15/09/2024 investigaction.net  28min #256674

Les élections vénézuéliennes du 28 juillet 2024 : que croire et qui croire ?

Alfred de Zayas

Nos médias s'empressent de publier des titres sensationnels et portent souvent des jugements prématurés qui, lorsqu'ils sont faux, sont rarement corrigés. En ce qui concerne les élections vénézuéliennes du 28 juillet, nous sommes censés croire que Nicolas Maduro les a truquées. Mais pourquoi avons-nous tendance à penser ainsi ? Pourquoi les journalistes du New York Times, du WaPo, du WSJ insistent-ils pour que nous doutions des résultats des élections ? Tentons une perspective historique et revenons sur les cent ans d'histoire du Venezuela, où les politiciens corrompus étaient soumis à Washington - jusqu'à l'élection d'Hugo Chávez en 1998.

J'ai moi aussi cru au récit dominant, mais mon expérience en tant qu'expert indépendant de l'ONU sur l'ordre international et ma mission officielle au Venezuela en novembre/décembre 2017 m'ont enseigné le contraire. À l'époque déjà, un très forte campagne médiatique était menée contre Nicolas Maduro, régulièrement qualifié de dictateur et de violeur flagrant des droits humains

Beaucoup d'entre nous ont compris que sur les questions géopolitiques importantes, notre paysage médiatique n'est pas exempt de « fake news » et de récits biaisés. C'est certainement le cas des reportages et des commentaires homologués aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie et, malheureusement, en Suisse, où je réside. Nos médias semblent être gleichgeschaltet (uniformément alignés), comme nous le savons depuis les médias allemands des années 1930, où il n'y avait qu'un seul récit. Sachant que les médias occidentaux reflètent largement les déclarations de Washington et de Bruxelles, la sagesse suggère de faire un effort supplémentaire pour consulter des informations et des commentaires provenant de sources multiples.

Dès les années 1990, nous avons assisté à une grande manipulation de la réalité dans les reportages sur les conflits en Yougoslavie, avec de nombreux articles qui se sont révélés faux après vérification des faits. Ces reportages en noir et blanc étaient irritants et indignes d'un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l'article 19 vise à garantir l'accès à l'information, la liberté d'opinion et, surtout, la liberté de dissidence. Une manipulation incessante de l'opinion publique a suivi au début des années 2000 à propos de l'Afghanistan et de l'Irak. Dans les années 2010, la partialité des médias a persisté dans la plupart des reportages sur la Libye, la Syrie, la Russie et l'Ukraine. Aujourd'hui, nous assistons à la même chose en ce qui concerne le Belarus, la Chine, Cuba, le Nicaragua, la Palestine, etc. Tous les médias¹ - et pas seulement les médias occidentaux - transmettent des impressions, des sentiments, des émotions et des préjugés en plus de l'information. On nous dit quoi et qui croire, qui louer et qui détester.Il s'agit d'une certaine épistémologie, d'une structure cognitive, d'un modèle de croyance - et les gens veulent croire. Comme l'a écrit Jules César : « quae volumus, ea credimus libenter "-" Nous croyons ce que nous voulons croire ».

En ce qui concerne le Venezuela, la propagande occidentale mène une campagne systématique de « fake news » depuis 1998, date à laquelle Chávez est devenu président. J'ai été parmi les nombreuses victimes de ce lavage de cerveau et j'ai cru à de nombreuses caricatures que l'on trouvait dans le New York Times. Afin de préparer ma mission à l'ONU en 2017, j'ai essayé de lire autant de rapports que possible, notamment ceux du Washington Post, du Wall Street Journal, de CNN, de Reuters, de la FAZ, de la NZZ, du Département d'État américain, d'Amnesty International, de Human Rights Watch, de l'Organisation des États américains (OEA), de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, et ainsi de suite. Lorsque j'étais au Venezuela et que j'ai eu l'occasion de voir par moi-même, de poser des questions pertinentes à des personnes bien informées, de parler avec des organisations non gouvernementales (ONG) vénézuéliennes des droits humains non reprises par les médias telles que Fundalatin, Grupo Sures, ou la Red Nacional de Derechos Humanos, avec des professeurs de diverses universités, avec des étudiants, avec des représentants des églises, avec le corps diplomatique, avec les autorités gouvernementales, j'ai progressivement compris que l'état d'esprit des médias en Occident ne visait qu'un changement de régime et déformait délibérément la situation dans le pays. Il ne s'agissait pas seulement de fausses informations que l'on pouvait lire dans la presse occidentale, mais aussi d'omissions importantes. Hier comme aujourd'hui, de nombreux médias occidentaux peuvent être qualifiés non seulement de « presse mensongère », mais surtout de « presse lacunaire ». Les anachronismes sont omniprésents. Les causes et les conséquences sont inversées. Depuis 1999, le gouvernement vénézuélien doit faire face à ce type de guerre hybride, à un bataillon orwellien de « fake news » et à une machine à « discours de haine » qui applique deux poids deux mesures, fonctionne de manière téléologique et déforme la réalité.

