15/09/2024 mounadil.wordpress.com  9min #256673

Tuer ou blesser des Américains en toute impunité, c'est possible au pays des miracles

En Cisjordanie occupée, la résistance pacifique de la population palestinienne à la colonisation reçoit le renfort d'un certain nombre de militants venus de l'étranger, d'Europe et des Etats Unis notamment. Cette contribution de militants occidentaux est rarement évoquée par les médias occidentaux et fait parfois les titres des journaux quand l'un d'entre eux est victime de l'armée sioniste. Ce fut le cas de Rachel Corrie, morte écrasée par un bulldozer de l'armée d'occupation ou, tout récemment, de la jeune militante américano-turque Aysenur Ezgi Eygi tuée par un soldat sioniste à Beita en Cisjordanie.

Rachel Corrie

Dans ce genre de situation, les autorités sionistes parlent généralement de balle perdue, de tir non intentionnel. Une version bientôt contredite par une enquête du  Washington Post.

La mollesse de la réaction des autorités américaines interroge surtout quand on connaît leur sévérité quand leurs ressortissants sont tués sous d'autres cieux...

Ce sont cette mollesse et surtout cette hypocrisie que dénonce Daniel Santiago, un militants américano-philippin, récemment blessé par balle à l'endroit même où Aysenur Ezgi Eygi a été tuée.

 Je suis un militant américain. Des soldats israéliens m'ont tité dessus lors d'une manifestation pacifique

par  Daniel Santiago

Time Magazine (USA) 13 septembre 2024 traduit de l'anglais par Djzaïri

Daniel Santiago est un responsable communautaire philippino-américain et professeur d'anglais en lycée à Jersey City, dans le New Jersey.

Le vendredi 9 août, un soldat israélien m'a tiré dessus lors d'une manifestation pacifique dans le village de Beita, en Cisjordanie.

Les manifestations hebdomadaires ont commencé en mai 2021 en réaction à l'implantation d'une nouvelle colonie appelée Evyatar, que  le gouvernement israélien a depuis légalisée, accélérant ainsi l'  annexion de terres palestiniennes. L'armée israélienne a tiré des gaz lacrymogènes et des balles réelles, forçant quelques dizaines de manifestants à fuir et à chercher refuge dans une oliveraie voisine.

Au début, je ne me suis pas rendu compte que j'avais été touché par une balle. J'ai cru avoir été touché par une grenade lacrymogène et j'ai même pu continuer à courir pendant quelques instants. C'est lorsque j'ai baissé les yeux et vu la masse de chair vive et palpitante que j'ai compris qu'une balle m'avait traversé la jambe.

Les Palestiniens qui m'entouraient m'ont emmené d'urgence dans une camionnette qui attendait sur un chemin de terre à environ un kilomètre de là, puis dans une ambulance. En route vers l'hôpital Rafidia de Naplouse, nous avons été arrêtés trois fois par des véhicules de l'armée israélienne et des points de contrôle, et sommes arrivés à l'hôpital environ une heure plus tard. Les Palestiniens n'ont pas cette chance. En août 2023, par exemple, une ambulance transportant un homme de 40 ans inconscient victime d'un accident vasculaire cérébral s'est vue  refuser l'entrée à Jérusalem-Est, entraînant sa mort. En juin de cette année, l'armée israélienne a même attaché un Palestinien blessé  à l'avant d'un véhicule militaire israélien.

Daniel Santiago à l'hôpital de Rafidia le 9 août 2024

La balle qui m'a frappé n'a pas touché un élément vital. Mais juste au bout du couloir, un garçon de 13 ans nommé Marwan se remettait d'une blessure par balle causée par des tirs israéliens le même jour. La balle a traversé son os alors qu'il jouait au football avec ses amis. Lorsque je suis descendu en boitant dans le couloir pour lui rendre visite, sa famille m'a dit que sa blessure n'était rien comparée à ce qui arrivait aux habitants de Gaza.

 Le lendemain, quatre personnes, dont des enfants, de Beit Furik, à l'est de Naplouse, ont été admises dans le même hôpital que moi. Trois d'entre elles avaient été blessées par balle à la jambe et une au bras. Ce jour-là,  près de 100 personnes ont été tuées à Gaza lorsqu'une école et une mosquée ont été touchées par une frappe aérienne israélienne pendant la prière du matin.

