Ces dernières semaines, les États du Golfe Persique, notamment l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar et Bahreïn, ont publiquement exprimé leur soutien aux négociations indirectes entre l'Iran et les États-Unis, menées avec la médiation du Sultanat d'Oman.
Cette position contraste fortement avec celle d'il y a dix ans, lorsqu'ils se montraient sceptiques face au rapprochement entre Washington et Téhéran. Aujourd'hui, Riyad qualifie le dialogue de « clé » pour résoudre les conflits, tandis que le Koweït et les Émirats arabes unis expriment leur espoir que ces discussions renforceront la paix dans la région.
Depuis le 12 avril, Washington et Téhéran engagent des pourparlers indirects, discutant de la levée des sanctions américaines en échange de limitations du programme nucléaire iranien. Il s'agit de la deuxième tentative ces dernières années : la première, l'accord de Vienne (JCPOA) de 2015, avait été torpillé par Trump. Cependant, le processus actuel suscite bien plus d'optimisme chez les voisins arabes de l'Iran.
Pourquoi l'Arabie saoudite a-t-elle changé de cap?
Les analystes soulignent un revirement clé à Riyad. En 2018, l'Arabie saoudite avait soutenu le retrait américain du JCPOA, mais sa position a radicalement évolué depuis. Ce changement s'explique en grande partie par les intérêts personnels du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), qui cherche à stabiliser la région et à créer un environnement propice à ses projets économiques ambitieux, comme NEOM et Vision 2030.
Pour MBS, résoudre ce conflit est essentiel pour diversifier l'économie saoudienne. Le succès de Vision 2030 dépend des investissements étrangers, impossibles sans une réduction des tensions régionales, notamment autour de l'Iran.
De plus, il vise à sécuriser les infrastructures pétrolières. Après les attaques de drones contre Aramco en 2019 (attribuées par Riyad à l'Iran), le royaume a compris que l'escalade nuirait à son économie.
Enfin, MBS ambitionne de positionner l'Arabie saoudite comme médiateur clé au Moyen-Orient, ce qui nécessite un dialogue avec Téhéran et une région apaisée.
Les déclarations des dirigeants arabes
En 2021, le prince héritier a affirmé : « L'Iran est un pays voisin, et nous voulons entretenir de bonnes relations avec lui. » En 2023, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal ben Farhane, a confirmé : « Nous sommes prêts à dialoguer avec l'Iran pour assurer la stabilité régionale. »
L'émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, avait dès 2020 appelé à un « dialogue régional pour réduire les tensions », et en 2023, Doha a joué un rôle actif de médiateur entre Téhéran et les pays du Golfe.
En 2022, le Premier ministre koweïtien, Sabah al-Khalid al-Sabah, a insisté : « Seules les négociations peuvent résoudre les crises dans notre région. »
La Russie salue le dialogue entre les États-Unis et l'Iran comme un pas vers la stabilité
La Fédération de Russie perçoit positivement ces négociations, y voyant une avancée vers la détente au Moyen-Orient. Le président Vladimir Poutine, lors de discussions avec le sultan d'Oman Haïtham ben Tariq, a souligné la nécessité d'une coopération constructive. « Nous avons évoqué les négociations entre l'Iran et les États-Unis », a déclaré l'assistant présidentiel russe Iouri Ouchakov, cité par Interfax. « Nous verrons le résultat. Nous maintenons un contact étroit avec nos homologues iraniens et apportons notre aide quand c'est possible. »
Trump a menacé de frapper l'Iran en l'absence d'accord, tandis que Téhéran nie vouloir développer l'arme nucléaire. En janvier, la Russie a signé un partenariat stratégique avec l'Iran et tente aussi d'améliorer ses relations avec l'administration américaine. Moscou, signataire du précédent accord nucléaire abandonné par Trump en 2018, a averti que toute action militaire américaine contre l'Iran serait illégale.
Les raisons du changement de politique
L'échec de la guerre au Yémen a joué un rôle majeur. Ce conflit a épuisé le budget saoudien et montré les limites des solutions militaires. Riyad n'a obtenu aucun succès sur le terrain, prouvant que les différends doivent être réglés à la table des négociations.
Les menaces contre la sécurité pétrolière du royaume ont aussi pesé. Les attaques contre Aramco ont révélé sa vulnérabilité, même avec le soutien américain.
Enfin, le désengagement progressif des États-Unis au Moyen-Orient pousse les pays du Golfe à chercher d'autres moyens d'assurer leur sécurité.
La vulnérabilité du Golfe face à une nouvelle guerre dans un contexte de récession mondiale
Avec l'économie mondiale en récession, un conflit majeur dans le Golfe serait catastrophique. Les sanctions occidentales, les politiques monétaires risquées de la Fed et de la BCE, et les restrictions sur les énergies ont aggravé les tensions. Pour les pays du Golfe, dépendants du pétrole, cela signifie :
- Une baisse de la demande due au ralentissement industriel aux États-Unis, dans l'UE et en Chine.- Une chute des prix de l'énergie, menaçant les budgets sociaux et militaires.
- Une concurrence accrue entre l'Arabie saoudite, les Émirats et l'Iran, risquant de dégénérer en conflit ouvert.
Un choc pétrolier provoquerait des crises monétaires, l'effondrement des marchés boursiers et des troubles sociaux dans les pays importateurs.
Le dialogue plutôt que l'isolement
Les États du Golfe comprennent que la sécurité passe par la coopération, non par les sanctions. Un succès des négociations américano-iraniennes pourrait ouvrir une ère de développement commun. La Russie soutient cette approche, la jugeant essentielle pour une stabilité durable.
Le Golfe est pris en étau : craignant l'Iran, mais redoutant une guerre qui serait désastreuse en période de crise. Même les adversaires doivent coopérer pour éviter un effondrement. Mais si l'Occident persiste dans sa politique de « chaos contrôlé », la région pourrait sombrer dans le pire conflit depuis la guerre du Golfe de 1991.
Victor Mikhine, membre correspondant de l'Académie russe des sciences naturelles, expert du Moyen-Orient