07/10/2024 ssofidelis.substack.com  6min #258011

 Un an de terreur à Gaza

Ce que le 7 octobre veut dire

Frantz Fanon lors d'une conférence de presse du Congrès des écrivains à Tunis en 1959. (Wikimedia Commons, Domaine public)

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Ce que le 7 octobre veut dire

Par  John Wight, Spécial Consortium News le 6 octobre 2024

L'incursion du Hamas était moins un 11 septembre israélien qu'une offensive palestinienne du Têt. Aucune oppression hideuse n'a jamais donné lieu à une résistance sympathique.

"Quand je cherche l'homme dans la technique et dans le style européens, je vois une succession de négations de l'homme, une avalanche de meurtres". - Franz Fanon

L'assaut meurtrier d'Israël contre la population de Gaza - durant l'année écoulée - avec le soutien matériel, diplomatique et politique de l'Occident collectif - équivaut à observer un chien enragé arracher la chair des os de ce que beaucoup croyaient concevoir comme un monde dans lequel il vaut la peine de vivre. À ce stade, ce n'est plus le cas.

Les massacre permanents et déments d'Israël n'ont rien à voir avec la rage déclenchée par l'esclavagiste en réponse aux insoumis qui osaient s'échapper de la plantation. Et c'est là que nous saisissons le véritable "crime" des Palestiniens de Gaza : leur refus de rester à la place que leur assigne le colonisateur et oppresseur. C'est-à-dire métaphoriquement à genoux, vaincus et brisés dans leur cœur, leur corps et leur esprit.

Telle est la véritable signification du 7 octobre 2023. Ce jour a prouvé aux Israéliens et à leurs soutiens occidentaux qu'en dépit de leur condition de peuple confiné dans une réserve de l'ère moderne, et du mépris raciste de leur humanité, les Palestiniens sont toujours déterminés. Il a également révélé un niveau de planification et d'ingéniosité qu'aucun peuple colonisé n'est censé pouvoir jamais atteindre.

Personne n'a mieux compris ou articulé la psychologie des opprimés que le légendaire militant et penseur anticolonialiste  Frantz Fanon:

"La violence", a-t-il écrit un jour, "libère l'indigène de sa condition d'esclave, de son complexe d'infériorité, de son désespoir et de son inertie ; elle lui donne du courage et lui rend sa dignité".

Fanon est peut-être mort en 1961, mais son analyse du colonialisme occidental, de sa brutalité et de l'impact déshumanisant sur ses victimes - en forgeant des enchaînements psychologiques d'oppression et de haine de soi qui ne peuvent être brisés que par une "lutte meurtrière et décisive" contre le colonisateur - reste d'actualité plus de cinq décennies après la parution de son œuvre classique, Les damnés de la terre.

Fanon a écrit ce livre en pleine lutte épique pour la libération nationale entre le peuple algérien et ses maîtres coloniaux français, opposant la puissance d'un pays européen industrialisé à une insurrection anticoloniale pauvrement armée, mais soutenue par la population. Ce fut un conflit âpre et acharné qui dura huit longues années, de 1954 à 1962.

En fin de compte, la quête de libération nationale du peuple algérien s'est avérée plus forte que la capacité de la France à maintenir une colonie nord-africaine qu'elle occupait depuis les années 1830. À la fin du conflit, marquée par la déclaration du président français Charles De Gaulle selon laquelle le peuple algérien avait le droit de déterminer son propre avenir, 1,5 million de personnes ont péri, dont une grande majorité d'Algériens.

Le 7 octobre était moins le 11 septembre d'Israël que l' offensive du Têt des Palestiniens. C'était un cri provenant des entrailles de l'oppression structurelle, une réaffirmation de la dignité perçue par Fanon dans la violence d'un peuple colonisé et opprimé. C'était, en somme, la rage meurtrière de ceux qui refusent d'accepter le statut de non-peuple.

Dans l'esprit de Geronimo, Sitting Bull et Crazy Horse. Dans l'esprit des Mau Mau, l'esprit du leader révolutionnaire irlandais James Connolly, célèbre pour le soulèvement de Pâques 1916. Dans l'esprit de Bobby Sands et des autres grévistes de la faim irlandais qui ont sacrifié leur vie pour la liberté en 1981. Dans l'esprit de tous les mouvements de résistance et de lutte anticoloniaux qui ont jamais existé, les Palestiniens de Gaza ont osé dire "Non !" le 7 octobre 2023.

La vague de violence absolue qui s'est abattue sur le peuple palestinien depuis n'est pas le fruit d'une cause juste. C'est précisément le contraire. Comme pour les Français en Algérie, les Américains au Viêt Nam et les Britanniques en Irlande, ce projet de colonisation sioniste a échoué par nature. Il ne peut perdurer qu'au prix d'une violence et de massacres inouïs, tant son concept suprématiste est insoutenable.

La vérité élémentaire et sans fard veut qu'on ne peut maintenir 2,2 millions de personnes confinées dans une réserve indienne pendant 17 ans, contrôler leur accès à l'électricité, à l'eau potable et à tous les produits de première nécessité, tout en les privant de leur liberté de mouvement, de leur dignité, de leurs espoirs et de leur avenir. Non, on ne peut pas faire cela et s'attendre à une résistance quasi inexistante.

C'est dans ce contexte qu'il faut replacer l'opération "Al-Aqsa Flood", déclenchée par les Palestiniens de Gaza il y a un an aujourd'hui. Aucune oppression hideuse n'a jamais donné lieu à une résistance sympathique. L'histoire ne fait aucun doute à ce sujet.

Le prétexte de cette audacieuse opération palestinienne est la multiplication des violations de l'esplanade de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, troisième lieu saint de l'islam, pendant le ramadan de 2023. Elle se fondait également sur le refus catégorique d'accepter la normalisation de leur condition de peuple colonisé et dépossédé dans l'ensemble du monde arabe et musulman.

Gaza est aujourd'hui en ruines. Plus de 40 000 personnes ont été tuées jusqu'à présent dans l'orgie de vengeance d'Israël. D'aucuns, et c'est compréhensible, douteront de la raison d'être du 7 octobre, compte tenu de l'ampleur des souffrances infligées à la population de Gaza dans le sillage de cette journée. Mais il faut bien distinguer le temps chronologique du temps historique. Concernant ce dernier, il est encore trop tôt pour dire si le jeu en valait la chandelle.

Mais en réfléchissant à cette question spécifique à un niveau plus approfondi, il s'agirait de plaquer les normes des non colonisés sur celles des colonisés. En vérité, la seule question que nous devrions nous poser un an plus tard est la suivante : quel choix ont-ils eu ? Entre vivre à genoux et mourir debout, ont-ils eu vraiment le choix ?

* John Wight, auteur de  Gaza Weeps, 2021, écrit sur la politique, la culture, le sport etc... N'hésitez pas à vous abonner à son site Medium.

Les opinions exprimées sont uniquement celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de Consortium News.

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