29/06/2025 ssofidelis.substack.com  12min #282676

 Le piège israélien des centres de distribution de l'aide

Les Hunger Games de Gaza

Par  Chris Hedges, le 29 juin 2025

L'instrumentalisation de la famine comme arme par Israël reflète la façon dont les génocides se terminent toujours. J'ai couvert les effets insidieux de la famine orchestrée dans les hautes terres du Guatemala durant la  campagne génocidaire du général Efraín Ríos Montt, la famine dans le sud du Soudan qui a fait un quart de million de morts - j'ai marché parmi les corps déshydratés et squelettiques de familles alignés le long des routes - et plus tard, durant la guerre en Bosnie, lorsque les Serbes ont coupé l'approvisionnement alimentaire des enclaves telles que  Srebrenica et  Goražde.

La famine a été  utilisée comme arme par l'Empire ottoman pour décimer les  Arméniens. Elle a été employée pour tuer des millions d'Ukrainiens lors de l' Holodomor en 1932 et 1933. Elle a été  instrumentalisée par les nazis contre les Juifs dans les ghettos pendant la Seconde Guerre mondiale. Les soldats allemands  utilisaient la nourriture, comme le fait Israël, comme appât. Ils offraient trois kilos de pain et un kilo de confiture pour attirer les familles désespérées du ghetto de Varsovie vers les transports qui les emmenaient vers les camps de la mort.

"On a pu voir des phases où des centaines de personnes devaient faire la queue pendant plusieurs jours pour être 'déportées'",

écrit  Marek Edelman dans " The Ghetto Fights".

"Le nombre de personnes désireuses d'obtenir les trois kilos de pain était tel que les transports, qui partaient désormais deux fois par jour avec 12 000 personnes, ne pouvaient pas tous les transporter".

Et lorsque la foule devenait incontrôlable, comme à Gaza, les troupes allemandes tiraient des salves meurtrières qui déchiquetaient les corps émaciés des femmes, des enfants et des anciens.

Cette tactique est aussi vieille que la guerre elle-même.

L'article du journal israélien Haaretz selon lequel les soldats israéliens ont  reçu l'ordre de tirer sur les foules de Palestiniens dans les centres d'aide, faisant 580  morts et 4 216 blessés, n'a rien de surprenant. C'est le dénouement prévisible du génocide, la conclusion inévitable d'une campagne d'extermination massive.

Israël, avec ses assassinats ciblés d'au moins 1 400  travailleurs de la santé, de  centaines de travailleurs des Nations unies (ONU), de  journalistes, de  policiers et même de  poètes et d' universitaires, la destruction d'immeubles d'habitation de plusieurs étages qui a anéanti des dizaines de familles, ses  bombardements de "zones humanitaires"  désignées comme telles où les Palestiniens se blottissent sous des tentes, des bâches ou à l'air libre, ses attaques systématiques contre les  centres de distribution alimentaire de l'ONU, les boulangeries et les  convois humanitaires, ou encore  ses tirs de snipers sadiques qui abattent des enfants, ont démontré depuis longtemps que les Palestiniens sont considérés comme de la vermine qui ne mérite que l'anéantissement.

Le blocus alimentaire et humanitaire imposé à Gaza depuis le 2 mars réduit les Palestiniens à une dépendance abjecte. Pour manger, ils doivent  ramper vers leurs bourreaux et mendier. Humiliés, terrifiés, désespérés pour quelques miettes de nourriture, ils sont dépouillés de leur dignité, de leur autonomie et de leur libre arbitre. C'est  intentionnel.

Yousef al-Ajouri, 40 ans,  a expliqué à Middle East Eye son périple cauchemardesque vers l'un des quatre centres d'aide mis en place par la Gaza Humanitarian Foundation (GHF). Ces centres ne sont pas conçus pour répondre aux besoins des Palestiniens, qui  comptaient autrefois 400 sites de distribution d'aide, mais pour les  attirer du nord vers le sud de Gaza. Israël, qui a de nouveau  ordonné dimanche aux Palestiniens de quitter le nord de Gaza, poursuit l' annexion de l'enclave côtière. Les Palestiniens sont  rassemblés comme du bétail dans d'étroits corridors métalliques aux points de distribution surveillés par des mercenaires lourdement armés. Les plus chanceux reçoivent une petite ration de nourriture.

