Il y a quelques années, nous vous présentions Chanee et son engagement sans faille pour la faune et la flore d'Indonésie. 5 ans plus tard, son association Kalaweit s'adapte aux évolutions du terrain.
Des ravages de l'huile de palme aux mines de charbon en passant par l'extraction de nickel, les forêts indonésiennes ne bénéficient décidément d'aucun répit. Les années passent et les combats évoluent... Sur place, les associations de protection de la biodiversité s'adaptent. C'est le cas de Kalaweit, qui ne baisse pas les bras face à l'acharnement des gouvernements et entreprises à détruire les écosystèmes naturels.
De l'amour des gibbons à la sauvegarde de tout un écosystème
Aurélien Brulé, aujourd'hui plus connu sous le nom de Chanee, a fait de la protection des forêts indonésiennes son cheval de bataille. Passionné depuis l'enfance par les singes, en particulier les gibbons, il n'a que 18 ans lorsqu'il part pour la première fois en Indonésie. Il reçoit alors l'aide de Muriel Robin, touchée par sa détermination.

C'est à Bornéo qu'il crée Kalaweit et le premier centre de soins pour les animaux sauvages endémiques. De plus en plus vulnérables face à la destruction de leur habitat, gibbons et autres mammifères souffrent terriblement de l'invasion humaine qui détruit sciemment les forêts primaires, hectares après hectares. Deux autres centres verront le jour, à Sumatra puis sur l'île de Siberut.
300 animaux sont actuellement protégés par Kalaweit, qui tente d'en relâcher quand le contexte le permet. Gibbons, siamangs, orang-outans, tigres de Sumatra... Mais l'association n'est aujourd'hui plus en mesure d'accueillir de nouveaux pensionnaires, notamment à cause de pressions venues de l'État indonésien. Alors, elle attaque le problème à la source.
« Nous devons changer de méthode, explique Chanee. La surveillance de forêt et l'accueil d'animaux sauvages ont leurs limites, et ne font que panser les plaies. Kalaweit a compris son impuissance face aux destructions. Aujourd'hui, notre combat prend un nouveau virage : celui d'acquérir des hectares de forêt. Ainsi, les hommes, la faune et la flore qui y vivent n'ont plus besoin d'être sauvés. »
La mission première de Kalaweit est aujourd'hui d'effectuer des repérages pour sélectionner des poches de forêts « prioritaires » : « Notre objectif est de multiplier ces réserves, ajoute Chanee. De 2012 à 2022, nous avons sauvé 500 hectares, puis en l'espace de 3 ans seulement, 3000 hectares. L'association regroupe des parcelles pour créer des réserves, qu'elle rétrocède ensuite aux communautés locales tout en assurant leur protection. Ces actions concrètes, menées en amont des destructions, sont ce que nous pouvons faire de mieux. »
Quand l'exploitation du nickel et du charbon s'additionne à celle de l'huile de palme...
Comme si les ravages liés à l'exploitation d'huile de palme ne suffisait pas, les forêts indonésiennes paient également un lourd tribu dû au charbon et au nickel. Pour Chanee, « C'est un phénomène récent, mais qui s'accélère. L'extraction de ressources naturelles est un fléau pour la biodiversité du pays, et les ravages sont énormes. Les sources de nickel touchent principalement l'est de l'Indonésie, mais celles-ci nécessitent l'usage de mines de charbon, très énergivores. De ce fait, le problème s'étend bien au-delà, allant jusqu'à polluer massivement des eaux de Papouasie. Jusqu'alors épargnées, elles subissent aujourd'hui l'accumulation de sédiments rejetés en mer... »

Les métaux précieux enfouis sous le sol indonésien attirent les dirigeants du monde entier, faisant fi de tout désir de préservation des zones sauvages et des forêts primaires du pays. Celles-ci, riches d'une biodiversité unique, disparaissent à vue d'oeil. Et leurs écosystèmes avec.
Pour Constance, responsable de Kalaweit en France, « nos actions ont prouvé que quand on laisse la forêt tranquille, l'équilibre se restaure. La déforestation aujourd'hui est colossale. Nous pouvons agir, mais il ne faut plus tergiverser. Nos équipes sur place, épaulées par Chanee, sont riches de 60 salariés. Elles sont autonomes et œuvrent chaque jour à préserver les pans de forêts que nous avons acquis. Un travail que nous poursuivons ! »
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Visite annuelle en France et travail diplomatique
Chaque année à la fin du printemps, Chanee se rend en France afin d'être présent pour l'Assemblée générale annuelle. Un voyage qu'il tente de rendre le plus utile possible en rencontrant de nouveaux acteurs, et en essayant de lever des fonds. Quelques jours avant se venue, Emmanuel Macron s'était rendu en Indonésie pour y évoquer deux grands sujets : la défense et le nickel.
« Nous ne saurons jamais trop ce qui a été dit, sourit Chanee, mais nous ne sommes pas dupes. Une « lettre d'intention » a été signée pour travailler sur une gestion durable des forêts... Mais quand on sait que la France louche sur les métaux précieux, nul doute que cela ne restera qu'une intention ! Utiliser ce terme alors qu'il faut agir depuis bien longtemps, c'est... ridicule. »

Pourtant, le travail de Kalaweit est également diplomatique. En effet, pour multiplier les réserves, une collaboration avec l'Etat indonésien est indispensable. Après des années très difficiles de pressions et de conflits avec la ministre en charge des forêts, un petit espoir renaît : « Le dialogue a repris avec Raja Juli Antoni, le nouveau ministre, explique Chanee. S'il ne va évidemment pas mettre un terme aux activités lucratives, il sait que le pays a une image à préserver. Nous savons que tout cela est politique, mais c'est un soulagement d'avoir quelqu'un qui nous écoute. »
« Nous devons tenter de collaborer en démontrant que notre schéma fonctionne : acquérir du foncier, inscrire des terres au cadastre, geler des poches de forêts... »
Dans contexte indonésien très difficile où des compagnies peuvent de nouveau obtenir des concessions d'huile de palme, Kalaweit ne baisse pas les bras : « Le soutien des populations locales est très fort. Un fait qui était perçu comme une menace par le précédent gouvernement, quand le nouveau nous fait les yeux doux. Nous devons de collaborer en démontrant que notre schéma fonctionne : acquérir du foncier, inscrire des terres au cadastre, geler des poches de forêts... Ces réserves, qui protègent les hommes, les animaux et la nature, ont besoin d'être officialisées. »
Celle de Doulan, au nord du pays, va bientôt s'enrichir de 500 hectares supplémentaires. Une récompense concrète pour Kalaweit qui continue de se battre, jour après jour, pour sauver la biodiversité indonésienne.
- Marie Waclaw
Photo de couverture : © Kalaweit