Par Jonathan Kuttab
L'Office de secours et de travaux des Nations unies ( UNRWA) est une agence respectable et infatigable qui a été créée peu après la Nakba pour répondre aux besoins immédiats des réfugiés palestiniens qui, victimes d'un nettoyage ethnique, avaient été chassés de la Palestine en 1948.
Elle avait un mandat unique, distinct de celui du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). La mission de cette agence était limitée aux réfugiés palestiniens, son financement devait être assuré séparément de celui de l'Organisation des Nations unies elle-même, et ses fonctions devaient être temporaires jusqu'au retour des réfugiés dans leur foyer.
Israël et les États-Unis ont été d'un grand soutien et fortement impliqués dans la création de cette agence et du maintien de son statut séparé du HCR, car ils ne voulaient pas que les réfugiés palestiniens bénéficient de certains des avantages dont jouissaient les réfugiés dans le cadre du HCR.
L'agence gère des camps de réfugiés au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Cisjordanie, et à Gaza. Elle assure des services dans trois domaines principaux : l'Éducation (par le biais des écoles de l'UNRWA), la Santé (par le biais de ses cliniques), et les Services Sociaux.
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Pendant une douzaine d'années, mon épouse Beth a été la Directrice des Services Sociaux de l'UNRWA pour l'ensemble de ces cinq régions, aussi j'ai une connaissance directe du travail extraordinaire qu'assure l'agence dont la plupart des 30 000 employés sont eux-mêmes des réfugiés palestiniens.
Aujourd'hui l'UNRWA vient en aide à 5,7 millions de réfugiés palestiniens. A Gaza, avec 13000 salariés dont 153 ont été tués par Israël, c'est le deuxième plus important employeur, et l'agence loge plus d'un million de personnes dans 154 installations où sont hébergés les réfugiés déplacés internes.
Israël a toujours eu un rapport ambivalent à l'UNRWA. Il préférerait que l'agence soit dissoute, que les réfugiés soient assimilés par les pays voisins et cessent totalement de rêver du droit au retour en Palestine.
La théorie est la suivante : s'il n'y avait pas d'UNRWA, il n'y aurait pas de réfugiés palestiniens [1] ; il n'y aurait pas de droit au retour, ni même d'aspiration au retour.
Au lieu de cela, les réfugiés s'installeraient tout simplement dans d'autres pays. Il me faut préciser que cette théorie repose en grande partie sur des tropes et hypothèses profondément biaisées, comme « les Palestiniens n'existent pas » et « tous les Arabes se ressemblent. »
L'effondrement de l'UNRWA ne mènera pas à l'assimilation des Palestiniens, mais plus vraisemblablement à la souffrance prolongée d'une population minoritaire apatride multigénérationnelle vivant toujours dans des camps au sein de pays voisins.
Toutefois, notamment en Cisjordanie et à Gaza, l'UNRWA a procuré et procure des services inestimables qui devraient autrement incomber à Israël en tant que puissance occupante. A plusieurs reprises, des membres pro-israéliens du Congrès états-unien, écoutant le discours israélien, ont essayé de mettre fin au financement de l'UNRWA et de cesser les contributions des EU à ses opérations.
Mais on leur a discrètement dit que c'était dans l'intérêt d'Israël que l'organisation poursuive son travail.
Cette ambivalence a eu pour effet, de faire de l'UNRWA la cible habituelle de critiques constantes, en particulier de la part de la droite, de demandes d'une multitude d'enquêtes, d'accusations à tous propos allant de la corruption et l'inefficacité à l'incitation au sein de ses structures éducatives, à l'encouragement du nationalisme palestinien, et de l'espoir du retour, etc...
Dans chaque cas un examen approfondi par les pays donateurs n'a révélé aucun problème sérieux mais a mené inévitablement à des procédures et règles strictes, avec toujours en coulisses les soutiens israéliens insistant pour que l'UNRWA poursuive son travail inestimable, tout en le critiquant publiquement.
Il ne faut pas oublier que l'UNRWA a besoin chaque année de collecter de plus en plus de fonds directement auprès des pays donateurs, car elle ne reçoit aucun financement au titre du budget de l'ONU elle-même.
