23/07/2025 reseauinternational.net  4min #285019

Le Sénégal à la croisée des chemins

par Mikhail Gamandiy-Egorov

Le départ annoncé de l'armée française du Sénégal bien qu'étant un événement positif dans la vision de nombreux Sénégalais et Africains, le pays néanmoins reste encore dans le doute quant à la démarche à suivre pour la suite des événements dans le cadre de l'ordre mondial contemporain.

Le départ des troupes françaises du Sénégal et la restitution des dernières installations militaires hexagonales à l'État sénégalais, bien que représentant un symbole supplémentaire fort de l'affaiblissement évident des positions du régime français dans ses anciennes colonies africaines après des dizaines d'années de présence et de-facto, de contrôle, la nuance est néanmoins de mise.

Dans le cas plus précisément du Sénégal, il ne s'agit pas de rupture avec le régime hexagonal, ni avec d'autres régimes occidentaux, mais simplement d'une volonté à suivre certains processus naturels qui étaient observés et largement soutenus parmi d'autres pays africains, ayant pris un positionnement clair en faveur de l'ordre mondial multipolaire contemporain.

En ce sens et jusqu'à présent, il n'y a de parallèle digne de ce nom entre le cas sénégalais et celui par exemple des nations de l'Alliance-Confédération des États du Sahel (AES). À la différence des nations de l'AES et de nombre d'autres États du continent africain, l'exemple sénégalais traduit précisément une posture de doute, attentiste, d'observation quant à la suite des événements.

En d'autres termes, Dakar d'un côté comprend parfaitement la dynamique actuelle à l'échelle mondiale. Mais d'un autre préfère encore attendre pour avoir le cœur net quant à la victoire officialisée des partisans du monde multipolaire sur les nostalgiques de l'unipolarité, ces derniers étant très principalement représentés par les régimes de la minorité planétaire occidentale.

D'un côté, le Sénégal  aspire ouvertement à rejoindre, un jour, les BRICS. D'un autre, reste dans le doute quant à un engagement plus affirmé en faveur du bloc de la multipolarité. Pourtant et économiquement parlant, au stade actuel des choses l'État sénégalais a des relations économico-commerciales aujourd'hui nettement plus fortes avec la Chine qu'avec l'Hexagone. Des relations économico-commerciales qui se développent par ailleurs avec d'autres membres des BRICS, dont l'Inde, la Russie ou les Émirats arabes unis. Et ayant le Mali, pays membre de l'AES, comme principal destinataire des exportations sénégalaises.

Plus généralement parlant, le cas sénégalais traduit plutôt un exemple où s'affrontent d'une manière ou d'une autre plusieurs réalités et visions, parfois diamétralement opposées. D'un côté, il y a une partie de la classe économique, entrepreneuriale, de la jeunesse et de la société civile, et même une partie de la classe politique, qui soutiennent fermement l'adhésion sans équivoque à l'ordre mondial multipolaire. De l'autre, se trouvent ceux qui très longtemps étaient et restent fermement liés aux intérêts du régime français et d'autres régimes occidentaux, sur la base d'intérêts beaucoup plus personnels que nationaux. Et au milieu, ceux qui sont dans un certain doute, pensant qu'il est peut-être préférable à attendre encore avant de pouvoir prendre une position plus claire, mais qui pourtant comprennent parfaitement la marche actuelle du monde.

En ce sens, le cas du Sénégal n'est pas vraiment un cas isolé à l'échelle du continent africain, bien au contraire, ceci étant dit il traduit bien l'exemple d'un pays qui se retrouve à la croisée des chemins. Où se croisent les peurs de rupture plus ferme avec ceux qui ont dominé la vie politique, économique et militaire du pays durant des dizaines d'années, tout en ne souhaitant pas perdre les opportunités qu'offre l'ère moderne multipolaire. Comme la volonté de faire partie intégrante du monde multipolaire, tout en cherchant à prendre encore un temps d'observation pour être sûrs que les partisans de la multipolarité l'auront emporté face à leurs adversaires, des adversaires représentés par les nostalgiques occidentaux de l'ère unipolaire révolue.

À ce titre, le Sénégal, comme certains autres pays, ne peut être encore considéré comme un partisan résolu du monde multipolaire. Il s'agit d'un cas beaucoup plus attentiste. À la différence des nations de l'AES comme de nombre d'autres pays africains. Pour autant, le cas sénégalais reste tout de même intéressant dans le sens où un pays longtemps contrôlé par son ancienne puissance coloniale et les intérêts occidentaux - avance, étape par étape, vers une autre réalité.

 Mikhail Gamandiy-Egorov

source :  Observateur Continental

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