19/05/2025 ssofidelis.substack.com  11min #278398

 Trump à Riyad : les Saoudiens s'engagent à investir 600 milliards de dollars

La tournée magique qui a fait long feu

Par  Philip Giraldi, le 18 mai 2025

Trump obtient des résultats mitigés au Moyen-Orient, en Russie et en Ukraine.

Ces derniers jours ont été intéressants, avec la décision des États-Unis de renommer le golfe du Mexique et le golfe Persique, tout en redoublant d'efforts pour espionner le Groenland dans l'espoir d'en faire bientôt un territoire américain. Pendant ce temps, celles et ceux d'entre nous qui ont suivi les développements de ce qui a été qualifié de "voyage pour la paix" de Donald Trump au Moyen-Orient, auquel aurait également pu inclure une escale à Istanbul pour rencontrer Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky, évaluent maintenant les pour et les contre de ce voyage. À mon avis, deux aspects de ce voyage méritent de bonnes notes. Le premier étant ce qu'il a fait, à savoir s'exprimer de manière sensée et décente dans son discours aux dirigeants saoudiens, émiratis et qataris, lorsqu'il a spécifiquement rejeté une approche hégémoniste de la politique étrangère américaine inspirée par les "néoconservateurs", affirmant que les pays indépendants du Moyen-Orient et d'ailleurs sont parfaitement capables de développer leur économie et leur société pour prospérer et garantir les libertés fondamentales à leurs citoyens.

Trump  l'a exprimé ainsi dans un discours largement médiatisé et bien accueilli par son auditoire :

"Mais en fin de compte, les prétendus 'bâtisseurs de nations' ont détruit bien plus qu'ils n'ont construit, et les interventionnistes se sont immiscés dans des sociétés complexes qu'ils ne comprenaient pas eux-mêmes. Non, les merveilles rutilantes de Riyad et d'Abou Dhabi n'ont pas été créées par les soi-disant 'bâtisseurs de nations', les néoconservateurs ou les organisations libérales à but non lucratif, comme ceux qui ont dépensé des milliers de milliards de dollars sans parvenir à développer Bagdad et tant d'autres villes. La naissance d'un Moyen-Orient moderne a été le fait des peuples mêmes de la région, ceux qui vivent ici, qui ont toujours vécu ici, qui ont développé leurs propres nations souveraines, poursuivi leurs propres visions et tracé leur propre destin".

Trump a également souligné que ce qu'il a appelé la "grande transformation" de l'Arabie saoudite et du Moyen-Orient

"n'est pas le fait des interventionnistes occidentaux... qui vous donnent des leçons sur votre façon de vivre et de gérer vos propres affaires".

La deuxième lueur d'espoir vient de ce que Trump n'a pas fait. Il ne s'est pas arrêté en Israël pour faire des courbettes à Benjamin Netanyahu, alors qu'il était dans la région et que, selon de nombreuses sources, il serait même en froid avec le dirigeant israélien. Trump aurait attribué sa prise de distance avec Netanyahu à ce qu'il a qualifié de "manipulation", mais le processus qu'il a décrit relève clairement de l'espionnage à l'ancienne, avec des membres du cabinet Trump, dont peut-être Mike Waltz, le conseiller à la Sécurité nationale, mis sur écoute clandestinement pour informer sur les développements et les plans en matière de sécurité et/ou les options concernant le Moyen-Orient et peut-être aussi l'Ukraine. Le rédacteur en chef deThe Atlantic, Jeffrey Goldberg, aurait été impliqué dans ce processus durant  un appel téléphonique top secret du groupe de sécurité nationale utilisant le système Signal à la mi-mars. Waltz a ensuite été rétrogradé et nommé ambassadeur aux Nations unies, où il sera étroitement surveillé et contrôlé tant dans ses propos que sur ses rencontres. Des informations font également état d'autres limogeages, outre celui de Waltz, pour ce qui est qualifié de "fuites" et de "récupération politique". Tulsi Gabbard, directrice du Bureau du renseignement national, a  limogé mardi deux hauts responsables, un analyste en chef et le directeur de son Conseil national du renseignement, peut-être en lien avec les allégations d'espionnage ou simplement parce qu'ils étaient en désaccord avec certaines politiques de Trump, notamment sa position sur la Chine.