Les organisations non gouvernementales au Venezuela

Lors de ma visite dans le pays en novembre/décembre 2017, j'ai parlé à quelque 45 ONG, je les ai rencontrées individuellement et en groupe. non seulement les ONG de défense des droits humains, mais aussi celles spécialisées dans les questions sociétales générales, la religion, la musique, l'éducation, la santé, le travail, les droits de l'enfant, les droits de la femme, les droits des personnes handicapées, les droits des personnes LGBT. J'ai tenu à rencontrer des politiciens de l'opposition, des journalistes et des ONG militantes.

Si la plupart des ONG sont constructives et attachées au bien commun, d'autres sont clairement politisées et axées sur la confrontation. Bien sûr, il est légitime de critiquer le gouvernement, de dénoncer la corruption et d'autres griefs, de manifester pour une plus grande liberté, mais ce ne sont pas les seules tâches des ONG.
Il ne s'agit pas seulement de « nommer et de faire honte ». La société civile doit s'efforcer de promouvoir le dialogue, de faire des propositions pacifiques, de rechercher les causes des problèmes sociaux et d'élaborer des solutions constructives. Après tout, la civilisation consiste à trouver des moyens de vivre ensemble en paix et à se tolérer les uns les autres.

Comme je l'ai indiqué au Conseil des droits de l'homme dans mon rapport de 2018, j'ai été victime de harcèlement moral avant la mission, pendant la mission et après la mission.

En effet, avant, pendant et après ma mission au Venezuela, certaines ONG politiques ont lancé une campagne contre moi. J'ai été diffamée et menacée sur Facebook et dans des tweets parce que certains ont interprété mon langage corporel et ma réserve comme la preuve que je n'entrerais dans le jeu de personne. Certaines ONG craignaient manifestement que je prenne mon mandat au sérieux, que j'écoute toutes les parties et que je cherche les causes des problèmes. Ces ONG n'attendaient qu'une chose de moi : une mise en accusation globale de Maduro. Cependant, je ne considérais pas ma tâche comme une condamnation a priori du gouvernement, mais je voulais d'abord écouter et me forger ma propre opinion.J'ai également reçu des menaces de mort. La campagne de diffamation menée par ces soi-disant ONG s'est poursuivie après mon retour à Genève et a repris lorsque mon rapport a été présenté au Conseil des droits de l'homme en septembre 2018. Ces méthodes de discrédit sont souvent utilisées contre les rapporteurs spéciaux indépendants, y compris les rapporteurs spéciaux sur la Palestine, ou sur la solidarité internationale et sur les mesures coercitives unilatérales.

Photo : Francesca Albanese, Rapporteure Spéciale sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967.:i

Je n'oublie pas les menaces proférées à l'encontre de feu le Dr Idriss Jazairi, de la professeure Alena Douhan, de Reem Alsalem, du professeur Richard Falk et de la professeure Francesca Albanese. Dans mon cas personnel, je me souviens qu'un représentant de l'ONG vénézuélienne Provea m'a discrédité devant l'OEA en prétendant que je n'avais rien fait au Venezuela à part prendre des photos dans un supermarché. En réalité, je me suis rendu incognito dans plusieurs supermarchés - et j'ai pris des photos pour prouver qu'en 2017 il n'y avait pas de « crise humanitaire » qui aurait pu être instrumentalisée pour justifier une intervention militaire « humanitaire ». J'ai documenté la façon dont le gouvernement vénézuélien a tenté de combler les lacunes causées par les sanctions états-uniennes, a lancé un vaste programme de distribution alimentaire connu sous le nom de CLAP, et s'est efforcé d'offrir des rayons remplis de viande, de poisson et de conserves, alors même que les mesures coercitives unilatérales des États-Unis avaient causé des dommages colossaux à l'économie vénézuélienne.