Al-Ajouri, qui était chauffeur de taxi avant le génocide, vit avec sa femme, ses sept enfants, sa mère et son père dans une tente à al-Saraya, près du centre ville de Gaza City. Il s'est rendu dans un centre d'aide humanitaire situé sur la route de Salah al-Din, près du couloir de Netzarim, afin de trouver de quoi nourrir ses enfants qui, selon lui, pleurent sans cesse "parce qu'ils ont faim". Sur les conseils de son voisin de tente, il s'est habillé avec des vêtements amples "pour pouvoir courir et se mouvoir plus facilement". Il a pris un sac pour les conserves et les produits emballés, car la foule est telle que "personne ne peut porter les cartons dans lesquels arrive l'aide".

Il est parti vers 21 heures avec cinq autres hommes, "dont un ingénieur et un enseignant", et "des enfants âgés de 10 et 12 ans". Ils n'ont pas emprunté l'itinéraire officiel désigné par l'armée israélienne. La foule massive qui converge vers le point d'aide le long de l'itinéraire officiel empêche la plupart des gens de s'approcher suffisamment pour recevoir de quoi manger. Ils ont donc marché dans le noir, dans des zones exposées aux tirs israéliens, souvent obligés de ramper pour ne pas être vus.

"En rampant, j'ai regardé autour de moi et, à ma grande surprise, j'ai vu plusieurs femmes et personnes âgées emprunter le même chemin périlleux que nous", a-t-il expliqué. "À un moment donné, on a essuyé une rafale de tirs, tout autour de nous. Nous nous sommes cachés derrière un bâtiment détruit. Quiconque bougeait ou faisait le moindre mouvement était immédiatement abattu par des tireurs embusqués. À côté de moi se trouvait un jeune homme grand, aux cheveux clairs, qui utilisait la lampe torche de son téléphone pour s'éclairer. Les autres lui ont crié d'éteindre. Quelques secondes plus tard, il a été abattu. Il s'est effondré au sol et est resté là, en sang, mais personne ne pouvait ni l'aider ni le déplacer. Il est mort en quelques minutes".

Il a trouvé six corps sur son chemin, tous abattus par des soldats israéliens.

Al-Ajouri est arrivé au centre à 2 heures du matin, l'heure prévue pour la distribution de l'aide. Il a vu une lumière verte s'allumer devant lui, signalant que l'aide était sur le point d'être distribuée. Des milliers de personnes se sont mises à courir vers la lumière, se bousculant et se piétinant. Il s'est frayé un chemin à travers la foule jusqu'à atteindre les stocks.

"J'ai commencé à tâtonner pour trouver les boîtes d'aide et j'ai attrapé un sac qui semblait contenir du riz", a-t-il déclaré. "Mais quelqu'un me l'a arraché des mains. J'ai essayé de le retenir, mais il a menacé de me poignarder avec son couteau. La plupart des gens là-bas portent des couteaux, soit pour se défendre, soit pour voler les autres. Finalement, j'ai réussi à attraper quatre boîtes de haricots, un kilo de boulgour et un demi-kilo de pâtes. En quelques instants, les cartons étaient vides. La plupart des gens présents, y compris les femmes, les enfants et les personnes âgées, n'ont rien obtenu. Certains ont supplié les autres de partager. Mais personne ne pouvait se permettre de renoncer à ce qu'il avait réussi à obtenir".

Les entrepreneurs américains et les soldats israéliens qui supervisaient le chaos riaient et pointaient leurs armes sur la foule. Certains filmaient avec leurs téléphones.

"Quelques minutes plus tard, des grenades fumigènes rouges ont été lancées dans les airs", se souvient-il. "Quelqu'un m'a dit que c'était le signal pour évacuer la zone. Après quoi des tirs nourris ont retenti. M. Khalil, quelques autres et moi-même nous sommes rendus à l'hôpital al-Awda de Nuseirat, car notre ami Wael s'était blessé à la main durant le trajet. J'ai été choqué par ce que j'ai vu à l'hôpital. On pouvait voir au moins 35 morts gisant sur le sol dans l'une des salles. Un médecin m'a dit qu'ils ont tous été amenés ce jour-là. Ils avaient tous reçu une balle dans la tête ou dans la poitrine alors qu'ils faisaient la queue près du centre de secours. Leurs familles les attendaient, eux et des provisions. Maintenant, ce n'étaient plus que des cadavres".

