Saïd Bouamama
La chronique de cette semaine du « Monde vu d'en bas » a été consacrée à deux questions. La seconde : le retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Cédéao, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest. Retrouvez ci-dessous, in extenso, l'analyse de Saïd Bouamama.
Dimanche 28 janvier, le Mali, le Burkina Faso et le Niger rendaient public simultanément leur décision de démissionner de la Cédéao. La décision est historique et unique dans l'histoire presque cinquantenaire de cette institution.
L'annonce de cette décision a été faite par communiqué qui commence par rappeler les objectifs initiaux de la Cédéao : « L'intégration entre les États de la sous-région selon les idéaux de fraternité, de solidarité, d'entraide, de paix et de développement.»
Tirant le bilan du presque cinquantenaire de la Cédéao, le communiqué constate : « Après 49 ans d'existence, les vaillants peuples du Burkina, du Mali et du Niger, constatent avec beaucoup de regrets, d'amertume et une grande déception que leur Organisation s'est éloignée des idéaux des pères fondateurs et du panafricanisme. En outre, la CEDEAO, sous l'influence de puissances étrangères, trahissant ses principes fondateurs, est devenue une menace pour ses États membres et ses populations dont elle est censée assurer le bonheur. »
Effectivement la Cédéao s'est fait le relais des pressions occidentales en général et françaises en particulier pour sanctionner les coups d'État patriotiques qui ont touchés ces trois pays. Alors qu'ils sont tous trois confrontés à la nécessité de la lutte contre les groupes terroristes ces pays se sont vu imposer des sanctions économiques sévères qui ont fragilisés leurs économies. Ces sanctions d'abord exigées par Paris qui ne supporte pas les décisions souveraines de ces trois pays d'exiger le retrait de l'armée française de leurs territoires, ont été ensuite reprise et mise en œuvre par la Cédéao.
Conséquence logique
Le communiqué précise ainsi : « En effet, l'organisation n'a pas porté assistance à nos États dans le cadre de notre lutte existentielle contre le terrorisme et l'insécurité ; pire, lorsque ces États ont décidé de prendre leur destin en mains, elle a adopté une posture irrationnelle et inacceptable en imposant des sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables en violation de ses propres textes ; toutes choses qui ont davantage fragilisé les populations déjà meurtries par des années de violence imposée par des hordes terroristes instrumentalisées et téléguidées. »
Le communiqué indique ainsi l'accord de ces trois pays sur la persistance des groupes terroristes dans la région. Aux facteurs internes expliquant l'apparition et l'installation durable du terrorisme, s'ajoute selon les dirigeants de ces trois pays, des stratégies internationales de grandes puissances et en particulier de la France.
Cette dernière présente, il y a encore peu, dans ces trois pays au prétexte de la lutte anti-terroriste, menait une lutte antiterroriste à minima pour justifier sa présence durable dans la région et ainsi préserver sa mainmise économique sur une région qu'elle considère comme étant son pré carré.
Plus grave, ont accusés récemment ces trois pays, la France n'a pas hésité à instrumentaliser des groupes terroristes pour maintenir l'instabilité, fragiliser l'unité nationale et assurer une dépendance de ces pays vis-à-vis d'elle. La Cédéao en se faisant le relais des exigences françaises devenait une force supplétive de l'impérialisme français.
Tirant les conséquences logiques de leur analyse, les trois pays concernés prennent une décision historique, je cite : « Face à cette situation qui perdure, Leurs Excellences, Le Capitaine Ibrahim Traoré, Le Colonel Assimi Goïta et Le Général de Brigade Abdourahamane Tiani, respectivement Chefs d'État du Burkina Faso, de la République du Mali et de la République du Niger, prenant toutes leurs responsabilités devant l'histoire et répondant aux attentes, préoccupations et aspirations de leurs populations, décident en toute souveraineté du retrait sans délai du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest. »
En finir avec la dépendance coloniale
La décision commune porte un coup conséquent à la Cédéao qui ne s'attendait pas à une telle audace et à un tel courage politique. Une communauté des États de l'Afrique de l'Ouest n'a pas de sens sans la présence de ces trois pays. C'est ce qui explique le ton modéré des instances de la Cédéao dans sa réponse au communiqué de démission des trois États Alors que jusqu'à récemment les décisions étaient des sanctions et les menaces, celles d'une intervention militaire, le ton est désormais à la recherche d'une solution politique.
Le même jour que la parution du communiqué de démission, la Cédéao en publiait aussi un, disant : « Le Burkina Faso, le Niger et le Mali restent des membres importants de la Communauté et l'Autorité reste déterminée à trouver une solution négociée à l'impasse politique ».
La décision commune de quitter la Cédéao survient après de nombreuses autres soulignant la volonté de se débarrasser des liens de dépendances avec l'ancien colonisateur. Après le retrait des troupes françaises de leurs pays, après la création en septembre 2023 de l'Union des États du Sahel qui affiche l'objectif de constitution d'une fédération, les trois États ont récemment fait part de leur volonté de sortir du Franc CFA et de créer une monnaie commune.
Le 25 novembre dernier les ministres des finances de ces trois pays, se sont, en effet, réunis à Bamako pour la première réunion d'un processus ayant pour but : « d'échanger et de créer une synergie d'action entre les pays membres sur l'accélération du processus d'intégration économique et financière au sein de l'alliance ». A l'ordre du jour de cette réunion on trouve les infrastructures de transport, les échanges commerciaux, la sécurité alimentaire, l'harmonisation juridique, l'autonomie énergétique, etc. Bref, l'ambition n'est rien de moins que la création d'une Union économique et monétaire. Après cinq jours de travaux des ministres des finances, les conclusions mentionnent : « La création d'un fond de stabilisation, d'une banque d'investissement pour promouvoir l'intégration économique et monétaire qui aboutit à la création d'une monnaie commune ».
Un vent frais d'indépendance et de souveraineté souffle décidément sur l'Afrique de l'Ouest donnant ainsi un exemple au reste du continent.
Saïd Bouamama
(*) Les intertitres sont de la rédaction.
Pour conclure
Le savoir est une arme et il commence par le savoir s'informer. Nous espérons que notre émission a apporté sa contribution à cette information citoyenne nécessaire et urgente. N'hésitez pas à nous transmettre des sujets d'actualité que vous souhaitez voir traiter dans notre émission. Ils seront traités dès qu'un fait d'actualité en lien avec eux permettra d'y revenir. Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour une nouvelle séance du «Monde vu d'en bas ».
Pour aller plus loin
- Communiqué conjoint du Burkina Faso, de la République du Mali et de la République du Niger, consultable sur le site Faso. Net : lefaso.net