29/08/2012 tlaxcala-int.org  25min #71237

 Seymour Hersh : Réactivation contre le programme nucléaire de l'Iran de la propagande qui précéda la guerre contre l'Irak

Fou ou délirant ? Pourquoi Israël n'attaquera pas l'Iran

 Uri Avnery

BEN­JAMIN NETA­NYAHOU est peut-être délirant, mais il n'est pas fou. Ehoud Barak est peut-être fou, mais il n'est pas délirant. Donc : Israël n'attaquera pas l'Iran.

JE L'AI déjà dit, et je le redirai encore, même après les inter­mi­nables propos tenus sur le sujet. On n'a effec­ti­vement jamais autant parlé d'une guerre avant qu'elle ne sur­vienne. Pour citer une réplique clas­sique au cinéma : "Si tu dois tirer, tire. Ne parle pas !"

Dans toutes les fan­fa­ron­nades de Neta­nyahou sur la guerre inévi­table, une phrase émerge : "Devant la com­mission d'enquête qui suivra la guerre, j'en assu­merai seul la res­pon­sa­bilité, moi et moi seul !"

Une déclaration très révélatrice.

Tout d'abord, les com­mis­sions d'enquête ne sont consti­tuées qu'après un échec mili­taire. Il n'y a pas eu ce genre de com­mission d'enquête après la Guerre d'Indépendance de 1948, ni après la guerre du Sinaï ou la guerre des Six Jours. Il y a eu cependant des com­mis­sions d'enquête après la guerre du Kippour de 1974 et les guerres du Liban de 1982 et 2006. En évoquant le spectre d'une autre com­mission de ce type, Neta­nyahou considère incons­ciemment cette guerre comme un échec inévitable.

Deuxiè­mement, selon la loi israé­lienne, l'ensemble du gou­ver­nement d'Israël assure le com­man­dement en chef des forces armées. Selon une autre loi, tous les ministres sont por­teurs d'une "res­pon­sa­bilité col­lective". Le magazine TIME, qui se rend encore plus ridicule cette semaine, peut bien cou­ronner "le roi Bibi", mais nous n'avons pas encore de monarchie. Netanyahou n'est rien de plus que'primus inter pares'.

Troi­siè­mement, dans sa décla­ration, Netanyahou exprime un mépris sans limite pour ses col­lègues ministres. Ils ne comptent pas.

Netanyahou se considère comme un Winston Chur­chill des temps modernes. Je ne crois pas me sou­venir de Chur­chill en train d'annoncer, lors de sa prise de fonction, "J'assume la res­pon­sa­bilité de la défaite pro­chaine." Même dans la situation déses­pérée du moment, il croyait en la vic­toire. Et le mot "je" ne tenait pas beaucoup de place dans son discours.

DANS LE lavage de cerveau quo­tidien, le pro­blème est pré­senté en termes mili­taires. Le débat, tel qu'il se pré­sente, ne concerne que les capa­cités et les risques militaires.

Les Israé­liens sont par­ti­cu­liè­rement - et cela se com­prend - inquiets de la pluie de dizaines de mil­liers de mis­siles qui pour­raient s'abattre sur toutes les régions d'Israël, non seulement depuis l'Iran, mais aussi depuis le Liban et Gaza. Le ministre en charge de la défense civile a démis­sionné cette semaine même, et un autre, un réfugié de l'infortuné parti Kadima, a pris sa place. Chacun sait qu'une impor­tante partie de la popu­lation (dont je suis) est tota­lement sans défense.

Ehoud Barak a annoncé que pas plus de 500 mal­heureux Israé­liens seraient tués par des mis­siles ennemis. Je n'aspire pas à l'honneur d'être l'un d'entre eux, bien que je vive tout à côté du ministère de la Défense.

Mais la confron­tation mili­taire entre Israël et l'Iran n'est qu'une partie du tableau, et pas la plus importante.

Comme je l'ai signalé dans le passé, l'impact sur l'économie mon­diale, déjà plongée dans une crise pro­fonde, est de loin plus important. Une attaque israé­lienne serait consi­dérée en Iran comme ins­pirée par USA et la réaction serait en consé­quence, comme cela a été expli­ci­tement affirmé par l'Iran cette semaine.

Le golfe Per­sique est une bou­teille, dont le goulot est le Détroit d'Ormuz, tota­lement contrôlé par l'Iran. Les gros porte-avions amé­ri­cains actuel­lement sta­tionnés dans le golfe seraient bien avisés d'en sortir avant qu'il ne soit trop tard. Ils res­semblent à ces vais­seaux anciens que des pas­sionnés assemblent dans des bou­teilles. Même le puissant armement des USA ne sera pas en mesure de garder le détroit ouvert. De simples mis­siles sol-mer suf­fi­raient à le tenir fermé pendant des mois. Pour l'ouvrir, une longue opé­ration ter­restre des USA et de leurs alliés serait néces­saire. Une affaire longue et san­glante aux consé­quences imprévisibles.