De nombreux observateurs partagent mon opinion selon laquelle il existe une catégorie spéciale d'ONG qui opère comme une sorte de cinquième colonne ou de « cheval de Troie » et consacre de l'argent et des efforts considérables pour saper l'État hôte. Certaines de ces organisations sont financées par les États-Unis et l'Union Européenne, et leur tâche principale n'a pas grand-chose à voir avec les droits de l'homme, mais plutôt avec la préparation de l'opinion internationale à un changement de régime. C'est précisément la raison pour laquelle le parlement vénézuélien a récemment approuvé un projet de loi visant à examiner le financement de toutes les ONG, car certaines d'entre elles peuvent être considérées comme des « agents étrangers » - un peu comme ces organisations étrangères russes et chinoises qui tombent sous le coup de la loi américaine de 1938 sur l'enregistrement des agents étrangers.³ Pourtant, comme nous le savons tous, quod licet Iovi, non licet bovi - ce qui est permis à l'hégémon ne l'est pas pour le reste d'entre nous.⁴

L'OEA et les élections vénézuéliennes de juillet 2024

L'OEA a récemment réprimandé le gouvernement vénézuélien et continue de refuser de reconnaître la réélection de Maduro. On peut se demander quels sont les objectifs de l'OEA. Comme nous le savons, l'OEA est une organisation créée par les États-Unis en 1948 et dont le siège se trouve à Washington D.C. Depuis le début, l'OEA a poursuivi les intérêts des États-Unis, plutôt que ceux des peuples d'Amérique latine et des Caraïbes. Depuis 2015, le secrétaire général est l'Uruguayen Luis Almagro. Il soutient largement la politique états-unienne, diffuse la propagande états-unienne⁵ et sape ainsi les gouvernements latino-américains comme ceux de la Bolivie, du Pérou et du Venezuela. Il a récemment fait appel à la Cour pénale internationale et demandé l'arrestation de Nicolas Maduro ⁶. Il est évident que l'OEA ne vise pas à garantir la stabilité et la coexistence pacifique entre les États du continent, mais plutôt à aider au changement de régime dans les pays mentionnés.

« Art. 1

Les États américains établissent par la présente Charte l'organisation internationale qu'ils ont développée pour réaliser un ordre de paix et de justice, pour promouvoir leur solidarité, pour renforcer leur collaboration et pour défendre leur souveraineté, leur intégrité territoriale et leur indépendance.
 Au sein des Nations Unies, l'Organisation des États Américains est une agence régionale.L'Organisation des États Américains n'a pas d'autres pouvoirs que ceux qui lui sont expressément conférés par la présente Charte, dont aucune disposition ne l'autorise à intervenir dans les affaires qui relèvent de la compétence interne des États membres.

Art.19

Aucun État ou groupe d'États n'a le droit d'intervenir, directement ou indirectement, pour quelque raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre État.
 Ce principe interdit non seulement la force armée, mais aussi toute autre forme d'ingérence ou de tentative de menace contre la personnalité de l'État ou contre ses éléments politiques, économiques et culturels.

Article 20

Aucun État ne peut recourir ou encourager le recours à des mesures coercitives de caractère économique ou politique pour forcer la volonté souveraine d'un autre État et obtenir de lui des avantages de quelque nature que ce soit ».

De mon avis, à moins que des changements fondamentaux n'interviennent dans la manière dont l'OEA est administrée, dans son fonctionnement arbitraire, dans la composition idéologique de son secrétariat, il serait préférable de l'abolir. Le plus tôt sera le mieux. Dans un sens très réel, l'OEA appartient à l'ère de l'impérialisme du 20ème siècle. Elle n'a pas sa place au XXIe siècle. En revanche, il existe une autre organisation régionale plus représentative des peuples d'Amérique latine et des Caraïbes : la CELAC - Comunidad de Estados de Latino America y del Caribe,⁷ qui, conformément à son statut, représente les intérêts des peuples d'Amérique, par exemple en déclarant la région « zone de paix » en 2014.⁸

Motifs des États-Unis pour tenter de renverser le gouvernement vénézuélien

Depuis l'élection d'Hugo Chávez en 1998, le pays est soumis à une hostilité néocoloniale... Les attaques actuelles de l'OEA, la guerre hybride menée depuis l'étranger et les sanctions coercitives unilatérales sévères ne sont-elles pas de nouveaux exemples de ce qui arrive à un pays qui refuse de se soumettre à l'hégémonie américaine ?

