Faire de Gaza une « Riviera », selon les mots de Trump, sans aucune trace de cynisme, illustre l'écart absurde entre les ambitions géopolitiques et la réalité génocidaire sur le terrain. Entre Israël et les États-Unis, c'est l'amour, le vrai. Trump, en chef d'orchestre de la Pax Americana, donne le ton des cessez-le-feu orchestrés au Moyen-Orient.
Trump, qui n'est plus à une contradiction près, affirme : « 1,8 million de personnes doivent quitter cette zone-là, parce que ce ne sera jamais la paix et qu'il y aura toujours des bombardements. Qu'ils aillent dans d'autres pays comme l'Égypte ou la Jordanie. » Ce à quoi répond son acolyte de longue date côté Israël : « Les US prendront le contrôle de la bande de Gaza et nous y ferons aussi du bon travail ».
Quelles sont vraiment les ambitions des deux pays pour le Moyen-Orient ? Bien qu'ils donnent l'impression d'un projet commun, Trump exprime le contraire.
Le cas iranien
« Si l'on met de côté les "experts" médiatiques mobilisés par Israël et ses soutiens en Occident - annonçant depuis près de 40 ans que l'Iran serait "à quelques mois d'avoir la bombe", la majorité des spécialistes estiment qu'il faudrait un à cinq ans à Téhéran pour parvenir à un tel résultat », rappelle Le Monde diplomatique de juillet 2025, (p.7).
Pourtant, la directrice nationale du renseignement national américain, Mme Tulsi Gabbard, reconnaissait que l'Iran avait considérablement augmenté ses capacités balistiques conventionnelles, mais rejetait l'idée d'un engagement dans la production d'une bombe, ce que Trump contredit sans fondement deux mois plus tard.
À l'inverse, Israël disposerait de 90 têtes nucléaires, selon Le Monde diplomatique toujours, mais les sources divergent sur les chiffres, puisqu'il n'y en pas d'officielles.
Un ennemi pour nous rassembler tous ?
En ouvrant un nouveau conflit, l'État d'Israël se stabilise face à un ennemi commun, par peur des bombardements et de la guerre. Quoi de mieux pour un dirigeant fortement contesté pour ses politiques belliqueuses qu'une union sous les bombes ? Cet épisode de guerre iranienne lui a même valu un regain de popularité, selon un article d' Europe 1. Il a « réussi l'exploit d'empêcher toute enquête officielle sur les dysfonctionnements de l'armée et des services de sécurité à la veille des attaques du 7 octobre 2023 ».
Entre l'occupation du Liban, de la Palestine dont Gaza et la Cisjordanie, et l'appel des iraniens à la révolte contre leur dirigeant, n'excluant pas l'élimination du guide suprême, Israël n'a pas froid aux yeux dans ce contexte géopolitique tendu. Mais ce n'est là qu'une pratique courante - d'abord côté américain avec l'assassinat de Saddam Hussein - mais aussi côté israélien, lors de l'assassinat du chef du Hezbollah libanais tué dans un bombardement iranien.
« Le concept de changement de régime par la force est désormais brandi par Israël pour tordre le bras des pays arabo-musulmans qui continuent de refuser toute normalisation tant que la question palestinienne n'aura pas été réglée de manière équitable. » (source : Le Monde diplomatique, de juillet 2025).
Comprendre : il sera très dur pour l'État d'Israël de se faire entendre et respecter tant qu'il ne respecte pas l'État Palestinien, comme le montre l'Algérie « qui serait prête à normaliser ses relations avec Israël le jour même où il y aura un État palestinien». L'Égypte, sous le joug du dictateur Abdel Fattah al-Sissi, a même signé un accord de paix avec Tel Aviv, bien que la population demeure tout de même très hostile envers l'État hébreu, qui se qualifie de « seule démocratie du Proche-Orient ».
Le fait que l'État d'Israël s'appuie sur des dictateurs pour conclure des accords de paix bon marché montre qu'il a en réalité besoin de ces régimes autoritaires, même s'ils sont officiellement considérés comme des ennemis.
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Trump : une autre vision ?
Malgré les annonces scandaleuses de Trump sur l'idée de faire de Gaza la Riviera du Moyen-Orient, il négocie en ce moment même un cessez-le-feu temporaire de 60 jours, contre échange d'otages. Trump joue davantage au cow-boy du Far West qu'au chevalier blanc, et entend imposer sa vision à Netanyahu.
Le premier ministre israélien, de son côté, « va à Washington dans un contexte où il y a convergence essentielle entre les objectifs de Trump et [les siens] au Moyen-Orient : la neutralisation des "méchants acteurs" [régionaux - ndlr] selon leur vision, mais avec des objectifs qui se différencient », explique Philip Golub, professeur de relations internationales à l'Université américaine de Paris.
Si Trump et Netanyahu s'accordent sur la nécessité de contenir l'influence iranienne et de restructurer le Moyen-Orient autour d'un axe Israël-pays sunnites - notamment l'Arabie saoudite -, leurs ambitions divergent sur le rôle de chacun. Trump vise une domination américaine claire, avec un Israël aligné sur la stratégie US, quitte à lui imposer des décisions tactiques, comme le retrait de Gaza. Netanyahu, au contraire, veut conserver une autonomie stratégique, notamment pour poursuivre ses politiques d'annexion, sa ligne dure sécuritaire et sa gestion interne du Hamas, perçu comme un outil de division palestinienne utile.

