Journal dde.crisis de Philippe Grasset
8 mai 2024 (18H00) – ll me faut revenir, peut-être un peu piteusement, – non, plutôt humblement et de bonne foi, – sur la journée du 7 mai, c'est-à-dire sur la conclusion publiée ce jour-là à partir des éléments recueillis le 6 mai. Je dis bien volontiers que je m'appuie pour ce faire essentiellement sur les excellentes chroniques de mes excellentissimes compagnons Christoforou et Mercouris, notamment leur rubrique spéciale (hier soir) « Russia's final warning to Macron and Camerin » ; ce duo me donne, avec une constante justesse, les premières interprétations de diverses nouvelles que je serais bien incapables de suivre, et ainsi m'offrant le moyen de faire avancer mon analyse générale.
Dans ce cas très particulier, il se trouve qu'entre le 6 et le 7, tout a basculé d'une façon extrêmement révélatrice. Le 6 mai, on faisait le constat de diverses mesures, folles comme d'habitude, prises ou envisagées par les américanistes-occidentalistes. Le 7 mai, Christoforou-Mercouris ont détaillé ce qui est apparu comme une riposte extrêmement dure des Russes qui a provoqué chez leurs adversaires une panique à peine dissimulée.
Au départ, il y a deux articles de Steven Bryant, (29 avril et 4 mai), auteur très réputé et très sûr publiant dans ‘Asia Times'. Bryant annonce notamment que les Français ont commencé à déployer des Légionnaires dans la région de Slaviansk, en Ukraine, plus d'autres gâteries du genre de l'annonce que des troupes US pourraient être assemblées dans la région pour une éventuelle action si Biden est réélu.. Pendant ce temps, les Britanniques (déclaration de Cameron) annoncent qu'ils ne voient aucun inconvénient à ce que les Ukrainiens utilisent leurs armements contre le territoire russe
« Steven Bryant est un journaliste extrêmement sérieux. Il est critique de la guerre en Ukraine mais il a d'excellents contacts à Washington dabs la communauté du renseignement. C'est quelqu'un qui doit être pris très au sérieux vu la qualité de ses sources. » (Mercouris)
• La première et principale riposte des Russes dans cette action de communication est l'annonce de manœuvre avec des armes nucléaires tactiques utilisables dans une guerre comme celle de l'Ukraine. L'annonce fait sensation, non pas à cause du nucléaire mais à cause du rapport direct avec la guerre en Ukraine, qui est souligné par les Russes lorsqu'ils rappellent que cette guerre est pour eux "existentielle". (Il y a déjà eu des manœuvres avec armes nucléaires tactiques durant la Guerre Froide, il y a un demi-siècle et plus, mais c'était un autre monde, où la communication avait un tout autre effet...)
• Le ministère de la défense russe précise exactement ce rapport entre les armes nucléaires tactique et les « déclarations officielles provocantes » de diverses autorités (dont Cameron, bien entendu).
• Aussitôt après, les ambassadeurs, France et UK, sont convoqués au ministère russe des affaires étrangères où ils reçoivent une très sévère et très précise mise en garde. Par exemple, face au silence complet de la presse londonienne d'habitude si diserte, l'ambassadeur russe à Londres annonce qu'il a été dit à l'ambassadeur britannique que l'utilisation de missiles anglais contre la Russie dans de telles conditions conduirait la Russie à se réserver le droit de riposte sur des installations militaire britanniques au Royaume-Uni même et dans le monde.
Réactions en chaîne penaudes
S'il n'y a pas de réactions britanniques officielles précises à ces divers épisodes, cela bien dans les habitudes britanniques dans cette sorte de "pris la main dans le sac", il y en a beaucoup en France. L'Élysée dément la présence de troupes françaises en Ukraine et, montant d'un cran, nous précise que la France n'est pas en guerre contre la Russie, qu'elle reconnaît que Poutine est le président de la Fédération de Russie (c'est le jour du début de son nouveau mandat), et que son ambassadeur assister ce jour même à la cérémonie marquant ce nouveau mandat. Parallèlement, les USA eux aussi reconnaissent le nouveau mandat de président de Poutine tandis que leur ambassadeur à Moscou fait un discret aller-retour avec Washington pour informer sa hiérarchie de l'humeur russe... Bref, tous les costumes ont été ajustés, les cravates remises en place et les sourires un peu contraints résolument affichés.
Les Polonais en profitent pour annoncer qu'ils n'ont aucune intention malveillante à l'encontre de la Russie et l'Italie se déchaine en dénonçant les prises de position de Macron qui est pendant ce temps face à l'énigmatique sourire, – peut-être narquois à la chinoise, qui sait ? – du président Xi ; c'est-à-dire, Macron en train d'encaisser cette humiliation russe (le Chinois est bien entendu informé) et déglutissant à mesure.
« Pour tous, et notamment pour les Britanniques, ce fut un langage extrêmement, incroyablement dur. Ce n'était pas un avertissement, c'était en ultimatum.... Et alors ? Radio-Silence à Londres, où l'on encaisse... » (Mercouris)
Ah, le silence britannique quand l'Angleterre essuie quelques mauvais coups de sabot, cela vaut toutes les explications du monde : on est pris, on n'a pas le temps de mentir, on se tait.