Je suis venu en Cisjordanie avec  Defend Palestine pour assurer une protection civile non violente - une  forme bien connue de maintien de la paix - aux agriculteurs et aux familles palestiniens. De telles actions sont rendues nécessaires par la rapide escalade de la violence des colons et de l'armée ; une violence qui ne semble jamais susciter que condamnation et sanctions individuelles de la part de l'administration Biden-Harris, sans jamais remettre en question la relation sécuritaire entre les États-Unis et Israël.

L'armée israélienne a qualifié le tir que j'ai subi d'« accident», affirmant que les soldats avaient tiré à balles réelles en l'air. (J'avais auparavant utilisé un pseudonyme, Amado Sison, mais j'ai décidé de rendre public mon vrai nom.) La vérité est qu'ils ont tiré directement sur moi. La balle est entrée par l'arrière de ma cuisse et est ressortie par l'avant. C'est une trajectoire qui serait impossible pour une balle tombant du ciel. Le Département d'État a déclaré être  « au courant de l'incident » et l'ambassade des États-Unis m'a proposé de m'accompagner pour déposer une plainte auprès de la police israélienne. Mais j'ai décliné cette offre car je pense que ce genre de dmarche efface l'impunité systémique dont jouit Israël. Les faits  le confirment.

Plus tôt cette année, le président Joe Biden a déclaré :  «  Si vous faites du mal à un Américain, nous riposterons.  » Pourtant, l'administration Biden n'a même pas condamné mon agression. La même chose s'est produite lorsque deux semaines plus tôt,  des Américains ont été matraqués par des colons israéliens. Et lorsqu'un  adolescent palestinien-américain a été abattu en Cisjordanie en janvier. Et lorsqu'un  jeune palestinien-américain s'est fait tirer dessus et a été emprisonné à tort par les forces israéliennes en décembre dernier.

Il y a une semaine, à quelques mètres de l'endroit où on m'a tiré dessus, Ayşenur Ezgi Eygi, une militante américaine de 26 ans, a été  tuée lors de la même manifestation hebdomadaire à Beita. Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a qualifié son meurtre de «non provoqué et injustifié» après que l'armée israélienne a déclaré qu'elle avait «très probablement» été touchée par des balles perdues de Tsahal. Biden et Harris ont tous deux été critiqués dans les jours qui ont suivi sa mort pour  ne pas avoir appelé la famille d'Eygi, qui se dit «profondément offensée par l'idée» que son meurtre était « involontaire ». La famille a demandé une enquête américaine indépendante. Aucune enquête n'a été annoncée.

Ayşenur Ezgi Eygi

Si l'administration Biden avait pris au sérieux le tir dont j'ai été victime, Ayşenur serait peut-être encore parmi nous aujourd'hui.

Les États-Unis permettent une telle violence inutile en soutenant Israël et en lui fournissant régulièrement des armes. Le jour même où on m'a tiré dessus par exemple, le Département d'État  a autorisé l'envoi d'une aide militaire à Netzah Yehuda, un bataillon ultra-orthodoxe accusé de graves violations des droits de l'homme contre les Palestiniens.

Les États-Unis et d'autres pays ont imposé des sanctions à une douzaine de colons extrémistes et à une poignée d'organisations, mais elles n'ont  eu qu'un impact minime. Pour ces raisons, je me fais l'écho des militants et de la plupart des Américains qui demandent à notre gouvernement de faire mieux. Ce n'est pas être extrémiste que de demander que nous respections l'État de droit. Les  lois Leahy et la loi sur l'aide étrangère interdisent très  clairement la fourniture d'armes et d'assistance militaire aux pays qui ont commis des violations des droits de l'homme, tout comme  les mémorandums de sécurité nationale de Biden lui-même. Il est temps que les États-Unis - qui fournissent des milliards de dollars d'armes à Israël chaque année - imposent un embargo sur les armes jusqu'à ce que Tel-Aviv se conforme pleinement à la décision historique de la Cour Internationale de Justice de juillet dernier, selon laquelle l'occupation de Gaza et de la Cisjordanie par Israël est illégale.

J'ai encore espoir en un monde où les gens comme moi n'auraient pas à se mettre en danger pour s'opposer aux brutalités contre les Palestiniens et pour qu'ils puissent vivre en liberté et dans la dignité en Cisjordanie, à Gaza et ailleurs.

 mounadil.wordpress.com

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