Dans un article de Mediapart, Philip Golub résume ainsi que « Netanyahu veut garder ses marges de manœuvre, y compris à Gaza, tandis que Trump voudrait que Netanyahu plie sa politique dans celle des États-Unis », ajoute-t-il, avec une ambition de grande reconfiguration du Moyen-Orient autour de l'Arabie saoudite, des pays sunnites du Golfe et d'Israël, sous tutelle américaine, pour « créer une nouvelle zone de prospérité économique ».
En creux, ce bras de fer traduit une rivalité pour le leadership régional : Trump cherche à apparaître comme l'architecte d'un « nouvel ordre » moyen-oriental, tandis que Netanyahu, en difficulté sur le plan intérieur, joue sa survie politique en renforçant son image d'homme fort intransigeant.
Derrière les ambitions diplomatiques de reconfiguration régionale, se cache une logique capitaliste de guerre et de reconstruction. Israël est l'un des leaders mondiaux de la cybersécurité, de la surveillance algorithmique et de la technologie militaire exportée, y compris testée en conditions réelles à Gaza. Cette « guerre laboratoire » devient aussi un argument de vente. Par ailleurs, la destruction massive de Gaza ouvre paradoxalement un marché lucratif pour les entreprises de BTP, notamment israéliennes ou alliées, qui pourront participer à une future reconstruction sous conditions politiques, loin de toute souveraineté palestinienne réelle. Le capitalisme post-colonial s'enracine ici dans les ruines de la dépossession.
L'ambition d'Israël : poursuivre l'annexion ?

Facteur de déstabilisation suprême, l'État israélien a désormais installé une relation de domination territoriale en périphérie de ses frontières. Entre L'Iran et ses relais, le Hezbollah au Liban, le Hamas palestinien, Bachar al-Assad en Syrie et les houthis au Yémen, désormais affaiblis, l'armée israélienne bombarde allègrement des pays souverains, annexant des territoires en Syrie et au Liban, tout en poursuivant le génocide à Gaza.
Ce projet expansionniste s'inscrit dans une logique de colonialisme de peuplement : en installant durablement des colons sur des territoires occupés, Israël modifie les équilibres démographiques et rend quasi irréversible tout projet d'État palestinien viable. Comme l'ont documenté Human Rights Watch ou Amnesty International, cette dynamique s'apparente à un régime d'apartheid au sens juridique : deux systèmes de droit, deux systèmes de mobilité, deux systèmes de sécurité cohabitent pour deux populations vivant sur un même territoire. Le colonialisme israélien ne se limite donc pas à une occupation militaire, il est aussi économique, juridique, culturel.

Cette volonté de toute-puissance trahit en réalité une profonde vulnérabilité : « C'est, pour reprendre une expression israélienne, "une joie de pauvre", c'est-à-dire que cela réjouit les Israéliens, mais ne les rassure pas. Cela justifie le génocide et ça provoque une peur qui est ancrée. Netanyahu en tire une conséquence : il ne faut pas s'arrêter », ajoute Sylvain Cypel, journaliste au Monde.
Trump exige alors un retrait total de l'armée israélienne à Gaza, mais cette ambition reste sans mesure, et sans après, puisque l'enclave palestinienne est un champ de ruines, avec plus de 57 000 Palestiniens tués depuis les attentats du 7 octobre, sans compter les disparus, les mutilés, les traumatismes.
Dans des territoires comme Gaza, la Cisjordanie, le Liban, la Syrie ou l'Iran, ni Israël ni les États-Unis ne semblent avoir élaboré de plan concret pour gérer la période suivant les conflits actuels. Seuls certains groupes nationalistes israéliens extrémistes envisagent un avenir marqué par l'expansion territoriale, visant à intégrer une grande partie des territoires voisins au sein d'un « Grand Israël ».
« Le sionisme a toujours été un projet colonial de peuplement. Le mythe de la terre sans peuple pour un peuple sans terre n'est pas une erreur, c'est un effacement méthodique. » Ilan Pappé
Quant à l'Europe, qui aspirait à jouer un rôle de gardienne des principes juridiques internationaux, elle se retrouve marginalisée. Son soutien inconditionnel à Israël, bien que flou, au prix de vies palestiniennes, libanaises ou iraniennes, contribue à éloigner davantage le continent de toute influence réelle dans cette zone sensible.
- Maureen Damman
Photo de couverture : Trump et Netanyahu en 2020. Wikimedia.