par David Lindorff
Les États-Unis rétropédalent dans leur soutien à l'invasion brutale de Gaza par Israël ; maintenant que les Forces de «Défense» israéliennes (FDI) ont atteint leur objectif de prendre le contrôle de l'hôpital Al-Shifa, nous assistons à la destruction de toute la moitié nord (ou du tiers) de ce territoire entouré de murs, soumis à un blocus et tenant captifs 2,3 millions de Palestiniens pris au piège. Le hic ? Les Israéliens prétendaient depuis des semaines que l'hôpital abritait le «centre de commandement souterrain» du Hamas pour justifier le siège et l'attaque du complexe médical. Mais ils n'ont pas été en mesure d'apporter des preuves convaincantes de leurs affirmations.
Il y avait pourtant eu des déclarations précises selon lesquelles les «services de renseignement» israéliens et étasuniens avaient permis à leurs gouvernements respectifs de ne pas douter de l'existence d'un tel centre de commandement opérant dans un bunker construit par le Hamas sous l'hôpital. Ce centre de commandement devait être relié par un réseau de tunnels renforcés menant à l'intérieur et à l'extérieur de l'hôpital. Mais ces déclarations n'ont pas été corroborées. Au lieu de cela, selon des reportages de Newsweek et du journal israélien Haaretz, les FDI ont présenté une cave construite il y a 40 ans sous supervision israélienne dans une annexe du «bâtiment 2». Ce sous-sol, aménagé bien avant la création du Hamas, était connu de longue date puisqu'il était inclus dans le plan d'agrandissement de l'hôpital et devait servir de buanderie.
Aucun tunnel d'accès ou d'évacuation construit par le Hamas n'a été découvert jusqu'à présent (1) ; une petite cache d'armes a seulement été présentée dans une pièce en surface de l'un des principaux bâtiments de l'hôpital. On y aurait trouvé une quinzaine d'armes automatiques ainsi que des grenades. On y aurait également découvert un ordinateur dont le disque dur contiendrait des images d'otages israéliens. Ces deux découvertes seraient la preuve que des combattants du Hamas utilisaient l'hôpital, au moins pour stocker des armes, et peut-être même pour détenir des otages à un moment ou à un autre. Mais aucune preuve que l'hôpital cachait le «centre de commandement et de contrôle» du Hamas. C'est pourtant ce qu'affirmait avec certitude Israël pour justifier son attaque et la prise de contrôle de l'hôpital, provoquant la mort «collatérale» de centaines de patients, de membres du personnel médical et même de bébés prématurés dont les couveuses, privées d'électricité, sont tombées en panne.
Les médias étasuniens et britanniques doutaient de plus en plus des affirmations israéliennes. Ce scepticisme a été renforcé par les manœuvres des FDI. Alors qu'une poignée de journalistes avaient été autorisés à pénétrer l'hôpital aux côtés des soldats israéliens, les FDI ne leur ont pas permis de jeter un œil aux boites étiquetées «aliments pour bébé» qu'elles prétendaient avoir trouvées dans le «bunker». Elles ont en revanche étalé des armes sur une bâche, telles des pièces à conviction.
De nombreux médias US ont alors commencé à employer des termes tels que «les FDI ont affirmé avoir trouvé» les armes dans l'hôpital, et même, dans le cas de l'ordinateur présumé du Hamas, «ont affirmé qu'il contenait des images d'otages». Certains journalistes et rédacteurs, ayant peut-être adopté ce changement de formulation après que des sources israéliennes le leur eurent proposé, disent maintenant que les FDI ont trouvé un «nœud» de commandement et de contrôle plutôt qu'un «centre» de commandement et de contrôle. Le second terme implique quelque chose relevant d'un «Pentagone» sous-terrain du Hamas alors que le premier tient davantage d'un espace mineur dans un réseau de QG locaux.
Il est possible que les FDI aient «découvert» un sous-sol que les combattants du Hamas ont occupé avant de faire place nette durant les jours précédant l'entrée des troupes israéliennes au sein de l'hôpital. Aucun tunnel n'ayant été découvert jusqu'à maintenant, certains médias spéculent sur le fait que les responsables du Hamas occupant le centre de commandement sous-terrain auraient pu s'échapper en se mêlant aux réfugiés et au personnel médical autorisés à quitter les lieux à la fin du siège de l'hôpital. Ces spéculations ont peut-être été suggérées par les FDI ou des sources gouvernementales israéliennes. Quoi qu'il en soit, les FDI disposaient des plans du complexe hospitalier. Elles savaient où était censé se trouver le fameux bunker. Elles s'y sont rendues, mais n'ont rien découvert.
Le bombardement massif de Gaza est à présent décrit comme le plus important de ce siècle, surpassant même les bombardements US de villes irakiennes. Privés de nourriture, d'eau, d'électricité et de médicaments, les habitants de Gaza subissent une punition collective toujours en cours. Si bien que l'indignation mondiale est croissante, y compris parmi un nombre grandissant de citoyens US - dont de nombreux juifs - et parmi des Israéliens également. Dans ces conditions, on pourrait penser que le gouvernement Netanyahou et les FDI auraient voulu embarquer des journalistes dans la recherche de ce bunker et des armes et ordinateurs qu'il aurait pu abriter. Les journalistes auraient pu également assister à la vérification des disques durs pour éviter une couverture médiatique assez sceptique.
