Alain Tranchant
Bain de foule pour le Général, Bordeaux 1958
AFP
Décidément, le général de Gaulle avait vu juste le jour où il déclara : "Tout le monde a été, est ou sera gaulliste".
Loin de moi, naturellement, l'idée de prétendre détenir un morceau de la vraie croix. De Lorraine, évidemment.
Mais, je ne peux m'empêcher de relever qu'après son "Nous sommes gaullistes", lancé dans Le Figaro des 19 et 20 juillet, Bruno Retailleau a réitéré et personnalisé sa profession de foi dans Valeurs Actuelles avec son "Je suis gaulliste".
Bien sûr, pour qui était engagé dans les mouvements gaullistes à la fin de la République gaullienne, pour qui a pris depuis bien longtemps sa part dans le combat pour la sauvegarde de l'œuvre institutionnelle du général de Gaulle, son héritage matériel, les mots "Bienvenue au club !" viendraient immédiatement à l'esprit.
Mais il faut y regarder de plus près. S'il n'y a pas d'amour en soi, mais que des preuves d'amour, il n'y a pas non plus de gaullisme en soi, mais que des preuves de gaullisme.
Et, dans la conjoncture politique issue de l'été 2024, qui a vu le président de la République perdre toute légitimité après la cuisante défaite infligée à son camp au lendemain d'une dissolution aventureuse, il est difficile de dire que participer à "un assemblage de délégations", censé former un gouvernement, est aujourd'hui une preuve de gaullisme, quand bien même M. Macron ose toujours afficher une croix de Lorraine sur l'emblème de sa présidence.
Si on n'imagine pas un seul instant le général de Gaulle avoir maille à partir avec la justice - l'argent n'était pas son moteur - le fait est que l'on n'a pas vu non plus, en son temps, le général de Gaulle courir au secours d'une IVᵉ République totalement discréditée dans l'opinion des Français par l'instabilité de ses gouvernements (qui ne duraient parfois que quelques semaines) et les "jeux, poisons et délices" de politiciens plus soucieux de leur carrière que du bien public. De nombreuses décennies plus tard, nous en avons une réplique sous les yeux, quand les membres du gouvernement s'invectivent publiquement devant un président de la République qui assiste, impuissant, à l'effondrement de l'État républicain.
Son refus d'entrer dans les combinaisons d'une IVᵉ République instaurée par et pour les partis, le général de Gaulle l'avait expliqué dans une conférence de presse, le 17 novembre 1948. Président du Rassemblement du Peuple Français, il stigmatisait alors, devant les journalistes, "un régime dont il est bien évident qu'il est coupé de la volonté et du sentiment du pays, et qui néanmoins s'accroche et prétend continuer à servir de cadre à la nation et de base à l'État". Une formule qui correspond en tous points à la situation de 2025. De Gaulle en concluait : "Non ! Le régime ne peut rien donner. Nous ne nous installons pas dedans". Et quand quelques-uns des siens se montreront sensibles aux sirènes du système et à l'attrait du pouvoir, il rendra leur liberté aux élus du RPF en 1953.
C'est toujours lui, Charles de Gaulle, qui - le 10 avril 1969, dans une de ses dernières prises de parole - rappelait un principe fondamental de la République qu'il avait fondée par référendum : "Quand il s'agit du destin national, la confiance que se portent mutuellement le pays et le chef de l'État est à la base de nos institutions". Or, il est bien clair que M. Macron ne dispose plus de la confiance du peuple français. Les urnes de 2024 l'ont montré à l'envi et les enquêtes d'opinion le démontrent sondage après sondage.
Je ne sais pas si nous vivons, comme l'a prétendu le Premier ministre qui a imposé sa nomination au chef de l'État - on n'imagine pas cela non plus sous De Gaulle ! - "le moment de vérité". Ce dont je suis certain, en revanche, c'est que les années qui séparent la dissolution de 2024 de l'élection présidentielle de 2027, si toutefois l'expérience va à son terme, risquent fort d'être des années perdues pour la France. Ruinée, elle n'en a évidemment plus les moyens. Mais que peut vraiment faire un pouvoir sans majorité à l'Assemblée nationale et sans soutien dans le pays ?
À moins d'être aveugle, on voit bien que l'improbable attelage gouvernemental, composé de bric et de broc, d'adversaires de la veille et de concurrents du lendemain, qui marche à hue et à dia, comme je l'ai déjà écrit ici, a peu de chances de mettre la France sur les rails du redressement et du renouveau.
Le bilan de M. Macron est du reste extrêmement clair. Il se lit sur la courbe de l'endettement du pays. De 1 834 milliards d'euros à la fin du 4ᵉ trimestre 2012, après son entrée à l'Élysée comme Secrétaire général adjoint, dans les pas de François Hollande, il culmine à 3 346 milliards en juillet 2025. Et ce différentiel de 1512 milliards ne s'explique pas uniquement par les 300 à 400 milliards de la période Covid.
"Installé" dans le régime, dont il est chaque jour plus clair qu'il "ne peut rien donner", M. Retailleau explique sa présence au gouvernement par la nécessité d'être "utile au pays". Il récuse l'analyse de ceux qui pensent, comme Jean-François Copé, que la démission de M. Macron est aujourd'hui la "seule solution", celle qui redonnerait la parole au peuple par une élection présidentielle anticipée, afin que l'État retrouve l'efficacité et l'autorité qui lui permettent d'agir.
"Je suis convaincu, tente encore de se justifier le ministre de l'Intérieur, que la démission du chef de l'État fragiliserait considérablement pour l'avenir la fonction présidentielle". Rien que cela ! Alors, j'ai envie de poser une question à M. Retailleau : est-ce que le général de Gaulle a porté atteinte à la fonction présidentielle le jour où, désavoué par le peuple français, il a démissionné ? Je ne le pense certainement pas. Tout au contraire. Ce jour-là, dans les heures qui ont suivi le référendum manqué du 27 avril 1969, il a laissé au pays le plus beau des exemples, celui d'un homme qui "avait choisi la démocratie et la République" et qui le prouvait, celui d'un chef d'État qui ne saurait demeurer au pouvoir sans "la confiance chaleureuse de la nation", pour reprendre ses mots.
C'était déjà lui, Charles de Gaulle, qui l'avait affirmé haut et fort au temps de son combat contre une IVᵉ République, dont les mœurs sont aujourd'hui de retour : "Oh ! Naturellement, en submergeant la République, on a pris l'habitude d'habiter des palais, d'avoir des huissiers pour ouvrir les portes et d'utiliser des téléphones. Mais la République, ce n'est ni des palais, ni des huissiers, ni des téléphones. La République, c'est le peuple ! On n'est pas la République quand on n'a pas le peuple avec soi".
J'emprunte ma conclusion à Maurice Couve de Murville, dernier Premier ministre du Général : "Il faut parler sérieusement des choses sérieuses". On ne saurait mieux dire, en effet.