Saïd Bouamama
Inédite, la riposte militaire de l'Iran contre Israël, le week-end dernier, a été mesurée et calibrée. Une opération riche en enseignements politiques et médiatiques qui confirme la logique du double standard chez les dirigeants politiques et les médias mainstream occidentaux, imperturbables défenseurs de l'Etat colonial et d'apartheid qui poursuit son génocide en Palestine (I'A).
Samedi 13 avril, l'armée iranienne a lancé une opération militaire inédite sous la forme du lancement de 200 drones et missiles sur le territoire israélien. L'attaque militaire a été légitimé par Téhéran comme étant une réponse à la frappe israélienne contre le consulat iranien de Damas, en Syrie, le 1er avril dernier, qui avait fait 11 victimes iraniennes dont deux généraux.
Elle a été annoncée à l'avance sans précision, bien entendu, sur son ampleur et sur ses cibles. Toutes celles-ci ont été des cibles militaires à Jérusalem, dans le nord d'Israël et dans la région du Néguev. Le message est clair : le gouvernement iranien faisait ainsi savoir qu'il avait la capacité d'atteindre toutes les régions du pays.
La forme de l'attaque est en elle-même un message. Elle contraint à la comparaison avec le génocide à Gaza qui touche essentiellement des civils, qui détruit des hôpitaux, des mosquées, des établissements scolaires... et qui souligne une disproportion indéniable entre le but annoncé, détruire le Hamas, et les moyens utilisés.
Opération militaire inédite
Caractérisant l'attaque iranienne, le journaliste Georges Malbrunot remarque que : « l'attaque iranienne a été calibrée et annoncée à l'avance. Parce que l'on savait à quelle heure les drones partaient et à quelle heure ils allaient arriver, parce que les cibles étaient militaires et parce que les alliés de l'Iran ne sont pratiquement pas intervenus. L'Iran a d'ailleurs dit tout de suite dit que l'affaire était close. »
L'opération a d'ailleurs été dénommé « Promesse honnête », le terme promesse indiquant que l'Iran avait annoncé une riposte à l'attaque de son consulat de Damas et le mot « honnête » soulignant que la riposte est à la fois proportionnée et ne concernant que des cibles militaires.
Les réactions politiques n'ont, bien entendu pas tardées.
Le président états-unien Joe Biden a de nouveau assuré Israël de son soutien inébranlable ; le gouvernement britannique a envoyé des avions de combats supplémentaires pour intercepter les drones et missiles en cas de nouvelle attaque iranienne ; une réunion d'urgence du conseil de sécurité a été convoqué pour le jour même ; la France a condamné immédiatement l'opération en estimant, selon le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, que « l'Iran a franchi un nouveau palier dans ses actions de déstabilisation et prend le risque d'une escalade militaire » ; enfin, le G7 a menacé l'Iran : « Nous exigeons que l'Iran et ses alliés cessent leurs attaques, et nous sommes prêts à prendre de nouvelles mesures maintenant en réponse à de nouvelles initiatives de déstabilisation ».
Double standard
La palme de ce concours Lépine du double standard revient à l'Ukrainien Volodymyr Zelensky qui appelle presque au déclenchement d'une troisième guerre mondiale : « Les actions de l'Iran menacent l'ensemble de la région et du monde, tout comme les actions de la Russie menacent d'un conflit plus vaste, et la collaboration évidente entre les deux régimes pour répandre la terreur doit faire l'objet d'une réponse résolue et unie de la part du monde ».
Il est essentiel de comparer ces réactions au silence total ou aux réactions « euphémisées » lors des multiples raids israéliens au Liban, en Syrie ou en Iran ces dernières années. Au mieux nous avions un appel à la « retenue » et au pire un rappel du fameux « droit d'Israël à se défendre ».
