Par Kit Klarenberg
Londres a interdit à la presse nationale d'évoquer le déploiement du Special Air Service (SAS) "dans des zones sensibles" d'Asie occidentale & les "opérations de libération et d'évacuation d'otages".
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Le 8 juin, les forces israéliennes ont organisé une opération de "sauvetage" meurtrière dans le camp de réfugiés palestiniens de Nuseirat. Cette opération brutale a permis de libérer quatre prisonniers, d'en tuer trois autres – dont un citoyen américain – et de faire 274 morts et de nombreux blessés palestiniens. L'armée israélienne a également subi des pertes, notamment celle d'un haut gradé.
Bien que le Hamas ait proposé, depuis le 8 octobre, de libérer les prisonniers détenus à Gaza en échange d'un cessez-le-feu et d'un retrait total des forces d'occupation, cette opération ne peut être considérée que comme un échec cuisant pour Israël, s'inscrivant dans un contexte de dérapage stratégique plus général.
En huit mois de conflit, l'armée israélienne n'a atteint aucun des objectifs de guerre annoncés par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, mais l'isolement international grandissant de Tel-Aviv exigeait un véritable show de relations publiques.
La fuite en avant
Les médias occidentaux se sont empressés de mordre à l'hameçon, saluantlargement cette action "héroïque". Un média a qualifié le fiasco de "triomphe miraculeux". Un autre a célébré la récupération "audacieuse" d'otages "étroitement surveillés".
Les photos et biographies des quatre prisonniers libérés ont été largement diffusées. Les témoignages mièvres ont abondé. Toutefois, dans ce déluge nauséabond, le New York Times a discrètement publié une révélation qui fait l'effet d'une bombe. Des agents des services de renseignement britanniques et américains et des spécialistes de "libération d'otages" ont joué un rôle central dans l'opération de "sauvetage".
Selon l'article, ces agents britanniques et américains ont été stationnés dans l'État d'occupation depuis le début de la guerre, "fournissant des renseignements et d'autres formes de soutien logistique" et "collectant et analysant des informations" en vue de libérer les prisonniers israéliens et de localiser les hauts responsables du Hamas.
Londres et Washington ont, paraît-il,
"été en mesure de fournir des renseignements aériens et du cyberespace qu'Israël ne peut collecter à lui seul". Parallèlement, "le Pentagone et la CIA ont fourni des informations collectées lors de vols de drones au-dessus de Gaza, d'interceptions de communications et d'autres sources".
Opérations antiterroristes
Que ce récit constitue une couverture mensongère devrait aller de soi. Si, depuis le 7 octobre, les services de renseignement britanniques et américains travaillent réellement à partir de Tel-Aviv pour traquer les dirigeants du Hamas et libérer les prisonniers, leurs efforts ont été aussi inefficaces que l'opération de "sauvetage" elle-même.
Le Hamas n'a quasiment pas été impacté, ont reconnu les médias dominants, et les porte-parole des Forces armées israéliennes ont affirmé que 120 prisonniers sont toujours détenus à Gaza. La présence secrète des Britanniques en Israël obéit donc à une autre logique.
Le 28 octobre 2023, le ministère britannique de la Défense a émis une "D-notice" [ndt : circulaire ministérielle d'interdiction de publier pour cause de secret défense] interdisant aux organes de presse nationaux de mentionner que le Special Air Service (SAS) est
"déployé dans des zones sensibles" d'Asie occidentale et mène des "opérations de libération et d'évacuation d'otages".
"[Le ministère de la Défense] veut ainsi prévenir la divulgation involontaire d'informations classifiées sur les forces spéciales et autres unités engagées dans des opérations de sécurité, de renseignement et de lutte contre le terrorisme [à Gaza], y compris leurs stratégies, leurs technologies et le type d'opérations."