Une partie très impor­tante de l'approvisionnement du monde en pétrole doit passer par cet unique passage maritime. Même la simple menace de sa fer­meture entraî­nerait une hausse ver­ti­gi­neuse des prix du pétrole. Des hos­ti­lités réelles entraî­ne­raient un effon­drement de l'économie mon­diale, avec des cen­taines de mil­liers - si ce n'est des mil­lions - de nou­veaux chômeurs.

Chacune de ces vic­times maudira Israël. Du fait qu'il sera clair comme de l'eau de roche qu'il s'agit d'une guerre israé­lienne, la colère s'exercera contre nous. Pire, bien pire - du fait qu'Israël met l'accent sur le fait qu'il est "l'État du Peuple Juif", la colère pourrait prendre la forme d'une explosion d'antisémitisme sans pré­cédent. Les isla­mo­phobes modernes revien­draient à la haine des juifs de jadis. "Les juifs sont notre catas­trophe" comme avaient coutume de pro­clamer les nazis.

Ce pourrait être pire aux États-Unis. Jusqu'à présent, les Amé­ri­cains ont observé avec une admi­rable indul­gence le fait que la poli­tique de leur pays au Moyen-Orient est pra­ti­quement dictée par Israël. Mais le tout puissant AIPAC lui- même et ses alliés ne seraient pas capables de contenir l'explosion de colère popu­laire. Ils cède­raient comme les digues de la Nou­velle-Orléans.

Netanyahou :"L'Iran est une menace pour la paix"-Carlos Latuff

CELA AURA un impact direct sur un calcul central des va-t-en-guerre.

En privé, mais pas seulement, ils font valoir que l'Amérique sera immo­bi­lisée à la veille des élec­tions. Pendant les quelques der­nières semaines pré­cédant le 6 novembre, les deux can­didats auront une crainte mor­telle du lobby juif.

Le calcul se pré­sente de la façon sui­vante : Netanyahou et Barak atta­queront sans se soucier de ce que veulent les Amé­ri­cains. La contre-attaque ira­nienne sera dirigée contre les intérêts amé­ri­cains. Les USA seront entraînés dans la guerre malgré eux.

Mais, même dans le cas impro­bable où les Ira­niens agi­raient avec une extrême retenue sans attaquer de cibles amé­ri­caines, contrai­rement à leurs décla­ra­tions, le Pré­sident Obama serait obligé de nous sauver, de nous envoyer d'énormes quan­tités d'armes et de muni­tions, de sou­tenir nos défenses anti-missiles, de financer la guerre. Dans le cas contraire il serait accusé de laisser tomber Israël et Mitt Romney serait élu en tant que sauveur de l'État Juif.

Ce calcul se fonde sur le passé his­to­rique. Tous les gou­ver­ne­ments israé­liens du passé ont exploité les années élec­to­rales amé­ri­caines à leurs fins.

En 1948, alors que l'on demandait aux USA de recon­naître le nouvel État israélien contre l'avis formel tant du Secré­taire d'État que du Secré­taire à la Défense, le Pré­sident Truman luttait pour sa survie poli­tique. Il était à cours de res­sources pour sa cam­pagne. Au dernier moment des mil­lion­naires juifs se sont engouffrés dans la brèche. Truman et Israël étaient sauvés.

En 1956, le Pré­sident Eisen­hower était en plein milieu de sa cam­pagne de réélection quand Israël a attaqué l'Égypte en col­lusion avec la France et la Grande Bre­tagne. C'était une erreur de calcul - Eisen­hower, qui n'avait pas besoin des suf­frages et de l'argent juifs, donna un coup d'arrêt à l'aventure. Lors d'autres années élec­to­rales, les enjeux étaient moins impor­tants, mais il a tou­jours été tiré parti de l'occasion pour obtenir des conces­sions de la part des États-Unis.

Cela marchera-t-il cette fois-ci ? Si Israël déclenche une guerre à la veille des élec­tions, dans une ten­tative évidente de faire chanter le Pré­sident, l'opinion publique soutiendra-t-elle Israël - ou se pourrait-il que ce soit le contraire ? Ce sera un pari à haut risque de pro­por­tions his­to­riques. Mais, comme Mitt Romney, Netanyahou est un protégé du magnat de casino Sheldon Adelson, et il pourrait bien ne plus rechigner à prendre des paris risqués que les pauvres poires qui laissent leur argent dans les casinos d'Adelson.