Tout cela est d'une importance capitale. En effet, le blitzkrieg israélien contre Gaza a tué plus de 12 000 personnes, dont un quart d'enfants. Et un nombre inconnu de victimes est enseveli sous les décombres. Or, cette opération a été lancée explicitement en réponse à l'attaque-surprise du Hamas le 7 octobre. Au moins un millier de civils et de soldats israéliens vivant dans des colonies et des bases militaires situées de l'autre côté du mur de Gaza ont été tués, y compris des enfants. Quelque 200 personnes ont été enlevées et ramenées comme otages à Gaza.
Certes, l'assassinat délibéré de civils en Israël par les combattants du Hamas ce jour-là était, par définition, un crime de guerre. Mais selon le droit des conflits armés, un crime de guerre commis par l'une des parties ne justifie pas en réponse un crime de guerre de l'autre partie. Pire, l'invasion et le blocus israéliens constituent des crimes de guerre bien plus graves, tant par l'ampleur des meurtres et des blessures infligées aux civils que par le fait que ses dirigeants ont ouvertement appelé à une «punition» collective de tous les Palestiniens de Gaza. Et c'est précisément ce qu'ils ont mis en pratique. Ainsi, l'impératif apparent pour Israël de justifier sa violence aveugle contre les habitants de Gaza et ses attaques contre les hôpitaux aurait dû l'amener à fournir des preuves irréfutables de la perfidie du Hamas.
Israël et son armée «humanitaire» ont été incapables de prouver l'existence d'une armée clandestine du Hamas ou d'un réseau de tunnels reliant des centres de commandement dans les hôpitaux. Ce qui, en coulisses, a donné lieu à un spectacle franchement exaspérant de la part d'émissaires étasuniens tels que le secrétaire d'État Antony Blinken ou le secrétaire d'État à la Défense Lloyd Austin ainsi que d'autres hauts responsables du gouvernement Biden. Après avoir ouvertement encouragé la guerre d'Israël contre Gaza, ils supplient le gouvernement Netanyahou de tenir compte du fait que, comme le rapporte CNN, «Israël dispose de peu de temps pour tenter d'atteindre son objectif déclaré d'éliminer le Hamas dans le cadre de son opération actuelle avant que le tollé suscité par les souffrances humanitaires et les victimes civiles - et les appels à un cessez-le-feu - n'atteigne un point de basculement».
C'est particulièrement «exaspérant», car c'est exactement la politique que les États-Unis ont appliquée, généralement sans succès, dans toutes les guerres qu'ils ont menées sans arrêt durant les huit décennies suivant la Seconde Guerre mondiale : débarquer en force, procéder à des destructions massives et sanglantes - et dans le cas du Viêt Nam, lancer des attaques brutales contre des villages de paysans, mener des missions de recherche et de destruction, déplacer des populations dans des hameaux stratégiques clôturés et surveillés, perpétrer les massacres de My Lai et les bombardements «secrets» du Cambodge... Faire le tout aussi rapidement que possible en espérant remporter la victoire avant de perdre le soutien de la population étasunienne.
Dans la pratique, cette stratégie n'a pas très bien fonctionné. Nixon l'a appris avec son tapis de bombes B-52 offert au Nord-Vietnam pour Noël. Tout comme George W. Bush avec son attaque «Choc et effroi» contre l'Irak. Mais l'espoir avait regagné les dirigeants US avec leur chutzpah (2) impérialistes de «nation exceptionnelle». Avec Obama, nous avons ainsi assisté au renversement désastreux de Mouammar Kadhafi en Libye. Et plus récemment, Biden a appuyé la tentative de l'Ukraine de récupérer des territoires à majorité ethnique russe de cet ancien État soviétique, notamment la Crimée. Ce sont des exemples d'aventures militaires US qui ont début en fanfare avant de devenir des échecs interminables contre lesquels les citoyens étasuniens se sont progressivement retournés en grand nombre.
Dans les cas d'Israël, le calcul est quelque peu différent : pour s'accrocher au pouvoir, Netanyahou et/ou la coalition du Likoud pourraient bien compter sur le soutien continu de leurs partisans sionistes purs et durs, aucune violence contre les Palestiniens n'étant trop difficile à digérer pour eux. Mais aux États-Unis, confrontée au traitement brutal qu'Israël inflige aux Palestiniens sous occupation, que ce soit à Gaza, en Cisjordanie ou à l'intérieur des frontières originelles d'avant la guerre de 1967, l'opinion publique déchante de plus en plus. Or, Israël dépend du soutien US pour 3,8 milliards de dollars par en an en armes et munitions gratuites. Et le soutien est également diplomatique, Washington bloquant systématiquement toute action du Conseil de sécurité de l'ONU visant Israël.
Le président Biden s'est qualifié de «sioniste» et de partisan convaincu d'Israël. La longue et sanglante guerre d'Israël contre Gaza, son occupation et l'occupation de plus en plus violente de la Cisjordanie où des colons s'emparent des terres touchent l'opinion. Confronté à une campagne de plus en plus difficile avec des élections dans moins d'un an, Biden pourrait commencer à se demander si son soutien inconditionnel à la guerre d'Israël est une si bonne idée que cela.
source : Counterpunch via Le Blog Sam la Touch