Par Seymour Hersh, le 24 avril 2025
Le président Donald Trump est au pouvoir depuis quatre-vingt-quinze jours, et il a déjà chamboulé Washington et en Amérique tout entière : droits de douane, arrestations massives et expulsions illégales, licenciements en masse de fonctionnaires fédéraux, un cabinet de sycophantes, une majorité républicaine apeurée au Sénat et à la Chambre des représentants.
Mais même s'il ne semble pas y avoir de plan, on peut au moins dire que le président s'exprime avec clarté en matière de politique étrangère. Trump s'est autoproclamé ami du président russe Vladimir Poutine, affirmant qu'ensemble, ils régleraient la guerre en Ukraine. Des contacts ont eu lieu entre Trump et Poutine, et il a été question de la possibilité pour Trump d'acquérir des complexes touristiques en Crimée et dans le Donbass, occupés par la Russie. Des discussions ont également porté sur des investissements américains dans les champs gaziers et pétroliers russes et dans les minerais rares. Malgré leur haine de Poutine et leur peur de la Russie, les membres européens de l'OTAN n'auraient eu d'autre choix que de suivre.
Une équipe de négociation a été constituée, dirigée par le vice-président JD Vance et le général Keith Kellogg, pour mener les pourparlers avec les Russes. Cela n'a pas fonctionné. Poutine n'était apparemment pas intéressé par des négociations avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, bien qu'il ait continué à rencontrer plusieurs émissaires de Washington.
Toute chance de paix est-elle compromise ? Pas complètement, mais selon un responsable américain impliqué, la perspective d'un règlement rapide s'est évaporée. Néanmoins, on m'a dit que la situation immédiate est désastreuse. Fort du soutien des dirigeants européens anti-Poutine, Zelensky "affirme aujourd'hui que sa popularité et son soutien au niveau local seraient en hausse".
En fait, comme me l'a précédemment confié ce responsable, les négociateurs américains suivent depuis longtemps la recommandation de quelques officiers supérieurs de l'armée russe, qui préconisent de se concentrer sur un cessez-le-feu
"et de ne pas laisser Poutine transformer les pourparlers en discussions interminables sur les détails d'un règlement 'définitif'. Il faut mettre fin aux tueries dès maintenant".
Certains membres de l'équipe de négociation américaine pensaient que Trump ne respecterait pas ses engagements à négocier une solution s'il s'avérait difficile d'y parvenir.
"Arrivera un moment", m'a-t-on dit, "où il passera le relais à l'ONU et proposera son aide pour faire respecter les mesures adoptées".
Trump soutient également sans réserve le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, et tout porte à croire qu'il soutiendra Israël jusqu'au bout dans sa guerre contre le Hamas. Les dirigeants israéliens n'éprouvent aucune sympathie pour les deux millions d'habitants de Gaza pris au piège dans les opérations meurtrières. Ils ne sont au mieux que des dommages collatéraux. Trump a déclaré que Gaza, avec sa longue plage de sable le long de la côte méditerranéenne, serait à l'avenir le terrain de jeu du Moyen-Orient.
Toute vague notion selon laquelle Trump serait une figure rationnelle de la diplomatie internationale a été balayée hier après-midi après que Zelensky a publiquement rejeté la dernière offre de paix américaine, qui ne prévoit aucune possibilité d'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN et la reconnaissance par les États-Unis de la Crimée, transférée sous contrôle ukrainien en 1954, comme territoire permanent de la Russie. Zelensky a déclaré que son pays ne "reconnaîtrait jamais légalement l'occupation de la Crimée.... C'est contraire à notre constitution". (On m'a dit plus tard que la reconnaissance par les États-Unis de la possession de la Crimée par la Russie ne figure pas dans la proposition américaine, mais qu'il s'agissait simplement d'une remarque en passant d'un Russe).
La réponse de Trump ne s'est pas fait attendre. Il a accusé Zelensky de
"n'avoir rien d'autre à faire que de prolonger le 'carnage' et personne ne veut cela ! Nous sommes très proches d'un accord, mais celui qui n'a 'aucune carte en main' devrait maintenant, enfin, BOUCLER LE DOSSIER".
Après les frappes aériennes russes sur Kiev qui ont fait neuf morts et des dizaines de blessés, Trump est revenu sur le sujet ce matin sur Truth Social, son réseau social :
"Je ne suis pas satisfait de l'attaque russe sur Kiev. Elle n'était pas nécessaire et tombe très mal. Vladimir, ARRÊTEZ ! 5 000 soldats meurent chaque semaine. Concluons l'accord de paix !"