Le Venezuela est un pays extrêmement riche, qui possède les plus grandes réserves de pétrole au monde, ainsi que de l'or et un certain nombre de minéraux importants. Si le gouvernement de Maduro est renversé, des opportunités économiques s'ouvriront pour les entreprises états-uniennes, comme nous l'avons entendu de la part de Donald Trump, Mike Pompeo, Joe Biden et Antony Blinken. Toutes les réformes sociales au Venezuela seront rapidement abolies et l'histoire de Chávez et Maduro sera effacée. Un coup d'État comme au Pérou entraînerait une régression des droits sociaux et conduirait à la recolonisation du Venezuela par les États-Unis. Ce qui est en jeu, c'est le contrôle de l'Amérique latine par les États-Unis, la doctrine Monroe et la victoire du capitalisme sur le socialisme, la réalisation des fantasmes de Francis Fukuyama et de son livre pompeux La fin de l'histoire (Free Press, 1992).

Les États-Unis ne veulent en aucun cas laisser un système socialiste s'imposer en Amérique latine. Ce serait un « mauvais exemple » pour les autres États de la région qui voudraient également garantir à leurs citoyens des droits économiques et sociaux. Salvador Allende l'a tenté au Chili en 1970 et a été renversé en 1973. Manuel Zelaya l'a tenté au Honduras et a été renversé par un coup d'État en 2009, Evo Morales l'a tenté en Bolivie et a été chassé du pouvoir en 2019. Pedro Castillo a essayé au Pérou. Il est en prison depuis décembre 2022. Cette violation massive par les États-Unis de la souveraineté d'autres pays ne se produit pas seulement en Amérique latine. Les États-Unis semblent également avoir joué un rôle dans l'éviction d'Imran Khan au Pakistan en avril 2022. Le coup d'État contre Sheik Hasina au Bangladesh en août 2024 semble également avoir été coorganisé par les États-Unis.⁹ Les États-Unis ont beaucoup d'expérience dans la manipulation des élections étrangères, la déstabilisation et les coups d'État, comme nous le savons grâce à plusieurs livres du professeur Stephen Kinzer. 10

Maduro et les alternatives

Lors des deux dernières élections présidentielles, l'extrême droite a tenté de provoquer de violentes manifestations de rue, sans succès.
Maduro a pu se maintenir malgré les fortes pressions exercées par l'étranger et les tentatives intérieures de le renverser. Comment cela se fait-il ? Mon impression personnelle est qu'une majorité de Vénézuéliens ont soutenu et approuvent toujours les réformes de Chávez et de Maduro. La crise économique du pays est le résultat direct des sanctions draconiennes des États-Unis, qui provoquent le chômage, le désespoir, la maladie et la mort. Ces mesures coercitives unilatérales illégales ont également contraint des millions de personnes à quitter le pays. Il ne s'agit pas de réfugiés politiques qui rejettent les réformes de Chávez/Maduro, mais de migrants économiques qui sont directement ou indirectement touchés par les mesures coercitives unilatérales prises aux États-Unis. Il y a incontestablement une pénurie de médicaments et d'équipements médicaux, ainsi que de certaines denrées alimentaires, comme l'ont documenté en détail trois rapporteurs spéciaux des Nations unies qui se sont rendus dans le pays : les rapports les plus récents des professeurs Alena Douhan 11 et Michael Fakhri 12 arrivent à des conclusions similaires à celles que j'ai formulées dans mon précédent rapport de 2018 13.

Les fréquentes accusations de corruption et de mauvaise gestion portées par l'Occident et l'extrême droite du Venezuela sont soit fausses, soit des demi-vérités. La mauvaise gestion et la corruption sont également considérables aux États-Unis, au Royaume-Uni, dans les États membres de l'UE, en Russie, en Inde, en Chine, etc. Mais la raison principale de la misère au Venezuela n'est certainement pas la « mauvaise gestion ». J'ai rencontré des ministres extrêmement compétents au Venezuela. Il est étonnant que le gouvernement jouisse encore d'un degré de popularité relativement élevé auprès de la population malgré la crise artificielle déclenchée par les Mesures Coercitives Unilatérales. Pasqualina Curcio, professeure d'économie à l'université de Caracas, a écrit plusieurs livres sur les causes de la misère économique, qui prouvent que la crise est délibérément imposée aux Vénézuéliens depuis l'étranger. 14

J'ai personnellement discuté de ses analyses avec elle au Venezuela et lorsqu'elle est venue à Genève pour assister à une session du Conseil des Droits humains. Le professeur Miguel Tinker Salas de l'Université de Pomona en Californie a également écrit sur la crise et ses causes 15. Les études du Center for Economic and Political Research à Washington D.C. (CEPR) 16 et l'analyse des élections de 2024 sont pertinentes pour comprendre ce qui se passe réellement. 17

Juan Guaido et al.

