14/07/2025 mrmondialisation.org  7min #284136

211 milliards : le gaspillage de l'État au profit des grandes entreprises

Tandis que le gouvernement Bayrou ne cesse de crier à la faillite et à la nécessité d'installer l'austérité budgétaire sur le pays (et donc sur nos services publics), aucun de ses membres ne s'émeut cependant du premier poste de dépense de la France : celui des aides aux entreprises privées.  Avec 211 milliards d'euros, il représente près d'un tiers des finances de la nation. Offertes sans contrepartie, ces aides permettent surtout aux groupes les plus puissants de s'enrichir toujours plus.

À l'issue de six mois de travaux, la commission d'enquête sénatoriale sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants a rendu son rapport. La droite aura beau stigmatiser les fonctionnaires, prétendre que l'État débourse trop pour les services publics, elle ne pourra rien face à la réalité des chiffres.

211 milliards... Si la France est trop généreuse, ce n'est pas avec les classes moyennes et populaires, mais bien à l'égard des grandes entreprises qui ne cessent de ponctionner le budget grâce à de multiples cadeaux mis en place par les divers gouvernements libéraux.

Non, les entreprises publiques n'ont rien à voir dans l'affaire

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient de commencer par bien déterminer de quoi l'on parle. Les 211 milliards dont il est question, et qui représentent, rappelons-le, 30 % du budget de la France, concernent exclusivement des sociétés privées.

Pourtant, un article du  think tank ultralibéral IFRAP titrait : Aides aux entreprises : 81,4 % des subventions d'État vont aux entreprises publiques. Or, comme le texte le reconnaît lui-même, ces subventions atteignent 20,67 milliards d'euros et sont destinées à alimenter des organisations d'utilité collective dans des secteurs aussi cruciaux que l'énergie, le transport, la recherche ou la transition écologique.

Le titre du document joue volontairement la carte de la confusion car ces sommes sont 10 fois moins élevées que les dispositifs mis en place exclusivement pour les entreprises privées, à hauteur de 211 milliards par an, comme le confirme un groupe de chercheurs de l'Université de Lille.

Des procédés multiples qui coûtent très cher

Pour arriver à ce montant faramineux, il a fallu la mise en place d'une machinerie d'État extrêmement dispendieuse, en immense majorité au profit des grandes entreprises. Aides régionales et européennes, niches fiscales et sociales et bien sûr, subvention directe, les gouvernements successifs n'ont pas manqué d'idées pour enrichir les plus aisés. Il a, par ailleurs, également été démontré que les soutiens massifs dispensés pendant la crise du covid-19 (le fameux « quoi qu'il en coûte ») ont  surtout bénéficié aux multinationales.

En 2018,  l'Humanité expliquait déjà que certaines sources dénombraient jusqu'à 6000 dispositifs d'aides aux entreprises, dont énormément étaient cumulables. En outre, pas loin de 80 % d'entre elles concernent les niches fiscales et les exonérations de cotisations sociales. Celles-ci sont d'ailleurs responsables d' un manque important de 80 milliards dans les caisses de la sécurité sociale.

Ces cadeaux participent à un processus long et ancien consistant à sortir progressivement le financement des services publics du giron des cotisations. Ainsi, ces dernières constituent aujourd'hui près de 50 % du budget actuel, alors qu'elles soutenaient plus de 90 % dans les années 90.

Des aides à ceux qui n'en ont pas besoin

Il n'est pour autant pas question de remettre en cause l'intégralité des soutiens aux entreprises. Il apparaît même que pour les plus petites et plus fragiles d'entre elles, celles-ci peuvent être d'utilité publique, notamment chez les commerçants et artisans qui entretiennent le tissu social de nos communes, en particulier en milieu rural.

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Comment justifier en revanche que l'État puisse verser un seul centime à des multinationales qui réalisent pourtant déjà des milliards d'euros de bénéfices tous les ans ? De fait, si la fortune des 500 familles les plus riches de France a  totalement explosé ces dernières années, les aides aux entreprises n'y sont certainement pas pour rien.

