Irfan Galaria
Displaced Palestinian children carry rations of red lentil soup, distributed by volunteers in Rafah in the southern Gaza Strip on February 18, 2024, amid the ongoing conflict between Israel and the militant group Hamas. - After more than four months of war that has flattened huge swathes of the Strip, Gazans are inching closer towards famine, according to the UN's World Food Programme. (Photo by SAID KHATIB / AFP)
Parti en mission humanitaire dans la Bande de Gaza, le Dr Irfan Galaria a témoigné dans les colonnes du Los Angeles Times de l'enfer sur place. Son récit est émaillé d'épisodes glaçants: « Un jour, des enfants ont été amenés aux urgences. Tous avaient reçu une balle dans la tête. »
Fin janvier, j'ai quitté mon chez moi en Virginie, où je travaille comme chirurgien plasticien et réparateur, pour rejoindre un groupe de médecin et d'infirmières qui se rendaient en Egypte avec l'association d'aide humanitaire MedGlobal pour se porter volontaires à Gaza.
J'ai travaillé, auparavant, dans d'autres zones de guerres. Mais ce dont j'ai été témoin au cours des dix jours qui ont suivi mon arrivée à Gaza, n'était pas une guerre - c'était l'anéantissement. Au moins 28 000 Palestiniens ont été tués par les bombardements israéliens sur Gaza. Depuis Le Caire, la capitale égyptienne, nous avons roulé pendant 12 heures vers l'est jusqu'à la frontière de Rafah. Nous avons dépassé des kilomètres de camions d'aide humanitaire garés parce qu'ils n'étaient pas autorisés à entrer dans la bande de Gaza. À part mon équipe et d'autres envoyés des Nations unies et de l'Organisation mondiale de la santé, il y avait très peu d'autres personne sur place.
L'entrée dans le sud de Gaza le 29 janvier, où de nombreuses personnes ont fui le nord, ressemblait aux premières pages d'un roman apocalyptique. Nos oreilles étaient engourdies par le bourdonnement constant de ce que l'on m'a dit être les drones de surveillance qui nous survolaient en permanence. Nos nez étaient consumés par la puanteur d'un million d'êtres humains déplacées vivant à proximité les unes des autres sans installations sanitaires adéquates. Nos yeux se sont perdus dans la mer de tentes qui s'étendait devant nous. Nous avons séjourné dans une maison d'hôtes à Rafah. Notre première nuit a été froide et beaucoup d'entre nous n'ont pas réussi à s'endormir. Nous sommes restés sur le balcon à écouter les bombes et à voir des nuages de fumée s'élever de Khan Yunis.
Le lendemain, alors que nous approchions de l'hôpital européen de Gaza, des rangées de tentes longeaient et bloquaient les rues. De nombreux Palestiniens se sont dirigés vers cet hôpital et d'autres en espérant qu'ils y trouveraient un refuge contre la violence - ils avaient tort.
Les gens avaient également afflué par vagues à l'intérieur même de l'hôpital vivant dans les couloirs, les cages d'escaliers et même les placards de rangement. Les passages autrefois larges, conçus par l'Union européenne pour accueillir les allés et venus considérables du personnel médical, des brancards et du matériel, sont désormais réduites à un passage en file indienne. De chaque côté, des couvertures suspendues au plafond délimitaient de petits espaces pour des familles entières, offrant ainsi un soupçon d'intimité. Un hôpital conçu pour accueillir environ 300 patients s'efforçait désormais de prendre en charge plus de 1 000 patients et des centaines d'autres venu y trouver refuge.
Un nombre limité de chirurgiens locaux étaient disponibles. On nous a dit que beaucoup d'entre eux avaient été tués et beaucoup d'autres arrêtés, ceux-là, personnes ne savaient où ils se trouvaient ni même s'ils étaient encore en vie. D'autres été piégés dans les zones occupées du nord ou dans des zones alentours à partir desquelles il était trop risqué de se rendre à l'hôpital. Il n'y avait plus qu'un seul chirurgien plasticien local qui couvrait les besoins de l'hôpital 24/24h et 7/7j. Sa maison avait été détruite, alors il vivait dans l'hôpital ; il avait emporté tous ses effets personnels dans deux petits sacs à main. Ce genre de récit était devenu bien trop courant parmi le personnel restant de l'hôpital. Ce chirurgien était chanceux parce que sa femme et sa fille étaient encore en vie alors que presque tous les autres employés de l'hôpital pleuraient la mort de leurs proches.
Je me suis immédiatement mis au travail opérant dix à douze patient par jours, enchaînant quatorze à seize heures de travail. La salle d'opération tremblait souvent à cause des bombardements incessants, aussi souvent qu'elle tremblait parfois toutes les trente secondes. Nous opérions dans des environnements non-stériles qui auraient été impensables aux Etats-Unis. Nous avions un accès limité aux équipements médicaux pourtant essentiels : nous procédions quotidiennement à des amputations de bras et de jambes avec une scie Gligli, un outil datant de la guerre de Sécession qui consiste essentiellement en un segment de fil de fer barbelé. De nombreuses amputations auraient pu être évitées si nous avions eu accès à du matériel médical basique. Il était difficile de s'occuper de tous les blessés dans un système de santé totalement effondré.
J'ai écouté mes patients, me chuchoter leur histoire alors que je les conduisais vers la salle d'opération. La majorité d'entre eux étaient en train de dormir chez eux quand ils ont été bombardés. Je ne pouvais m'empêcher de penser que les plus chanceux étaient morts instantanément, soit par la force de l'explosion, soit ensevelis sous les décombres. Les survivants ont subi des heures d'opération et de multiples aller-retour en salle d'opération tout en pleurant la perte de leurs enfants et de leur conjoint. Leurs corps étaient remplis d'éclats d'obus qu'il fallait extraire chirurgicalement de leur chair, morceau par morceau.
J'ai cessé de compter le nombre de nouveaux orphelins que j'étais en train d'opérer. Après l'opération, ils étaient placés quelque part dans l'hôpital, sans que je sache qui s'occuperait d'eux ou comment ils survivraient. Une fois, une poignée d'enfants, tous âgés de 5 à 8 ans, ont été portés jusqu'à la salle d'urgence, par leurs parents. Tous avaient reçu une seule balle de sniper dans la tête. Ces familles étaient en train de rentrer chez elles à Khan Yunis, à environ 3,5 km de l'hôpital, après le retrait des chars israéliens. Mais les tireurs d'élite étaient apparemment restés sur place. Aucun de ces enfants n'a survécu.
Le dernier jour, alors que je retournais à la maison d'hôtes où les habitants savaient que les étrangers séjournaient, un jeune garçon s'est précipité sur moi et m'a offert un petit cadeau. C'était un rocher de la plage, avec une inscription en arabe écrite au marqueur : « De Gaza, avec amour, malgré la douleur ». Alors que je me tenais sur le balcon et que je regardais Rafah pour la dernière fois, nous pouvions entendre les drones, les bombardements et les rafales de mitrailleuses, mais quelque chose était différent cette fois : le son était plus fort, les explosions plus proches. Cette semaine, les forces israéliennes ont attaqué un autre grand hôpital de Gaza et prévoient une offensive terrestre à Rafah. Je me sens profondément coupable d'avoir pu partir alors que des millions de personnes sont forcées d'endurer le cauchemar de Gaza. En tant qu'Américain, je pense à nos impôts qui ont financé les armes qui ont probablement blessé mes patients là-bas. Déjà chassés de chez eux, ces gens n'ont nulle part autre où aller.
Source : Los Angeles Times
Traduit de l'anglais par Falasteen B. pour Investig'Action