Bref, les uns ont le droit de se défendre et les autres non. De même la démarche comparative est parlante entre les cibles uniquement militaires visées par l'Iran et le massacre continu de civils poursuivi par l'armée israélienne à Gaza depuis plus de six mois. Georges Malbrunot résume comme suit la situation : « L'Iran n'a fait aucun dégât réel. Téhéran s'en tient à une attaque calibrée et "responsable". »
Traitement médiatique anxiogène
Le traitement médiatique de l'attaque iranienne est lui aussi riche d'enseignement. Alors que le gouvernement iranien avait annoncé la riposte et une fois celle-ci réalisée que l'affaire était close, les titres des principaux médias se font volontiers anxiogènes.
Libération titre ainsi « Iran-Israël : « inquiétude », « appel à la retenue », « risque d'escalade ». Marianne titre dans le même sens, je cite « Risque d'escalade, condamnation..., Ce qu'il faut retenir de l'attaque de l'Iran contre Israël ». TF1 préfère un titre encore plus alarmant : « Le risque de chaos tétanise la communauté internationale. »
Bien entendu, cette crainte de l'escalade est renvoyée de manière indifférenciée aux deux belligérants. Or, d'une part, l'Iran a insisté fortement sur le caractère de riposte de son opération militaire et, d'autre part, n'a pas intérêt aujourd'hui à entrer en guerre avec Israël.
Tel n'est pas le cas pour Benjamin Netanyahou, pour plusieurs raisons que Georges Malbrunot résume ainsi :
« Les Américains veulent limiter les dégâts et ne veulent pas non plus d'une guerre face à l'Iran. Pour eux, l'incident est clos. Est-ce que Benjamin Netanyahou suivra ces indications ? L'avenir nous le dira. Avec Benjamin Netanyahou, il faut s'attendre à tout, ainsi qu'avec ses ministres extrémistes [...] les alliés occidentaux de Benjamin Netanyahou savent très bien qu'il peut prolonger la guerre à Gaza et qu'il est potentiellement dangereux [...] Cette attaque détourne l'attention de la bande de Gaza et elle permet à Benjamin Netanyahou de renvoyer la charge causative sur l'Iran ».
Surtout alors qu'après l'attaque du 7 octobre le droit d'Israël à se défendre avait été ressassé à longueur d'articles, cette fois-ci il ne se trouve aucun journaliste pour commenter un éventuel droit similaire pour Téhéran.
Un journalisme occidental borgne
De même aucun de ces journalistes n'a trouvé nécessaire de rappeler quelques exemples des dizaines de raids israéliens en territoire libanais, syrien, irakien et iranien au cours de la dernière décennie. Le B et A- Ba de la contextualisation historique et géographique d'un sujet à traiter semble avoir disparu pour toutes les questions concernant Israël.
De même la signification militaire et politique de l'attaque iranienne n'est pas non plus développée. Pourtant c'est la première fois depuis l'instauration de la république islamique c'est-à-dire depuis 45 ans qu'une riposte iranienne touche le territoire israélien.
Même si de nombreux articles reprennent et insistent sur le bilan officiel israélien (« 99 % des projectiles ont été interceptés par l'armée israélienne et ses alliés »), l'attaque iranienne met fin au mythe d'une invincibilité de l'armée israélienne, déjà mise à mal au Liban en 2000 et en 2006. Netanyahou, qui a construit tous son argumentaire de justification du génocide à Gaza sur des motifs de sécurité, apparaît comme incapable d'assurer celle-ci.
Pendant que se déploie cette logique du double standard dans les réactions politiques comme dans la couverture médiatique, le génocide à Gaza continue, chaque jour, dans une inaction internationale scandaleuse et une banalisation honteuse.
Saïd Bouamama
Pour aller plus loin :
Georges Malbrunot, DECRYPTAGE. Attaque de l'Iran sur Israël : "Une opération calibrée et annoncée" qui pourrait inciter l'État hébreu à riposter, La dépêche du 14 avril 2024, consultable sur le site ladepeche.fr
Alexandre Boudet, Comment l'Iran justifie son attaque sur Israël, et pourquoi il parle de « succès », Huffingtonpost du 14 avril 2024, consultable sur le site huffingtonpost.fr
Source : Investig'Action