Ce sont là les aspects positifs. Entre les deux, on trouve les aspects transactionnels du voyage. Les relations entre l'Arabie saoudite et Washington se sont considérablement approfondies grâce à un contrat d'armement de 142 milliards de dollars et autres accords liés à l'énergie. Le Qatar, lors d'un geste désormais célèbre, a offert à Trump un Boeing 747 qui remplacera l'Air Force One, l'avion présidentiel actuel, trop vétuste, utilisé pour les déplacements présidentiels. Comme ce nouveau Boeing semble être un véritable "palais volant" en termes de prestations et est estimé à 400 millions de dollars, ce geste marque un rapprochement symbolique entre les deux nations. Néanmoins, une vague de critiques déferle sur la question de savoir où ira l'avion après 2028, date à laquelle un nouveau président pourrait être élu si Trump ne brigue pas un troisième mandat. Trump espère que cet avion sera un "cadeau" de l'État qu'il recevra gracieusement avant de le remettre à une de ses filiales, son musée présidentiel. Cette décision sent fortement la corruption pour nombre de personnalités politiques et médiatiques, y compris plusieurs républicains de premier plan. Trump semble s'en moquer.

On a placé beaucoup d'espoirs dans le voyage du président Trump, et force est de constater que certaines initiatives n'ont pas été concrétisées, ce qui est inévitable. Avant son départ de Washington, beaucoup pensaient que Trump annoncerait à ses interlocuteurs arabes que les États-Unis allaient reconnaître l'État palestinien, première étape vers la création d'une entité physique réellement indépendante d'Israël et dotée d'une souveraineté effective. Cela aurait assurément été un coup de maître auprès de son public, mais aussi de la majorité des Américains, dont 70 % ne soutiennent plus Israël. Sur le plan international, le message aurait été très bien reçu par l'opinion publique mondiale, qui a été témoin du massacre des Palestiniens en direct à la télévision. L'opinion publique sait très bien qu'Israël et Netanyahu ne peuvent agir en toute impunité que grâce à la complicité des États-Unis, tant sous Joe Biden que sous Donald Trump. Les États-Unis sont complices du génocide et fournissent à Israël la protection politique lui permettant de poursuivre le massacre, sans parler du flux constant d'armes "Made in USA" que l'État hébreu utilise pour perpétrer les massacres.

Le deuxième "péché par omission" est lié au premier en ce sens qu'on s'attendait à ce que Trump présente aux Israéliens un ultimatum pour mettre immédiatement fin au blocus de Gaza et conclure un cessez-le-feu sans aucune concession pro-israélienne vers un accord de paix qui mettrait fin au bain de sang. La seule remarque de Trump sur la question s'est faite vendredi, lorsqu'il a évoqué les pénuries alimentaires à Gaza,  déclarant que "beaucoup de gens meurent de faim", mais que les États-Unis "allaient s'en occuper"... Son médiateur Steve Witkoff  est allé jusqu'à dire que les États-Unis n'interviendraient pas dans le massacre des Gazaouis par Israël.

Pour autant que l'on sache, la reprise de l'aide ou un cessez-le-feu n'ont pas été discutés avec les Arabes, peut-être en raison de l'intransigeance israélienne sur ces deux questions, ce qui fait de la Palestine un blanc sur la carte du voyage du président. Pendant que Trump sillonnait le ciel pour être acclamé, Netanyahu appelait les réservistes de l'armée, affirmant que son plan d'élimination du Hamas et de mise en œuvre de la solution finale à Gaza serait respecté.

Je m'en voudrais de ne pas mentionner que certains observateurs très bien informés dénoncent une mise en scène de la prétendue rupture entre Trump et Netanyahu. Alors que les principaux États arabes étaient occupés à négocier avec un Trump arrangeant, les Palestiniens ont été livrés à eux-mêmes, sans personne pour défendre leur cause. Les États-Unis ont donc feint une "rupture" avec Netanyahu pour pouvoir conclure des accords avec tous les principaux pays arabes du Moyen-Orient et garantir la sécurité d'Israël pendant que Netanyahu est en train de rayer les Palestiniens de la carte. Trump  a en effet déclaré que sa politique et son voyage au Moyen-Orient sont "très bons pour Israël", une affirmation rendue crédible par l'énergie déployée par son administration pour réprimer toutes les manifestations pro-palestiniennes aux États-Unis.

À son retour vendredi, le président a déclaré, et pas pour la première fois, qu' il a

"de très bonnes idées pour Gaza : en faire une zone franche. Que les États-Unis s'impliquent, je serais fier que les États-Unis l'obtiennent, en fassent une zone franche et laissent de bonnes choses s'y produire. Qu'on loge les gens dans des maisons où ils peuvent se sentir en sécurité, et il faudra trouver une solution avec le Hamas".