Des forces occidentales "en attente"
Il est probable que cette censure a été déclenchée par les révélations des tabloïds britanniques selon lesquelles le SAS se tient "prêt" dans des bases à Chypre "pour libérer des otages retenus en captivité à Gaza". Un vétéran du SAS a décrit de telles opérations comme étant presque inévitablement suicidaires :
"La situation à Gaza est spécifique pour ce qui a trait à la localisation des otages et à leur évacuation en toute sécurité. La situation à Gaza est extrêmement confuse.. Repérer les lieux où les otages sont retenus s'avère très complexe. On doit ensuite pouvoir se déplacer en toute sécurité vers ces lieux, récupérer les otages, et repartir. D'un point de vue organisationnel, c'est un véritable cauchemar. Cela pourrait se solder par un désastre".
Malgré les risques, l'opération de "sauvetage" israélienne s'est poursuivie, dans le but d'assurer une victoire de propagande à Tel-Aviv et de légitimer l'engagement des forces britanniques et américaines à Gaza. L'enquête du New York Times a discrètement fait allusion au rôle manifestement croissant de la Grande-Bretagne et des États-Unis dans les offensives sur Gaza, tout en confirmant leur détermination à soutenir les actions d'Israël.
Pour justifier l'implication de Washington, le journal affirme que ce soutien émane
"essentiellement […] de la conviction des responsables américains que le meilleur moyen de persuader Israël de mettre fin à la guerre est de récupérer ses otages et de neutraliser ou d'éliminer les principaux dirigeants du Hamas".
Un éditorial du Daily Telegraph s'est fait l'écho de ces propos dans un éditorial intitulé
"Nous devons soutenir les actions d'Israël pour libérer les otages", déclarant que "le succès de [l]'opération de sauvetage est un rappel opportun de ce pour quoi Israël se bat et de la légitimité absolue de sa mission", tout en déplorant que les "opérations militaires de Tel-Aviv ont fait l'objet d'un examen minutieux pratiquement impossible à satisfaire" :"L'engagement d'Israël à secourir les otages et à détruire le Hamas tranche singulièrement avec le manque de soutien de l'Occident dans ce sens".
Il semblerait que, de la même manière que les puissances occidentales ont systématiquement franchi les lignes rouges fixées par la Russie, leur implication directe à Gaza soit destinée à être progressivement normalisée.
En mars, la France a ouvertement menacé de déployer des troupes à Odessa, mais les autorités russes lui ont opposé un avertissement. Depuis, un flot de déclarations publiques et de reportages dans les médias indique que les militaires français se rendront néanmoins à Odessa en tant que "conseillers" et formateurs.
L'importance stratégique du Liban
Le mastodonte militaire israélien, autrefois redouté, a systématiquement été humilié lors des confrontations directes avec la résistance palestinienne à Gaza, et dans ses affrontements violents avec le Hezbollah, le célèbre mouvement de résistance libanais. Comme l'a rapporté The Cradle, l'État d'occupation occulte de lourdes pertes sur tous les fronts où il est engagé.
Pourtant, Tel-Aviv se prépare ouvertement à une guerre totale avec le Liban. The Cradle a également fait état des actions menées par la Grande-Bretagne pour assurer à ses soldats un accès total aux territoires libanais – terrestres, aériens et maritimes – en contournant l'obligation préalable "d'une habilitation diplomatique" pour ses "missions d'urgence".
Dans l'accord conclu entre Londres et Beyrouth – abandonné après que la proposition ait été divulguée aux médias libanais – les soldats britanniques auraient été autorisés à se déplacer en uniforme et à porter ouvertement leurs armes partout au Liban, tout en bénéficiant de l'immunité contre toute arrestation ou poursuite, quel que soit le délit perpétré.
Il est permis de penser que Londres anticipe une extension du conflit de Gaza en une guerre régionale plus large, et cherche à renforcer sa présence au Levant par anticipation, afin de favoriser une telle évolution. La défaite d'Israël face au Hezbollah en 2006, ainsi que ses déboires militaires actuels, montrent que Tel-Aviv est incapable de vaincre la résistance libanaise sans un soutien étranger majeur.
Le positionnement stratégique des forces britanniques et américaines témoigne de leur volonté flagrante de soutenir Israël en dépit des risques considérables de contrecoup politique et d'une potentielle déstabilisation régionale plus étendue.
Kit Klarenberg
Article original en anglais :
Traduction : Spirit of Free Speech
La source originale de cet article est The Cradle
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