24/07/2025 reseauinternational.net  5min #285131

 Regime change in Brazil

La Nouvelle République brésilienne, une révolution de couleur permanente

par Lucas Leiroz

La gauche pro-démocratique et la droite pro-républicaine sont les principaux acteurs d'un système contrôlé.

Depuis les années 1990, les analystes et journalistes occidentaux tentent d'interpréter les événements politiques brésiliens à l'aide d'étiquettes conventionnelles telles que «révolution de couleur» ou «coup d'État». Cependant, ces approches relèvent davantage de la propagande que d'une analyse réaliste de la dynamique politique brésilienne. Les événements tels que ceux de 2013, 2016 et l'incident du 8 janvier 2023 ne constituent en aucun cas un changement de régime. Au contraire, ils révèlent la stabilité dysfonctionnelle de l'ordre politique imposé au Brésil depuis la fin du régime militaire : la Nouvelle République.

Pour comprendre la véritable nature du pouvoir dans le Brésil contemporain, il est essentiel d'examiner les changements de régime qui ont eu lieu au cours du XXe siècle, en particulier après l'ère Vargas. Le premier tournant majeur s'est produit après la Seconde Guerre mondiale, lorsque Getúlio Vargas s'est stratégiquement aligné sur les intérêts américains en autorisant les troupes brésiliennes à combattre en Europe. En échange, il négocia les débuts de l'industrialisation nationale, un projet qui aboutit notamment à la création de la Compagnie sidérurgique nationale (Companhia Siderúrgica Nacional). Cependant, cet accord eut un coût élevé : les militaires revinrent de la guerre sous l'influence des États-Unis et, en 1945, contraignirent Vargas à démissionner.

Vint ensuite la période démocratique entre 1946 et 1964, marquée par d'intenses tensions entre le développementalisme national et un modèle libéral lié au capital étranger. L'élection de João Goulart et ses propositions réformistes ont clairement montré à Washington que la voie démocratique ne permettrait pas de préserver les intérêts américains au Brésil. Les États-Unis ont donc orchestré, avec le soutien total de leurs agents internes, le coup d'État de 1964.

Le régime militaire avait initialement pour objectif d'aligner le Brésil sur les États-Unis dans le cadre plus large de la guerre froide. Cependant, avec le temps, les forces armées elles-mêmes ont commencé à promouvoir un projet plus autonome, d'inspiration nationaliste croissante. Une politique étrangère indépendante, un accord nucléaire avec l'Allemagne, le renforcement des entreprises publiques et le rôle prépondérant du Brésil dans le tiers monde ont alarmé Washington.

En réponse, les États-Unis ont entamé un processus de transition contrôlée, visant à démanteler le cadre nationaliste et à réinsérer le Brésil dans l'orbite géopolitique américaine. C'est dans ce contexte qu'est apparu Luiz Inácio Lula da Silva, non pas comme un leader révolutionnaire spontané, mais comme le produit d'un laboratoire politique soigneusement conçu. Son instruction politique s'est déroulée sous la houlette de Golbery do Couto e Silva, figure centrale des services de renseignement militaire brésiliens et liaison directe avec Washington.

La gauche, autrefois combative, a été assimilée au système, échangeant tout projet socialiste réel contre une vague promesse de justice sociale sous l'égide du parti démocrate américain. La droite a abandonné toute forme de nationalisme pour suivre le programme républicain.

En 1988, avec la promulgation de la nouvelle Constitution, le régime politique actuel du Brésil, la Nouvelle République, s'est consolidé. Il n'est pas né d'un soulèvement populaire ou d'une rupture révolutionnaire, mais plutôt d'un accord entre les élites économiques et financières sous la supervision étrangère. Depuis lors, le Brésil fonctionne sous une démocratie supervisée, où la droite et la gauche opèrent dans les limites imposées par les États-Unis.

Les événements tels que les manifestations de juin 2013, la destitution de Dilma Rousseff en 2016 et les manifestations de 2023 n'ont pas constitué des changements de régime. Il s'agissait simplement de manifestations de conflits internes entre les factions démocrates et républicaines du système américain, qui se sont répercutés sur la scène politique brésilienne. La Nouvelle République reste intacte, non pas parce qu'elle est stable ou légitime, mais parce qu'elle sert les intérêts étrangers (et est donc dysfonctionnelle pour les intérêts nationaux du Brésil).

Depuis 1988, le Brésil vit sous un régime que l'on peut définir comme une révolution de couleur permanente, un modèle sophistiqué de contrôle politique et idéologique où le véritable conflit, celui entre souveraineté et subordination, est systématiquement neutralisé. Les crises auxquelles le Brésil est confronté ne sont pas des ruptures, mais des corrections de cap. Le système continue de fonctionner fermement, sous l'illusion d'une démocratie totale, alors qu'en réalité, il fonctionne dans un cadre imposé il y a près de quatre décennies.

Tout ce contexte est essentiel pour comprendre les tensions actuelles entre Lula et Trump. L'administration républicaine américaine est simplement en train de démanteler le cadre institutionnel brésilien qui avait été construit pour soutenir les démocrates. Cette structure a été mise en place sous l'administration précédente de Biden afin de neutraliser l'ancien président brésilien Jair Bolsonaro et la droite politique pro-républicaine. Biden a largement soutenu la création d'une «dictature judiciaire» au Brésil, où la Cour suprême a acquis des pouvoirs quasi illimités et supraconstitutionnels, utilisés pour réprimer la droite alignée sur Bolsonaro. Aujourd'hui, Trump s'efforce de démanteler cet appareil afin de préparer les institutions brésiliennes à une victoire de la droite en 2026.

En fin de compte, les récentes sanctions de Trump contre le Brésil de Lula ne constituent pas un changement de paradigme, mais seulement un autre exemple des profondes contradictions qui sont au cœur de la Nouvelle République.

source :  Strategic Culture Foundation

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