La GHF est une organisation  financée par le Mossad et créée par le ministère israélien de la Défense, qui  a passé des contrats avec UG Solutions et  Safe Reach Solutions, dirigées par d'anciens membres de la  CIA et des  forces spéciales américaines. La GHF est  dirigée par le révérend Johnnie Moore, un sioniste chrétien d'extrême droite proche de Donald Trump et de Benjamin Netanyahu. L'organisation a également  engagé des gangs de trafiquants de drogue anti-Hamas pour assurer la sécurité sur les sites d'aide humanitaire.

Comme l' a déclaré Chris Gunness, ancien porte-parole de l'Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA), à Al Jazeera, la GHF se livre à du

"blanchiment de l'aide", un moyen de masquer la réalité, à savoir que "les gens sont affamés pour mieux les soumettre".

Israël, ainsi que les États-Unis et les pays européens fournissant des armes en soutien au génocide, ont choisi de ne pas tenir compte de la décision rendue en janvier 2024 par la Cour internationale de justice (CIJ), qui  exigeait la protection immédiate des civils à Gaza et la fourniture généralisée d'une aide humanitaire.

Haaretz, dans son article intitulé  "C'est un territoire de mort" : les soldats de l'armée israélienne ont reçu l'ordre de tirer délibérément sur des Gazaouis non armés qui attendent l'aide humanitaire", rapporte que les commandants israéliens ordonnent aux soldats d'ouvrir le feu sur la foule pour l'éloigner des sites d'aide ou la disperser.

"Les centres de distribution n'ouvrent généralement qu'une heure chaque matin", écrit Haaretz. "Selon des officiers et des soldats qui ont servi dans ces zones, l'armée israélienne tire sur ceux qui arrivent avant l'ouverture pour les empêcher d'approcher, ou à nouveau après la fermeture des centres pour les disperser. Comme certains incidents ont eu lieu la nuit, avant l'ouverture, il est possible que certains civils n'aient pas pu voir les limites de la zone désignée.

"C'est un territoire de mort", a déclaré un soldat à Haaretz. "Là où j'étais stationné, entre une et cinq personnes étaient tuées chaque jour. Ils sont traités comme une force hostile : aucune méthode de gestion des foules, pas de gaz lacrymogène, juste des tirs à balles réelles avec tous les moyens imaginables : mitrailleuses lourdes, lance-grenades, mortiers. Puis, une fois que le centre ouvre, les tirs cessent et ils savent qu'ils peuvent s'approcher. Notre forme de communication, ce sont les tirs".

"Nous ouvrons le feu tôt le matin si quelqu'un tente de se mettre dans la file à quelques centaines de mètres, et parfois nous tirons simplement à bout portant. Mais il n'y a aucun danger pour les soldats", a expliqué le soldat. "Je n'ai pas connaissance d'un seul cas de riposte. Il n'y a pas d'ennemi, pas d'armes".

Il a ajouté que le déploiement sur les sites d'aide humanitaire était connu sous le nom d'"Opération Poisson salé", en référence au nom israélien du jeu pour enfants "Feu rouge, feu vert". Ce jeu a été  mis en scène dans le premier épisode de la série sud-coréenne Squid Game, où des gens en détresse financière s'affrontent dans des combats à mort pour gagner de l'argent.

Israël a  anéanti les infrastructures civiles et humanitaires de Gaza. Il a réduit les Palestiniens, dont un demi-million sont confrontés à la famine, à un troupeau à bout de souffle. L'objectif est de briser les Palestiniens, de les rendre dociles et de les inciter à quitter Gaza pour ne jamais revenir.

On  parle de cessez-le-feu à la Maison Blanche de Trump. Mais ne vous y trompez pas. Israël n'a plus rien à détruire. Ses bombardements intensifs pendant plus de 20 mois ont transformé Gaza en paysage lunaire. Gaza est inhabitable, réduite à un désert toxique où les Palestiniens, vivant au milieu de blocs de béton et de flaques d'eaux usées, manquent de nourriture et d'eau potable, de carburant, d'abris, d'électricité, de médicaments et d'infrastructures pour survivre. Le dernier obstacle à l'annexion de Gaza, ce sont les Palestiniens eux-mêmes. Ils sont la cible principale. La famine est l'arme privilégiée.

Traduit par  Spirit of Free Speech

The Chris Hedges Report

Gaza's Hunger Games

Starved for Peace - by Mr. Fish...

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