En 2019, quelques mois après la victoire de Nicolas Maduro aux présidentielles de 2018, l'Occident a décidé que le président autoproclamé Juan Guaidó (qui ne s'était pas présenté au vote) était le président légitime. Guaidó n'avait aucune base juridique sur laquelle s'appuyer, et sa référence à l'article 233 de la constitution vénézuélienne pour créer l'illusion de la plausibilité n'avait aucun mérite et serait démontée par un étudiant en première année de droit. L'article 233 ne s'applique tout simplement pas. Je suis convaincu que l'histoire confirmera mon opinion selon laquelle les élections de 2018 n'ont pas été truquées et que Guaidó n'était rien d'autre qu'un opportuniste qui a longtemps bénéficié du soutien de Donald Trump et de Mike Pompeo et, depuis 2021, de Joe Biden et d'Anthony Blinken. Il fut le Zelensky vénézuélien, la marionnette utile de Washington. Ce dernier aussi a été ovationné par le Congrès américain à Washington et en a largement profité. Aujourd'hui, Guaidó n'est plus à la mode et se voit remplacé par d'autres marionnettes. Les nouveaux vassaux des États-Unis s'appellent Edmundo Gonzalez Urrutia et Maria Corina Machado. Une fois de plus, nous assistons à une farce, un opéra bouffe. Attendons de voir ce que feront, in fine, ces leaders de l'extrême droite vénézuélienne.

Il est intéressant d'identifier des parallèles dans d'autres pays. Après les élections de 2018, les États-Unis ont affirmé que Maduro avait commis des fraudes électorales. Pourtant, des centaines d'observateurs internationaux ont estimé que les élections de 2018 avaient été libres et représentatives, et l'autorité compétente, le Consejo Nacional Electoral (CNE), a confirmé les résultats de l'élection. Lorsque j'étais au Venezuela pendant la période précédant les élections, j'ai visité cette institution et j'ai passé environ deux heures avec son chef et son personnel, qui m'ont expliqué en détail comment tout cela fonctionne, non seulement les aspects techniques, mais aussi la façon dont ils vérifient les résultats. Le système est techniquement bien conçu pour exclure toute manipulation. En outre, le chef du CNE et ses collaborateurs ont répondu à toutes mes questions et m'ont laissé une impression de sérieux, de professionnalisme et d'apolitisme. Bien sûr, cela ne garantissait pas automatiquement qu'en 2024, le CNE agirait de manière professionnelle et apolitique. En 2024, un millier d'observateurs électoraux étrangers se trouvaient au Venezuela et nombre d'entre eux ont déclaré que les élections du 28 juillet s'étaient déroulées correctement, sans coercition ni violence. C'est l'avis de l' Associação Brasileira de Juristas pela Democracia (ABJD), du  Conseil des Experts Électoraux Latino-américains (CEELA), constitué de présidents de tribunaux de pays de tout signe politique, ou encore de la  National Lawyers Guild des États-Unis. Je connais un autre de ces observateurs, un collègue de l'Institut International de Recherche sur la Paix de Genève.

Contestation des résultats des élections et révision par la Cour suprême vénézuélienne

Face au refus de l'opposition vénézuélienne d'accepter les résultats des élections émis par l'autorité compétente, le CNE, M. Maduro a invoqué la procédure dite d'« amparo » (recours) et s'est tourné vers la Cour suprême du Venezuela, comme le prévoit la Constitution vénézuélienne. En ce sens, M. Maduro a agi conformément à l'ordre juridique vénézuélien. Il est important de rappeler que de graves cyberattaques ont été enregistrées contre le système du CNE et de nombreux bureaux gouvernementaux, ce qui a rendu difficile la vérification des preuves numériques. Malgré les obstacles techniques, cela a été fait. Pendant trois semaines, la Cour suprême a examiné les plaintes déposées contre le gouvernement, exigé des preuves pertinentes de la part de l'opposition et analysé lesprocès-verbaux du CNE 18. Le 22 août, la Cour suprême a rendu son arrêt, confirmant que Maduro avait bien été réélu avec 52 % du vote populaire. L'opposition et les médias américains ont rapidement rejeté la décision de la Cour. Mais la Cour suprême est l'autorité suprême.