Dureté structurante
Mercouris remarque justement que cette dureté soudaine des Russes n'est pas due au hasard. Pour lui, c'est le produit d'une transformation de Poutine, qui a fini par entendre les critiques de ceux qui le jugeaient trop "mou" vis-à-vis de l'Ouest et qui est conduit à une attitude beaucoup plus ferme. C'est ainsi que l'avertissement donné aux Britanniques intervient comme un très réel durcissement. Jusqu'ici, les Ukrainiens ont utilisé des armes britanniques (et françaises, – ‘Storm Shadow' et ‘SCALP') contre ce qui est désormais un territoire russe (la Criblée) ; désormais, les Britanniques sont avertis qu'ils pourraient s'attirer une riposte russe sur leur propre territoire.
« D'une certaine façon, on peut dire que ceux qui demandaient une attitude plus ferme de Poutine se sentent vengés et récompensés. Après tout, il a été montré que la fermeté paie, elle se paie de l'humiliation de l'adversaire qui encaisse sans broncher ni riposter, mais au contraire en faisant patte blanche... » (Mercouris)
Cela signifie par conséquent que l'on peut d'attendre à un durcissement russe général dans les relations avec l'Ouest, ce qui peut largement influer sur la conduite des opérations et les exigences russes. On peut imaginer dans quel sens, le champ des hypothèses est ouvert, mais nous serions tentés de vous conseiller quelques pistes à cet égard...
Cette dernière remarque ouvre éventuellement la perspective d'une autre question : pourquoi les deux articles, avec tant de détails alarmistes, ont-ils été écrits ? Mercouris tient sur son jugement de Bryant, comme journaliste brillant et honnête. D'ailleurs, Bryant n'a rien publié de faux ou de fabriqué. Cela signifie que ses sources "les plus haut placées" (vu l'importance du propos) l'ont engagé à publier ces informations : alors, si tout est vrai, dans quel but ?
« Je suis convaincu que Bryant est un journaliste honnête et scrupuleux et s'il a publié ce qu'il a publié, c'est qu'il y a été autorisé, voire encouragé par une source de très haut niveau qui voulait qu'on testât la façon dont les Russes réagiraient, jusqu'où ils pouvaient accepter certaines initiatives... Et les Russes ont réagi avec une dureté impitoyable, à coups de marteau, et l'Ouest est pour l'instant pétrifié...»
On est donc fixés. Les Russes ont réagi très durement, le plus durement qu'il était possible, et en même temps ils ont réaffirmé quelques-uns de leurs buts de guerre, cette fois entourés de "lignes rouges" qu'on ne pourra franchir qu'au risque d'un conflit généralisé... (Par exemple pour revenir sur le cas, Poutine avait rappelé que des missiles anglais étaient tirés contre la Crimée et qu'il condamnait cette pratique ; aujourd'hui on en est à dire : il y aura une riposte chez les Anglais eux-mêmes.) La réaffirmation des buts de l'opération, c'est aussi la dénazification, la démilitarisation, c'est-à-dire un éventuel changement de régime, et s'il le faut aller très loin pour ça (en Ukraine même, prêts à dépasser ces limites si une résistance est organisée aux frontières de l'Ukraine). Il est aussi rappelé que les F16 sont des avions) double casquette (bombes conventionnelles et bombes nucléaires) et, par conséquent, si l'un d'eux intervient dans le ciel ukrainien, on tapera sur sa base où se trouvent les aménagements pour le nucléaire, qu'elle se trouve ebn Roumanie ou en Pologne.
La signature du diable
L'Occident-compulsif est donc aller voir de quel bois les Russes se chauffent. C'est brûlant. Pour autant, ont-ils appris quelque chose, les gens d'Occident ? Oui et non. Sur le fond, ils restent persuadés qu'ils sont les plus beaux, les plus moraux, les plus justes, et puis aussi, dirais-je un peu gênés, – les plus forts, – mais là, il y a comme un doute qui s'est infiltré dans la pensée dominante. Qu'importe : ils sont tellement ce qu'ils sont qu'à mon compte, je pense qu'ils oublieront une partie de la leçon et tiendront avant tout à ne pas perdre la face... Mais comment faire ? Comment reculer un peu sans reculer du tout en affirmant qu'on avance ?
Après tout, alors qu'hier on décrivait une situation notablement différente, on peut tout de même garder tel quel le dernier paragraphe sachant que le diable, comme dit Guénon...
« quand il veut, est fort bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu'il ne peut s'empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise quelque sottise, qui est comme sa signature... »
.... Ce qui nous permet donc d'enchaîner à notre façon en jugeant que le diable, avec ses sottises cachées et diaboliques, peut très bien faire des choses qui nous sont favorables en poussant Macron dans la voie catastrophique qui est la sienne.
« Je vous ai parlé du Diable en vous parlent du petit télégraphiste (je veux dire Macron) des consignes diaboliques du patron. Je vous en reparle devant ce grand événement qu'aucune raison ne se risque à nous expliquer. Il y a, en marche, une dynamique d'une puissance déstructurante épouvantable, hors de notre portée et de notre compréhension, qui réserve à notre civilisation maudite un sort bien peu enviable. Qu'importe si ceux qui figurent dans cette immense tragédie-bouffe soient de si petit format ; d'ailleurs, c'est ce qui passe le mieux inaperçu. »
Et ainsi, ceux qui ont choisi le diable à cause de ses bacchanales endiablées s'interrogent-ils : avons-nous fait le bon choix ? C'est-à-dire, le "bon choix" du méchant habité par le mal ?