Des aides sans aucune contrepartie

Pire encore, on aurait pu au moins espérer que ces aides engagent les sociétés (y compris les plus grandes) a mener une transition écologique, à embaucher davantage ou à améliorer la condition des salariés. Il n'en a rien été puisque cet argent n'a servi qu'à engranger des profits.

À ce titre, de nombreux scandales concernant notamment des entreprises du CAC40 ont explosé régulièrement pendant de longues années. Certaines,  comme Michelin ou  Forvia (ex Forecia), n'ont même pas hésité à licencier des employés après avoir pourtant reçu des millions d'euros de soutien public. D'autres ont, quant à elles,  massivement abreuvé leurs actionnaires, en particulier avec les aides de la crise sanitaire.

Aucun impact sur l'emploi

Et le pire, c'est que ces dispositifs n'ont pas d'impact favorable sur l'emploi. Le cas du CICE, immense mécanisme d'aides aux entreprises mise en place par François Hollande, puis transformé et pérennisé par Emmanuel Macron en demeure sans doute le meilleur exemple.

À l'époque, après plusieurs années d'expérimentation, des chercheurs avaient déduit que chaque poste créé par ce procédé avait coûté à l'État  entre 235 000 et 4,7 millions d'euros.

Un immense gâchis

Lorsque l'on songe à ces 211 milliards d'euros, on se dit donc forcément qu'une grande partie de cet argent aurait en réalité pu être beaucoup mieux employé. D'autant plus quand on connaît l'état de bon nombre de services publics.

Si, encore une fois, une part de ces aides est nécessaire pour les petites sociétés, les millions dirigés chaque année vers des entreprises comme Carrefour, Dassault, Danone, L'Oréal, LVMH ou bien la Société Générale, seraient bien plus utiles à la communauté pour financer des postes de soignants, d'enseignants ou encore des projets d'ordres environnementaux.

Plus que leur taille, c'est peut-être même la nature des firmes soutenues par l'État qu'il faudrait questionner.

« Pour le bien commun, a-t-on intérêt à voir proliférer des entreprises néfastes pour la collectivité, qui ne produisent absolument rien d'essentiel ou qui détruisent la planète ? À l'inverse, tout l'argent nécessaire pourrait plutôt être investi de manière démocratique dans ce qui concerne la majorité et notamment les services publics. »

Le capitalisme sous perfusion

Il est d'ailleurs assez ironique de constater que les gouvernements libéraux successifs ont massivement favorisé les entreprises sans aucune contrepartie alors qu'ils passent pourtant le plus clair de leur temps à  criminaliser les pauvres et à leur infliger une surveillance permanente pour leur attribuer des allocations sociales.

En réalité, si les libéraux se cachent constamment derrière une volonté d'effacer l'État pour laisser libre cours au marché, le néolibéralisme est à l'inverse très interventionniste dans l'économie du pays. Bien sûr, il ne pèse pas à la manière du socialisme pour le bien commun, mais au contraire pour organiser la survie du capitalisme.

Crise après crise (notamment celle de 2008 et du Covid-19), l'économie capitaliste et libérale, sur laquelle s'appuie le système de classes sociales au service des plus riches, a, à chaque fois, été sauvée par l'appui de l'État. Et c'est bien dans ce cadre qu'ont été mises en place ces diverses aides aux entreprises.

En somme, les libéraux ne veulent pas que la France se mêle de leurs affaires et ils fantasment une « liberté totale d'entreprendre » qui est en réalité une liberté totale d'exploiter les ressources humaines et planétaires. Et pourtant, quand il s'agit de s'abreuver directement d'argent public pour grossir toujours plus, on ne les entend étrangement plus protester.

- Simon Verdière

Photo de couverture : François Bayrou. Mars 2025.

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