Ce processus de révision correspond aux exigences de l'« État de droit » et est également connu dans d'autres pays. Par exemple, les élections de novembre 2000 aux États-Unis ont été contestées dans plusieurs États. Ils voulaient que tout soit vérifié, mais le 8 janvier 2001, la Cour suprême états-unienne a interrompu la vérification et a donné la victoire à à George W. Bush. Après presque neuf semaines, un résultat a été annoncé sur base du verdict de la Cour suprême des États-Unis. Personnellement, je pense qu'il y a eu trop d'« irrégularités » et que les élections auraient dû être révisées dans plusieurs États ou que les élections auraient dû être répétées dans ces États. Personnellement, je pense qu'Al Gore était le vainqueur. Les élections de novembre 2020 se sont également mal déroulées et de nombreux républicains sont toujours convaincus que les démocrates ont « volé » l'élection. Mais là encore, les tribunaux ont rejeté le recours de Trump et confirmé l'élection de Joe Biden. Je ne sais pas si les tribunaux états-uniens ont travaillé sérieusement. Là aussi, il a fallu de nombreuses semaines avant qu'une décision finale ne soit prise.

Il est inquiétant de constater qu'un certain nombre d'États occidentaux demandent à inspecter à la loupe les résultats des élections vénézuéliennes. Cela constitue une atteinte flagrante à la souveraineté du Venezuela et est contraire aux normes du droit international, à la charte des Nations unies et à la charte de l'OEA. Une telle ingérence dans les affaires intérieures d'un État est contraire au droit international et à la pratique internationale. Imaginez l'indignation internationale si l'Inde ou la Chine ne reconnaissait pas et demandait à vérifier les résultats des élections aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France ou en Allemagne, ou reconnaissait le chef de l'opposition comme le vainqueur légitime !

Il est intéressant de noter que les médias aux États-Unis et dans plusieurs pays d'Amérique latine tels que l'Argentine et le Pérou avaient annoncé que la droite battrait Maduro. Cela a été imprimé et réimprimé pendant des semaines avant l'élection. D'après mon expérience en novembre/décembre 2017, Maduro jouissait alors d'une popularité considérable, mais plus de six ans se sont écoulés et l'effet des activités de propagande des organisations et des ONG financées par les États-Unis et l'UE au Venezuela ne doit pas être sous-estimé. En outre, comme mentionné ci-dessus, les mesures coercitives américaines - faussement appelées « sanctions » - ont causé de la misère au Venezuela.

Des amis qui se sont rendus récemment au Venezuela m'ont dit qu'il y avait un vague sentiment de reddition parmi certaines parties de la population, que certains Vénézuéliens pensaient que se détourner du « Chavismo » était la condition pour la levée de la guerre économique brutale. Peut-être certains d'entre eux ont-ils voté pour Gonzalez Urrutia dans l'espoir que les sanctions étasuniennes cesseraient enfin. Le prix à payer : l'acceptation d'un gouvernement mis en place par les États-Unis.

Edmundo Gonzáles et Maria Machado, tout comme Guaidó en 2019, ont été présentés par les États-Unis comme des phares dans la nuit. Une vaste campagne de relations publiques s'est déroulée dans le but de persuader le monde qu'un changement de régime pouvait être obtenu pacifiquement par les urnes. Toujours le même jeu, le même film de série B d'Hollywood. A présent, l'extrême droite et les grands médias internationaux poursuivent une campagne visant à délégitimer les élections de 2024. Certains pays ont refusé de reconnaître la réélection de Maduro. Cela a entraîné des conflits diplomatiques, notamment avec l'Argentine et le Pérou.

Révolutions de couleur

Ce à quoi nous assistons rappelle diverses « révolutions de couleur », un euphémisme pour désigner les coups d'État. Ce fut le cas en Géorgie en 2003, en Moldavie en 2009, en 2014 avec « Euromaidan » en Ukraine, et début 2022 au Kazakhstan (bien que sans succès) - le tout avec l'aide des États-Unis et de l'UE. La tentative de l'Occident d'influencer les élections au Belarus en 2020 a échoué. Les mauvais perdants ont alors rejeté la réélection de Loukachenko en la qualifiant d'« escroquerie » et ont déclaré le chef de l'opposition Sviatlana Tsikhanouskaya président « légitime » 19. Les États-Unis et l'UE ne sont pas facilement persuadés de laisser d'autres pays résoudre leurs propres problèmes. Ils continuent de mener une politique étrangère impérialiste et n'ont tiré aucune leçon de leurs échecs.

La question de la légitimité

Toutes les formes de gouvernement reposent sur la légitimité. Dans le Saint Empire romain germanique, l'élection d'un empereur a posé un problème majeur jusqu'à ce que l'empereur Charles IV approuve la Bulle d'or de Prague en 1356 20. Napoléon, qui a aboli en 1806 le Saint Empire romain germanique millénaire, n'avait lui-même aucune légitimité. Il est arrivé au pouvoir en 1798 par un coup d'État contre le Directoire français de l'après-Robespierre et s'est couronné empereur à Notre-Dame en 1804 en présence du pape Pie VII. Napoléon était un mégalomane, un opportuniste, un agresseur sans aucune légitimité. Malheureusement, certains livres d'histoire et journalistes font encore l'éloge de cet usurpateur et en font un héros, alors qu'il a entraîné toute l'Europe dans de nombreuses guerres et qu'il est responsable de centaines de milliers de morts.