Tel est le contexte dans laquelle se déroule la crise actuelle, qui a débuté dès le lendemain de l'annonce de la décision de la CIJ faisant le constat de l'existence d'une crise humanitaire et du risque plausible de génocide résultant de la famine et de la création de conditions qui rendent Gaza invivable.
Que ce soit pour détourner l'attention de la décision intérimaire de la CIJ, ou dans le cadre du désir de longue date de la droite de détruire l'UNRWA en tant qu'organisation potentiellement hostile, Israël a annoncé, avec peu ou pas de preuves à l'appui, que 12 des 13000 employés de l'UNRWA étaient impliqués dans les attaques du 7 octobre.
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Bien qu'elle n'ait reçu aucune preuve de méfaits, l'UNRWA a rapidement suspendu les 12 employés et entrepris une enquête indépendante sur les allégations. Selon de récents rapports, le nombre réel d'employés accusés a été révisé à la baisse, de 12 à 6, voire 4.
Pourtant ceci n'était pas suffisant pour Israël et ses partisans, qui ont exigé que l'UNRWA elle-même soit punie, éventuellement démantelée, et empêchée de poursuivre sa mission humanitaire.
Etats-Unis en tête, 17 pays occidentaux ont rapidement annoncé la suspension de toutes contributions à l'UNRWA.
Ceci est particulièrement difficile à comprendre car l'UNRWA est la SEULE agence ou organisation avec la capacité logistique de distribution ou de gestion d'une quelconque aide humanitaire qu'Israël veut bien laisser entrer à Gaza.
Survenue rapidement après la décision de la CIJ, qui stipulait que l'aide humanitaire devait être immédiatement augmentée pour empêcher la famine actuelle, cette décision est très difficile à comprendre, d'autant plus qu'aucun de ces pays n'avait la moindre preuve d'un acte répréhensible commis par l'UNRWA.
Même s'il s'avère que 12 employés sur 13000 ont pris part aux attaques du 7 octobre, cela n'incrimine en aucune façon l'UNRWA elle-même, ni ne justifie la suspension de ses activités salvatrices vitales.
La seule explication qui vaille est que ces pays ont choisi, sur le plus mince des prétextes, de prendre part à une action qui les rend complices du génocide contre lequel la CIJ a mis en garde.
Cela souligne aussi le fossé existant entre le 1% des décideurs dans ces pays et les souhaits d'une écrasante majorité de leur population, dont un grand nombre ont massivement défilé dans les rues pour exiger un cessez-le-feu et montrer qu'ils se soucient des Palestiniens innocents et manifester leur solidarité avec eux.
J'apprends que la Norvège, l'un des pays européens qui n'a pas suspendu sa contribution à l'UNRWA, vient de nominer l'UNRWA pour le prix Nobel de la paix en raison de son travail humanitaire héroïque. J'espère qu'elle l'obtiendra.
Dites à vos élus que le financement de l'UNRWA doit être rétabli !
Note du traducteur :
[1] Ce n'est pas l'UNRWA qui crée les réfugiés, mais l'existence des réfugiés palestiniens qui a été à l'origine de la création de l'UNRWA. Les réfugiés sont la conséquence de la création de l'état d'Israël en 1948 qui a fait près de 800 000 déplacés palestiniens, certains vers Gaza et les autres vers la Jordanie, le Liban, etc... auxquels sont venus s'ajouter d'autres réfugiés à la suite de la guerre des six jours en 1967.
Auteur : Jonathan Kuttab
* Jonathan Kuttab est cofondateur du groupe palestinien de défense des droits Humains Al-Haq et cofondateur de Nonviolence International. Avocat international réputé dans le domaine des droits humains, il pratique le droit aux États-Unis, en Palestine et en Israël. Il siège au conseil d'administration du Bethlehem Bible College et est président du conseil d'administration du Holy Land Trust. Il est cofondateur et membre du conseil d'administration de Just Peace Advocates. Il a dirigé le comité juridique chargé de négocier l'accord du Caire de 1994 entre Israël et l'OLP. Son compte Fosna - Traduction: Chronique de Palestine - MJB