Jusqu'à ces déclarations publiques, selon cette source officielle, Trump n'a rien laissé entendre indiquant que la capacité de Zelensky à obtenir le soutien et les promesses d'aide militaire des dirigeants européens, ainsi que la couverture médiatique favorable, en étaient la raison. Mais cette source m'a confié avoir prédit qu'une couverture médiatique européenne élogieuse de Zelensky finirait par créer des problèmes.
"Un conte de fées qui tourne mal", a-t-il déclaré. "La pantoufle du prince charmant n'allait pas à la méchante belle-sœur".
Le New York Times a rapporté plus tôt depuis Berlin que le Kremlin se prépare à répondre à une nouvelle initiative de Trump en faveur d'un nouveau cycle de négociations. Sur sa plateforme Truth Social, Trump a déclaré espérer que la Russie et l'Ukraine "parviennent à un accord cette semaine", ajoutant que les États-Unis ont tout à y gagner.
Comme le disent les sages, l'argent fait la loi et les mensonges passent à la trappe.
Pendant ce temps, en Israël, Netanyahu fait toujours l'objet d'un mépris international profond à propos de la reprise des bombardements israéliens sur Gaza, où les Palestiniens, martyrisés et de plus en plus ignorés, sont privés d'aide internationale depuis le 2 mars. Mais ce qui préoccupe Bibi, ce n'est ni Gaza ni le sort de ses citoyens, ni celui des vingt-quatre otages qui seraient encore en vie et sous la garde du Hamas. Il se plaint amèrement que ses relations avec Trump se soient dégradées.
Trump a récemment décidé de relancer les négociations sur l'avenir du programme nucléaire iranien, qui ne prévoit ni armes ni la moindre preuve de la capacité de l'Iran à fabriquer une ogive nucléaire. Mais l'Iran conserve un stock d'uranium enrichi à 60 %, soit bien moins que les 90 % nécessaires à la fabrication d'une arme nucléaire. L'Iran est signataire du Traité de non-prolifération des armes nucléaires de 1970, et ses activités nucléaires sont donc surveillées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. Deux cycles de pourparlers de haut niveau entre des responsables américains et iraniens ont eu lieu à Oman, et un troisième cycle débutera samedi dans ce même pays. C'est Trump qui a décidé en 2018 de se retirer unilatéralement de l'accord conclu par l'administration Obama avec l'Iran. Téhéran avait pourtant accepté de limiter drastiquement son programme nucléaire naissant en échange de la levée des sanctions occidentales.
Netanyahu se bat pour sa survie politique et pour éviter une peine de prison s'il est reconnu coupable des nombreuses accusations de corruption qui pèsent sur lui depuis longtemps et qui font actuellement l'objet d'un procès. En tant que Premier ministre, Netanyahu ne peut être emprisonné, même s'il est reconnu coupable. Il a déclaré à ses proches être déconcerté par Trump. Il a toujours su se montrer direct et souvent provocateur envers les autres présidents américains, en particulier Joe Biden, mais il n'ose pas dire non à Trump. Il craint que s'il le fait, "Trump ferait tomber le couperet sur Israël", a-t-il déclaré à ses collègues. Ces dernières années, il a pu se rendre à Washington et prononcer un discours devant une session conjointe du Congrès, au cours duquel il s'en est pris au président américain sans craindre de représailles.
Selon mes informations, Netanyahu "bouillonne" de colère contre la décision unilatérale de Trump de rechercher un accord nucléaire avec Téhéran sans en discuter avec les dirigeants israéliens. Le sentiment qui prévaut parmi les dirigeants est que le Premier ministre israélien, assiégé, n'est guère plus qu'un "otage" de Trump. Israël est également troublé, m'a-t-on dit, par la décision de Trump de récompenser les dirigeants saoudiens pour leur disponibilité en tant qu'hôtes de réunions internationales sur l'Ukraine, ainsi que pour leur disponibilité à prodiguer des conseils sur l'avenir de Gaza et la poursuite des opérations israéliennes pour prétendument traquer et éliminer les derniers membres du Hamas. En échange, m'a-t-on dit, le gouvernement saoudien pourrait acheter au moins deux réacteurs nucléaires fabriqués aux États-Unis. Beaucoup à la Maison Blanche, y compris des membres de la famille Trump, ont cherché à obtenir un accord similaire au début du premier mandat de Trump, mais ils ont été submergés par les critiques de la communauté de la sécurité nationale.
Existe-t-il aujourd'hui au Congrès ou au sein du gouvernement une instance capable de résister aux caprices du président ?
Traduit par Spirit of Free Speech
ONE HUNDRED DAYS OF CHAOS
President Donald Trump has been in office for ninety-five days, and he has turned Washington and America itself inside out: tariffs, mass arrests and illegal deportations, mass firings of federal employees, a cabinet of sycophants, cowering Republican majorities in the Senate and the House...