Aujourd'hui, Volodymyr Zelensky n'a pas non plus de légitimité. D'abord, il a été élu en 2019 comme candidat de la paix. Il a trompé ses électeurs car il n'a fait que poursuivre la confrontation et la guerre. Alors que son mandat de président s'est achevé en mai 2024, aucune nouvelle élection n'a été organisée. Il continue de gouverner sans légitimité démocratique, et les médias occidentaux l'acceptent tacitement. Zelensky a renoncé à l'élection de 2024 prévue par la constitution ukrainienne. Il exerce des pouvoirs dictatoriaux et restera président en l'absence d'élections. En comparaison, Maduro a mené une campagne électorale pacifique et 60 % de la population s'est rendue aux urnes.

À qui pouvons-nous faire confiance ?

Dans les affaires hautement politiques, les mensonges sont fréquents. À quoi et à qui pouvons-nous faire confiance ? Devons-nous toujours croire les déclarations de nos autorités gouvernementales ? Devons-nous prendre les rapports officiels de nos gouvernements pour argent comptant ? Personnellement, je ne sais pas si l'on peut faire confiance au CNE vénézuélien. Je ne sais pas non plus si l'on peut se fier à 100 % à la décision de la Cour Suprême vénézuélienne. Nous devons également avoir des doutes dans d'autres domaines, car nous ne savons pas exactement ce qui s'est passé. Dans de trop nombreux cas, les médias nous ont menés par le bout du nez et ne nous ont dit que des demi-vérités. C'est également ce que l'on constate dans les reportages sur les guerres de Gaza et d'Ukraine.

Un exemple actuel de manipulation et de distorsion des médias est l'histoire de l'explosion du gazoduc Nordstream II. Pourquoi les médias essaient-ils de nous faire croire au fantasme grotesque des États-Unis, de l'Ukraine et de la Pologne selon lequel le gazoduc Nordstream II a été dynamité par six hommes originaires d'Ukraine et de Pologne ? Ce n'était pas une tâche pour les amateurs. Le récit des médias s'effondre lorsqu'il est mis en parallèle avec les recherches de Seymour Hersh et du professeur Jeffrey Sachs, qui ont mis en évidence les énormes exigences techniques et l'expertise nécessaire à une telle entreprise. Le scénario me convainc : Les États-Unis - peut-être avec l'aide de la Norvège ou la complicité de la Suède - ont perpétré cet attentat. 21 Lors de la conférence de presse organisée à Washington après la visite d'Olaf Scholz aux États-Unis en février 2022, avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Joe Biden avait déclaré sans équivoque que si la Russie attaquait l'Ukraine, le gazoduc n'existerait plus. 22

Qui croit encore que John F. Kennedy a été abattu par Lee Harvey Oswald seul ? Le rapport officiel des États-Unis sur l'assassinat de JFK est un scandale. Qui croit que l'attaque des tours du World Trade Center le 11 septembre 2001 a été perpétrée par Al-Qaïda seul ? Le rapport officiel des États-Unis est truffé de lacunes et de contradictions. Qui croit que la Cour suprême des États-Unis s'est prononcée correctement sur les élections américaines de 2000 ? Qui croit en la justice britannique dans l'affaire Julian Assange? 23 Qui croit en la justice états-unienne dans l'affaire de l'arrestation illégale du diplomate vénézuélien Alex Saab ? 24 Qui croit aux récits sur l'arrestation de Pavel Durov ? On peut toujours avoir des doutes sur les décisions de justice. Mais ce qui ne fait aucun doute, c'est que nos ingérences répétées dans les affaires intérieures du Belarus, du Kazakhstan, de Cuba, de la Libye, du Nicaragua, de la Syrie, du Venezuela, etc. constituent des violations flagrantes de la Charte des Nations unies et de nombreux principes du droit international.

