Afi Tossou
AFP
A la grande surprise du peuple sénégalais, le Président sortant Macky Sall dans un discours à la nation en date du samedi 03 février 2024 déclare: « Mes chers compatriotes ; alors que s'annonce l'élection présidentielle du 25 février 2024, notre pays est confronté, depuis quelques jours, à un différend entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel...En conséquence...j'ai signé le décret n° 2024-106 du 3 février 2024 abrogeant le décret n° 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral.».
Le Président Macky Sall venait de perpétrer un coup d'Etat constitutionnel puisqu'aucun texte interne, ni celui de la CEDAO ne l'autorise à arrêter, à trois semaines des élections et à la veille de la campagne électorale, le processus et renvoyer les élections présidentielles sine die.
Le lundi 05 février 2024, en procédure d'urgence l'Assemblée nationale se réunit sous haute surveillance militaire
pour la validation du report des élections présidentielles. Les députés de l'opposition qui exprimaient leur désaccord face à cette loi ont été expulsés de l'hémicycle manu militari par la gendarmerie et le coup de force de Macky Sall est validé avec le report des élections du 25 février au 15 décembre 2024, soit près d'un an.
Face à ce coup d'Etat manifeste, le ministre français des Affaires étrangères déclare le 05 février ce qui suit « nous appelons les autorités à lever les incertitudes autour du calendrier électoral pour que les élections puissent se tenir
dans le meilleur délai possible et dans le respect des règles de la démocratie sénégalaise ». Aucune condamnation donc, mais un soutien au coup d'Etat constitutionnel.
Voilà donc la démocratie que nous prône l'impérialisme français et dont ses propagandistes impérialistes désignent et vantent le Sénégal d'en avoir une longue tradition. Les événements de ces derniers jours éclairent le passé et la nature de cette démocratie. En effet, l'Etat du Sénégal est mis en place pour être le pôle et le modèle de la pensée intellectuelle de la France coloniale en Afrique comme la Côte-d'Ivoire en représente le modèle économique. Cet Etat indépendant à partir du 04 avril 1960 est issu du démantèlement sur injonction de l'impérialisme français de la Fédération du Mali présidée par Modibo KEITA. Léopold Sédar Senghor, son premier président est un homme de main de l'impérialisme français. Il interdit des partis politiques tels le Parti Africain de l'Independence (PAI), le Bloc des Masses Sénégalaises (BMS) et fait des exilés politiques.
De 1960 à 1973, le Sénégal n'a connu officiellement qu'un seul parti (unique), l'Union Progressiste Sénégalaise créée en 1958. À partir de 1974, affaibli par les luttes populaires, Senghor va autoriser la création du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) d'Abdoulaye Wade ; il laisse le pouvoir en 1980 (après son admission à l'académie française) à Abdou Diouf, son ancien Premier ministre qui remporte sa première élection en 1983 et reste au pouvoir jusqu'en 2000, année où il perdra le pouvoir face à Abdoulaye WADE soutenu par le mouvement « sopi»
Wade au pouvoir fera la volonté de l'impérialisme français. Et au cours de son quinquennat, il tripatouille la constitution pour se faire élire pour un mandat de sept ans. Pour maintenir l'influence politique de la France au niveau de la sous- région, il se positionne pour un troisième mandat qu'il a perdu avec le mouvement « Y en marre » qui a permis au président Macky Sall de se faufiler au pouvoir. Macky Sall dépassera, commettra des atrocités, des crimes les plus horribles tels les assassinats de masses et des détentions arbitraires de centaines et de centaines d'opposants en 2021 et 2023 sans connaître aucune condamnation de la part des impérialistes, notamment français. Macky Sall continue d'être le chouchou de la France.
La résistance du peuple et notamment de la jeunesse a ruiné la volonté d'un troisième mandat de Macky Sall qui n'a jamais cessé de répéter que la Constitution le lui autorise. Forcé d'annoncer son retrait de candidature à moins de six mois des élections et devant l'abîme creusé entre son pouvoir et le peuple sénégalais, son dauphin désigné n'avait aucune chance de gagner et de maintenir son système. Et ceci en un moment où la contestation populaire trouve une alternative avec la montée du panafricanisme et la révolution patriotique dans les pays du Sahel. Tous les observateurs pronostiquent que le candidat de Macky Sall, le préféré des français ne peut même pas aller au second tour face à des candidats qui incarnent le patriotisme. Les intérêts français que les luttes populaires ont toujours comme cibles lors des manifestations sont vertement menacés, surtout que l'avènement d'un pouvoir patriotique au Sénégal conforterait l'Alliance des Etats du Sahel (Niger, Burkina Faso et le Mali) ; ces pays qui ont chassé les bases françaises de leur sol et qui peuvent donner des idées aux pouvoirs patriotes d'ailleurs. Et avec cela, la CEDEAO, son bras exécutant, que les Etats ont quittée se trouverait irrémédiablement effondrée. On comprend que cette institution sous-régionale vassalisée, au lendemain du coup d'Etat de Macky Sall ait produit une position pareille que celle du ministre français des affaires étrangères, à savoir : « La commission de la CEDEAO prend note de la décision prise par les autorités sénégalaises de reporter l'élection présidentielle prévue le 25 février 2024...exprime sa préoccupation quant aux circonstances qui ont conduit au report de l'élection et lance un appel aux autorités sénégalaises à accélérer les différents processus afin de fixer une nouvelle date pour l'élection ».
Alors, devant ses intérêts menacés, la démocratie n'a plus droit de cité pour la France. Les pays africains, sous
dominations françaises, sont comme il a été montré des Enclos où la démocratie et les libertés sont pareilles à celles d'un prisonnier. Cette démocratie n'est admise et tolérée que si elle demeure dans l'Enclos. Aucune volonté d'en sortir n'est autorisée sauf à être vivement réprimée. Alors, « oui démocratie, d'accord, mais les intérêts français d'abord ! » Voilà le modèle que la crise au Sénégal nous enseigne. Mais, comme toujours, les événements instruisent les peuples. Le peuple sénégalais, tôt ou tard, brisera les murs de l'Enclos et édifiera le pouvoir à son propre profit.
Source : La Flamme