Où sont les Israéliens dans tout cela ?

Malgré le lavage de cer­veaux per­manent, les son­dages montrent que les Israé­liens sont en majorité abso­lument opposés à une attaque. Netanyahou et Barak sont perçus comme deux fana­tiques, beaucoup disent qu'ils sont méga­lo­manes, étrangers à toute pensée rationnelle

L'un des aspects les plus frap­pants de la situation est le fait que notre chef des armées avec la totalité de l'état-major, ainsi que les chefs du Mossad et du Shin Bet, comme presque tous leurs pré­dé­ces­seurs, sont tota­lement et publi­quement opposés à l'attaque.

C'est l'une des rares occa­sions où le com­man­dement mili­taire est plus modéré que ses chefs poli­tiques, encore que cela se soit déjà produit en Israël pré­cé­demment. On peut bien se poser la question : comment des diri­geants poli­tiques pourraient-ils engager une guerre fatale alors que pra­ti­quement tous leurs conseillers mili­taires, qui connaissent nos capa­cités mili­taires et les chances de succès, y sont opposés ?

Une des raisons à cette oppo­sition tient au fait que les chefs de l'armée savent mieux que qui­conque comment Israël est en réalité tota­lement dépendant des États-Unis. Notre relation avec l'Amérique est le fon­dement même de notre sécurité nationale.

Par ailleurs, il semble douteux que Netanyahou et Barak aient une majorité en faveur de l'attaque même au sein du gou­ver­nement et du cabinet réduit. Les ministres savent qu'en dehors de toute autre chose, l'attaque ferait fuir les tou­ristes et les inves­tis­seurs, ce qui cau­serait de graves torts à l'économie d'Israël.

Alors, pourquoi la plupart des Israé­liens pensent-ils encore que l'attaque est imminente ?

Les Israé­liens, dans une large mesure, sont main­tenant tota­lement convaincus (a) que l'Iran est gou­verné par une clique d'ayatollahs fana­tiques étrangers à toute raison, et (b) qu'une fois en pos­session de la bombe ato­mique ils vont à coup sûr en lâcher une sur nous.

Ces convic­tions se fondent sur les décla­ra­tions d'Ahmadinejad, dans les­quelles il a déclaré qu'il allait balayer Israël de la surface de la terre.

Mais a-t-il réel­lement dit cela ? Il est certain qu'il a de façon répétée exprimé sa conviction que l'entité sio­niste allait dis­pa­raître de la surface de la terre. Mais il semble qu'il n'ait jamais réel­lement dit que lui - ou l'Iran - se char­gerait d'obtenir ce résultat.

Cela peut sembler n'être qu'une petite dif­fé­rence rhé­to­rique, mais c'est très important dans ce contexte.

En outre, Ahma­di­nejad est peut-être fort en gueule, mais son pouvoir réel en Iran n'a jamais été très grand et il se réduit rapi­dement. Les aya­tollahs, les vrais diri­geants, sont loin d'être dérai­son­nables. Toute leur conduite depuis la révo­lution les fait appa­raître comme des gens très pru­dents, opposés à des aven­tures étran­gères, pro­fon­dément marqués par la longue guerre avec l'Irak qu'ils n'avaient pas engagée et qu'ils n'avaient pas souhaitée.

Un Iran doté de l'arme nucléaire pourrait être un voisin gênant, mais la menace d'un "second holo­causte" est le pur fruit d'une ima­gi­nation mani­pulée. Aucun aya­tollah ne lancera une bombe en sachant que la riposte assurée serait la des­truction de toutes les villes ira­niennes et la fin de la glo­rieuse his­toire cultu­relle de la Perse. La dis­suasion était, après tout, toute la logique de pro­duction d'une bombe israélienne.

SI Netanyahou & Co avaient réel­lement peur de la bombe ira­nienne, ils feraient l'une des deux choses suivantes :

Ou bien donner leur accord à la dénu­cléa­ri­sation de la région, en aban­donnant nos propres arme­ments nucléaires (hau­tement improbable) ;

Ou bien faire la paix avec les Pales­ti­niens et l'ensemble du monde arabe, désarmant ainsi l'hostilité des aya­tollahs envers Israël.

Mais les actions de NETNAYAHOU montrent que, pour lui, conserver la Cis­jor­danie est beaucoup plus important que la bombe iranienne.

De quelle meilleure preuve du caractère délirant de toutes ces peurs avons-nous besoin ?


Courtesy of  AFPS
Source:  zope.gush-shalom.org
Publication date of original article: 18/08/2012
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