Washington serait également en train de négocier avec des factions libyennes pour l'accueil d'un million de réfugiés palestiniens qui, vraisemblablement, seraient expulsés de force de sa "zone franche" par l'armée israélienne. Il faut toujours prêter attention à ce que Trump fait vraiment, et non à ce qu'il dit, car ses déclarations sont généralement destinées à le présenter comme un homme puissant et influent.

Ne pas suivre ces deux voies a empêché Trump de revendiquer une victoire majeure en étendant ses "accords d'Abraham" aux Saoudiens, aux Émirats et au Qatar dans le cadre de relations diplomatiques avec Israël. Il est bien connu que les Saoudiens n'accepteront aucun accord diplomatique avec Israël qui ne prévoie pas la création d'un État palestinien à l'intérieur des frontières définies par les Nations unies en 1948. Il s'agirait notamment d'un "statut international" pour Jérusalem et de la restitution de la majeure partie de la Palestine historique aux Palestiniens.

Trump est loin d'être prévisible et une initiative à laquelle personne ne s'attendait a bien eu lieu, à savoir la  levée des sanctions contre la Syrie en vigueur depuis 2019 et la rencontre de 37 minutes avec le nouveau chef d'État intérimaire syrien Ahmed al-Sharaa, ancien terroriste affilié à Al-Qaïda (Hayat Tahrir al-Sham), au palais royal de Riyad.

L'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont organisé cette rencontre et encouragé le président américain à aider à la reconstruction de la Syrie, tout en l'incitant à développer ses institutions républicaines gangrenées par la corruption gouvernementale. En échange, Trump promet à al-Sharaa d'ouvrir la porte aux investissements américains dans la relance économique du pays, qui a subi entre 200 et 400 millions de dollars de préjudice.

Cela inclurait le développement et la commercialisation du pétrole et d'autres ressources, ainsi que les infrastructures de communication et de transport par des sociétés comme AT&T.

La normalisation des relations avec la Syrie n'a apparemment pas été coordonnée avec Netanyahu, une situation délicate puisque  Israël occupe une large partie du sud-ouest de la Syrie, près de Damas, sans signe de retrait prochain.

Trump aurait suggéré à al-Sharaa de tirer profit de rétablissement de relations avec Israël, même si Israël lance régulièrement des raids contre des cibles en Syrie. La Turquie maintient également son emprise sur une partie du nord de la Syrie grâce à ses alliés turkmènes. La récente décision du Parti des travailleurs kurdes (PKK) de mettre fin à sa "guerre" contre la Turquie, qui fait rage depuis plus de 50 ans, semble indiquer que les États-Unis seraient impliqués dans ces développements.

Ce sont les États-Unis qui ont massivement armé les milices kurdes dans leur guerre contre le gouvernement syrien de Bachar al-Assad, aujourd'hui déchu, et qui auraient les moyens de conclure un tel accord.

Pour finir, des réunions ont lieu à Istanbul entre l'Ukraine et la Russie, ainsi que des négociations entre les États-Unis et l'Iran sur le programme nucléaire de ce dernier. Zelensky était en Albanie pour rencontrer les dirigeants européens et Poutine ne s'est pas présenté à Istanbul, malgré l'espoir que les deux hommes puissent être présents. On a supposé que Trump ferait une halte pour donner sa bénédiction au processus de paix dont il s'attribue le mérite, mais, en l'absence des dirigeants russe et ukrainien, cela ne s'est pas produit et les pourparlers ont fait un flop, même si, pour noter un point positif, les deux parties ont convenu de poursuivre les négociations. Et qu'en est-il du programme nucléaire de Téhéran ? Trump a déclaré avoir présenté une proposition écrite aux Iraniens, mais  ceux-ci démentent. Nous le saurons bien assez tôt, et le Congrès américain, contrôlé par les sionistes, menace déjà de bloquer tout accord qui n'interdirait pas à l'Iran toute capacité d'enrichir de l'uranium. Encore une négociation qui a peu de chances d'aboutir.

Traduit par  Spirit of Free Speech

* Philip M. Giraldi, Ph.D., est directeur exécutif du Council for the National Interest, une fondation éducative qui milite pour une politique étrangère américaine au Moyen-Orient davantage fondée sur les intérêts. Son site web est councilforthenationalinterest.org, son adresse postale P.O. Box 2157, Purcellville VA 20134 et son adresse électronique  inform@cnionline.org.

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