité universelle bien plus convaincants que la photo de Bob Gruen montrant John Lennon faisant le signe de la paix devant la statue de la Liberté, ou que la photo emblématique d'Alberto Korda du Che Guevara scrutant l'horizon en quête de l'aube révolutionnaire. Pour moi, il y a toujours eu une différence abyssale entre chercher l'inspiration pour vivre sa vie au travers de la poésie, et se tourner vers la religion, la politique ou l'économie pour trouver des réponses claires aux questions existentielles.

"Allez, bande de losers ! Soit vous commandez, soit vous déguerpissez !" nous a lancé un voyou de Starbucks en nous chassant du bac à fleurs en béton, comme si nous étions des pigeons. "Allez surfer sur internet chez McDo !", a-t-il ajouté, avec ses tatouages, ses piercings et son air désabusé, comme les manifestants qu'il venait de chasser. J'ai rangé mon ordinateur dans mon sac et suis retourné sur Freedom Plaza, me remémorant une phrase prononcée par Noam Chomsky en 1967, lorsqu'on lui a demandé son avis sur le fait que Bob Dylan semblait avoir déserté les mouvements contestataires de l'époque.

"Si la machine capitaliste de relations publiques avait voulu inventer quelqu'un pour servir ses intérêts, elle n'aurait pas pu faire un meilleur choix que Bob Dylan".

Ce que les détracteurs de Dylan n'ont pas compris, à l'époque, et ne comprennent peut-être toujours pas, c'est à quel point il est difficile de faire rimer "anti-establishmentarianisme" quand on essaie de créer une œuvre d'art qui redonne espoir, nourrisse l'âme et procure plus qu'un simple avis d'expert pour affronter un monde arrogant et cynique.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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