Catherine Roman pour France-Soir
"Honte à tous ceux qui, oubliant leur devoir envers leur patrie, en appellent à l'étranger." (Joseph Anténor Firmin)
Patrice Coppée
Troisième et dernière partie.
"Pour détruire un peuple, on doit, en premier, couper complètement sa racine." (Alexandre Soljenitsyne)
7- L'arrivée au pouvoir de Jovenel Moïse et son assassinat
Jovenel Moïse au cours de son mandat assuma la rupture de l'ordre démocratique du pays, en violant son mandat constitutionnel, en établissant des relations de promiscuité avec le crime organisé, en suspendant les élections, en fermant virtuellement le congrès de la république et en interférant dans les principaux tribunaux du pays.
Depuis l'assassinat de Jovenel Moïse le 7 juillet 2021, dans l'exercice de ses fonctions, par un peloton de mercenaires colombiens et américains, le poste est vacant. L'intérim est assuré illégalement par le gouvernement dirigé par le premier ministre, Ariel Henry.
Cet assassinat a permis d'installer le quatrième état d'exception. Le principal appui et soutien d'Ariel Henry est international car, en interne, il n'est pas parvenu à stabiliser le pays, ni par la répression, ni par le consensus, inenvisageable.
Le refus par les Occidentaux et les oligarques haïtiens d'organiser des élections est que, quel que soit le candidat que présenterait l'establishment dans ce contexte de discrédit total, il perdrait largement face à tout rival progressiste ou de gauche.
Il faut rappeler qu'Ariel Henry occupe aujourd'hui par intérim la charge à laquelle il a été désigné de façon ridicule et inédite par un tweet du Core Group comprenant notamment les Etats-Unis, la France et le Canada. Son mandat aurait dû s'achever le 7 février 2022 et de nouvelles élections auraient dû avoir lieu. Mais elles n'ont jamais été organisées.
En outre, la constitution haïtienne reconnait comme principale autorité nationale un président qui aujourd'hui n'est plus de ce monde, et non un Premier ministre qui devrait être désigné par le Président lui-même pour n'exercer qu'en tant que chef de gouvernement…
- L'accord de Montana
Face à une pression étrangère exacerbée, il existe toutefois des propositions de la société civile. On peut à ce titre citer l'accord de Montana qui regroupe plusieurs centaines d'organisations politiques, syndicales, paysannes, religieuses, qui ont élu un Conseil national de transition et élaboré un plan pour prendre les rênes de l'Etat.
L'accord de Montana prévoit un gouvernement collégial et intérimaire pour affronter les problèmes les plus urgents qui accablent la population haïtienne (inflation, faim, insécurité) et l'organisation d'une réforme politique qui puisse garantir, d'ici à trois ans, les premières élections transparentes depuis fort longtemps !
En conclusion, il faut que les oligarques haïtiens cessent d'alimenter financièrement et en armes les gangs criminels ce qui conduira à une forte décrue de la criminalité.
Le regroupement des forces progressistes est souhaitable ainsi qu'une baisse significative des coûts d'inscription aux élections législatives comme présidentielles afin de permettre aux forces vives du pays non corrompues et non financées par les cartels de la drogue de participer à la vie politique du pays.
Haïti ne doit pas s'appuyer sur des forces extérieures néocoloniales pour résoudre ses difficultés internes et, comme le dit le dicton latino-américain : "No hay desarrollo sino a partir de su proprio rollo" (Il n'y a de développement qu'à partir de sa propre enveloppe). Cette position est rappelée par Joseph Anténor Firmin, le grand défenseur de la cause haïtienne mort en 1911 : « Honte à tous ceux qui, oubliant leur devoir envers leur patrie, en appellent à l'étranger".
Pour redresser la situation du pays, il faudrait :
- D'abord commencer par le commencement : se nourrir soi-même, première des souverainetés ;
- Développer une agriculture vivrière qui débouche sur un marché local et enclenche une économie circulaire ;
- Mettre en commun la petite épargne locale et régionale, par la création de caisses d'épargne et de crédit au service des paysans, regroupements de femmes et des petites et moyennes entreprises artisanales ;
- Tisser des liens entre la multitude d'organisations de la société civile, surtout les organisations paysannes, les regroupements de femmes et les associations d'intellectuels progressistes ;
- Développer une vaste coalition susceptible de s'imposer comme un « véritable acteur social » : « un acteur collectif capable de mener des actions visant la transformation profonde de la société, de la culture et de l'économie ».
Contrairement à ce que préconisent les institutions internationales, les Etats-Unis et l'Union européenne, il serait nécessaire de mettre en place des politiques protectionnistes hétérodoxes (anticonformistes) bien conçues qui, dans le passé, ont marché dans d'autres contextes. Malheureusement, les bailleurs de fonds négligent notamment l'agriculture pour se concentrer presque exclusivement sur des domaines tels que les zones franches et le tourisme comme priorités pour le développement économique du pays. Si cette situation perdure, la réduction de la pauvreté restera un but inaccessible en Haïti.
Le développement, c'est faire soi-même : il faut que les Haïtiens contrôlent les outils de production de biens et de services. Pour connaître les ressorts de ces outils, la communauté doit les inventer et les fabriquer elle-même Ou encore, si elle les emprunte d'une autre société, il faut qu'en les acquérant, elle apprenne à les contrôler. Or, une communauté ne peut inventer et fabriquer ses propres outils que si des membres de celle-ci peuvent être libérés pour se consacrer à des taches de recherche et de développement. Cela n'est possible que si ladite communauté dégage des surplus, en produisant plus qu'elle ne consomme. Cela s'appelle l'épargne. Cette épargne peut alors être investie dans la fabrication d'outils et d'équipements de production. Ce processus d'accumulation de surplus commence par l'agriculture vivrière comme mentionné précédemment.
Principales sources : Mondialisation.ca / Kim Yves, Robert Philpot, Jennie-Laure Sully, Joël Léon, Julie Lévesque, Nick Barry-Shaw, Michel Chossudovsky, Lautaro Rivara, Claude Morin, Yves Pierre-Louis, Arezki Amarouche, Bill Van Auken, Jacques B.Gélinas, Christian Aid.
Française, Catherine Roman a vécu quelques années en Russie. Elle travaille dans le secteur des chiffres et se passionne pour la géopolitique et l'intelligence économique.