Par Tareq S. Hajjaj
Pour les habitants de Gaza, la trêve de quatre jours leur a seulement permis de comprendre pleinement ce qu'ils ont vécu : « Ce n'est qu'aujourd'hui que nous avons réalisé qu'ils étaient partis. Ce n'est qu'aujourd'hui que nous sentons la présence de la mort ici ».
Les rues sont soudain inondées. Les gens peuvent désormais inspecter les bâtiments détruits à Khan Younis, à Nuseirat, à Deir al-Balah et dans d'autres villes du sud, s'éloigner de leurs abris pour apporter des vivres à leurs familles. Surtout, ils peuvent désormais prendre des nouvelles des membres de leur famille encore en vie, avec lesquels le contact avait été rompu tout au long des bombardements.
Ils peuvent désormais se chercher, pleurer ensemble sur ce qu'ils ont perdu et sur ce qu'ils risquent de perdre encore.
Le « cessez-le-feu temporaire », si c'est ainsi qu'il faut l'appeller, ne signifie pas la fin de la guerre. Il signifie simplement que nous disposons de plus de temps pour pleurer et faire notre deuil.
Même si les combats qui ont précédé la trêve ont été parmi les plus violents depuis le début de la guerre, les habitants gardaient l'espoir qu'ils se termineraient par un cessez-le-feu qui leur permettrait de rentrer chez eux en toute sécurité dans la ville de Gaza et au nord de la vallée de Gaza.
Hier, tôt dans la matinée, les avions de guerre israéliens ont largué plusieurs tracts à l'intention des personnes restées dans le nord de Gaza, les avertissant de ne pas se déplacer à l'extérieur.
L'armée israélienne a également appelé au hasard des numéros de téléphone portable de résidents enregistrés de la ville de Gaza, les avertissant de ne pas retourner au nord de la vallée de Gaza. Les tracts et les appels téléphoniques ont envoyé le même message : la guerre n'est pas finie, et rentrer chez soi, c'est retourner à la mort.
Mais les familles qui ont été déchirées par le génocide et qui ont été déplacées pendant plus d'un mois attendent désespérément de savoir ce qu'il est advenu de leurs proches qui sont restés. Nombre d'entre elles souhaitent également retourner à l'endroit où se trouvait leur maison, peut-être pour récupérer ce qui peut l'être dans les décombres, notamment des provisions, des objets importants et des documents officiels.
Ahmad Lafi, 34 ans, originaire du quartier de Sheikh Radwan, a fui vers le sud à Khan Younis avec sa femme et ses deux enfants au début de la guerre, laissant derrière lui son père et sa mère, ses deux sœurs et ses deux frères.
Il a déclaré à Mondoweiss qu'il avait perdu le contact avec eux il y a deux semaines et qu'il ne savait pas s'ils étaient en vie ou non. Ni la Croix-Rouge ni aucune autre organisation n'a été en mesure de l'aider dans sa tentative de trouver des informations sur leur sort.
Hier, il a tenté de se rendre à Gaza City avec d'autres réfugiés qui avaient les mêmes objectifs que lui. Lorsqu'ils ont atteint le barrage militaire israélien de la rue Salah al-Din, et avant de s'approcher à moins de 100 mètres des véhicules blindés, les soldats ont commencé à tirer avec des mitrailleuses montées sur des chars dans la direction de la foule.
Immédiatement, des dizaines de personnes sont tombées au sol, gravement blessées, et quelques autres ont été tuées par les tirs de mitrailleuses, a déclaré Ahmad à Mondoweiss. Après cela, ils se sont retournés et ont couru dans l'autre direction.
Plus tard dans la journée, les autorités gouvernementales de Gaza ont annoncé la mort de deux martyrs dans l'incident, et ont fait état de plus de 15 personnes blessées par des tirs à balles réelles dans les jambes et la poitrine.
Les termes du cessez-le-feu autorisent le passage des personnes restées au nord vers le sud, mais il n'en va pas de même pour celles qui souhaitent aller dans l'autre sens. Les commentateurs estiment que l'absence d'une telle stipulation dans les termes du cessez-le-feu signifie que la nouvelle occupation militaire du nord de la bande de Gaza a été consolidée.
Shaher Abu Shirbi, 42 ans, est père de six enfants et réfugié dans une école de l'UNRWA à Khan Younis. Il avait espéré que la trêve lui donnerait la possibilité de retourner à Beit Hanoun, dans le nord.
« Même si c'est dangereux, je veux voir l'état de ma maison. Même si elle est démolie, je veux y jeter un dernier coup d'œil », a expliqué Shaher à Mondoweiss.
M. Shaher explique que dans la précipitation qui les a conduits à fuir les bombardements, sa femme et lui n'ont pas pu emporter beaucoup d'effets personnels et ont laissé derrière eux des objets importants tels que leurs papiers d'identité et les certificats de naissance de leurs enfants. Ils n'ont pas non plus emporté suffisamment de vêtements et s'efforcent de se procurer des vêtements plus chauds à l'approche de l'hiver.
Ces priorités ne semblent peut-être pas si essentielles pour certains au milieu de la mort et de la destruction. Mais une fois que le cessez-le-feu est entré en vigueur, indépendamment de ce que les gens en pensaient, il a eu pour effet de redonner un peu d'espoir.
Certaines familles qui sont restées dans le nord tout au long des combats ont également choisi d'y rester, même après la fin du cessez-le-feu. Mais ces familles n'ont obtenu que peu de répit malgré la trêve, car elle ne leur a donné que l'opportunté de comprendre pleinement l'étendue de ce qu'elles ont perdu.
Shahd Matar, qui a perdu deux de ses frères lors d'une frappe aérienne dans le camp de réfugiés de Jabaliya, où elle et sa famille vivent toujours, a écrit sur Facebook pendant le cessez-le-feu :
« La trêve a transformé notre maison en salon funéraire, car les gens ont commencé à se rendre chez les uns et les autres pour exprimer leurs condoléances. Pour la première fois pendant la guerre, et depuis la mort de mes deux frères, nos voisins et amis ont afflué pour exprimer leurs condoléances à ma mère et à moi », a-t-elle raconté.
« Mais ma mère s'est assise dans un coin de la maison et elle n'arrête pas de pleurer », poursuit Shahd. « Ce n'est qu'aujourd'hui que nous avons réalisé qu'ils étaient partis. Ce n'est qu'aujourd'hui que nous sentons la présence de la mort ici ».