En conclusion

Même après la confirmation de la victoire de Maduro aux présidentielles par la Cour suprême du Venezuela, il est certain que les sanctions imposées par les États-Unis et l'UE ne cesseront pas. Le Venezuela ne sera pas autorisé à vivre en paix. Les États-Unis ont tenté de renverser Hugo Chávez par un coup d'État en 2002. Chávez aurait dû être tué, comme Salvador Allende (je n'ai jamais cru à l'histoire du « suicide » d'Allende) en 1973. Lorsque le coup d'État contre Chávez a échoué en 2002, la guerre économique s'est intensifiée. Quand Chávez est mort d'un cancer en 2013, les États-Unis ont accru la pression sur Maduro. Mais personne ne se demande si le Venezuela aurait pu atteindre la paix sociale si l'opposition avait pris la présidence en 2014 ou 2018. La paix au Venezuela viendrait-elle aujourd'hui avec Gonzalez/Machado ? Ne nous leurrons pas. Il n'en demeure pas moins qu'il y a des millions de Chavistes au Venezuela qui n'accepteront pas la régression et la destruction du modèle socialiste. Un coup d'État de la part de Gonzalez/Machado serait certainement synonyme de guerre civile.

D'un autre côté, il y a eu l'apparition d'un certain relâchement et rapprochement entre le Venezuela et les États-Unis au début de l'année 2024. Personnellement, j'ai entretenu une mesure d'espoir pour la réconciliation et la rationalité. Pourtant, les États-Unis n'ont jamais abandonné leur politique visant à chasser Maduro du pouvoir. Les États-Unis, à travers leur machine de propagande mondiale et les médias, continuent d'essayer de convaincre le monde qu'une majorité de Vénézuéliens soutiennent l'extrême droite.

Ce qui est en jeu ici n'est pas de savoir si Maduro a remporté ou perdu les élections de 2024. Je ne suis pas vénézuélien et je veux seulement que la volonté du peuple vénézuélien soit respectée. Ce qui est en jeu, c'est le principe de la souveraineté des États - pas seulement la souveraineté du Venezuela et le droit du peuple vénézuélien à l'autodétermination, mais la souveraineté d'autres États d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie. Ce qui est crucial, c'est notre reconnaissance de la nécessité d'appliquer le droit international de manière uniforme, et non pas à la carte comme le veut « l'exceptionnalisme » états-unien. Les États-Unis et l'UE n'ont pas le droit de s'immiscer dans les élections d'autres pays, ni le droit de décider quelles élections sont légitimes et lesquelles ne le sont pas.

Actuellement, plus de cinquante gouvernements à travers le monde ont reconnu la légitimité de l'élection de Maduro. Audiatur et altera par : l'autre partie doit être écoutée aussi.

notes:

(1) See my analysis of the media, Chapter 7: The Human Rights Industry, Clarity Press, 2023.

² Gaius Iulius Caesar: De bello civile 2,27,2

³  justice.gov

⁴ paraphrased by Terentius

 freedomhouse.org

 msn.com

 caricom.org

 wpc-in.org

 jeffsachs.org  business-standard.com

(10) Overthrow, Times Books, New York 2006; Kinzer: All the Shah's Men: An American Coup and the Roots of Middle Eastern Terror, John Wiley and Sons, New York 2003

(11)  ohchr.org

(12)  ohchr.org

(13)  ohchr.org

(14)  archive.org

(15) migueltinkersalas.com

(16) Jeffrey Sachs and Marc Weisbrot: "Economic Sanctions as Collective Punishment". 2019, cepr.net

(17)  cepr.net

(18)  telesurtv.net

(19)  tsikhanouskaya.org

(20)  unesco.de

(21)  seymourhersh.substack.com

(22) Biden bei Treffen mit Scholz: Bei Einmarsch Russlands in Ukraine kein Nord Stream 2

(23) Nils Melzer: The Trial of Juian Assange, Verso Books, New York 2022

(24) oas.org

L'auteur :  Alfred de Zayas (sur la photo avec Noam Chomsky) a été de 2012 à 2018 le premier expert indépendant de l'ONU pour la promotion d'un ordre international démocratique et équitable. Docteur en Droit de l'Université de Harvard. Docteur en Histoire de l'Université de Göttingen. Enseigne le Droit international à l'École de Diplomatie de Genève. Professeur invité à l'Université de la Colombie-Britannique au Canada, à l'École de Droit de la DePaul University (Chicago), à l'Institut des Droits de la Personne de l'Université Nationale Irlandaise (Galway) et à l'Université de Trèves (Allemagne). Auteur de douze ouvrages parmi lesquels « Building a Just World Order » (2021), « Countering Mainstream Narratives » 2022 et « The Human Rights Industry » (Clarity Press, 2021).

Source :  Counterpunch

Traduit de l'anglais par Thierry Deronne

 investigaction.net

 Commenter