21/07/2011 alterinfo.net  6min #55446

 Murdoch heads for a Fall

Quand le « quatrième pouvoir » devient l' » empire du mal »

Voici qu'il est question de morts mystérieuses, qui plus est à la veille des réunions extraordinaires du parlement britannique qui étaient prévues mardi et mercredi. Lundi, Sean Hoare, l'ancien reporter de News of the World qui a fermé en raison du scandale lié aux écoutes téléphoniques, a été retrouvé mort. Cet homme était à l'origine du scandale: il fut le premier à parler ouvertement des écoutes illégales et en a informé The New York Times. Il s'avère aujourd'hui que Sean Hoare était envoyé par son journal pour consommer de la drogue avec des vedettes du show-business et ensuite, écrire à ce sujet. Une provocation typique. Bref, le parlement aura de quoi débattre.

Cependant, on a l'impression que l'excès de scoops est une mauvaise chose. Leur abondance empêche de réfléchir au sens global des informations publiées. Par exemple, que signifie le phénomène de la presse tabloïd, dite people. Qu'a-t-elle à voir avec la liberté de la presse. Sans aucun doute, beaucoup de choses ont été dites et écrites à ce sujet, mais c'était avant ce scandale qui pourrait changer la donne.

"Chez nous, aux USA, une telle chose est impossible"

Les Russes qui ont vu l'apparition des premiers tabloïds russes dès le début des années 1990 pourraient penser qu'il s'agit d'une composante nécessaire de la liberté de la presse. De même que l'illustration d'une importation directe sur le sol russe des techniques de corruption, d'écoute, des caméras cachées dont la société ne pourrait pas se passer.

Et maintenant, une enquête-éclair du Washington Post, affirme que ce qui s'est passé à Londres n'était qu'un phénomène purement britannique. Le journal reconnaît qu'il existe à New York "quelques tabloïds" (l'un d'eux appartient même au héros du scandale, le magnat Rupert Murdoch, patron du défunt News of the World). Mais les journaux people n'ont pas d'éditions panaméricaines, ils ne sont lus que dans la ville où ils sont publiés et, surtout, ils ne se permettent pas d'excès similaires à ceux qui caractérisent leurs cousins britanniques.

Pour The Washington Post, tout cela découle des différences marquées qui existent entre les sociétés britannique et étatsunienne. Les Américains ne seraient pas aussi hostiles que les Britanniques envers tout gouvernement. Bref, aux Etats-Unis la société actuelle est "étatiste", alors qu'en Grande-Bretagne (et ajoutons, en Europe) c'est tout le contraire. Ainsi la liberté d'expression et la liberté de la presse y sont à coup sûr interprétées différemment.

Il est évident que les Etats-Unis ne sont pas l'Europe. Pour s'en convaincre, on pourrait citer la façon dont on considère la guerre des deux côtés de l'Atlantique. Qu'il s'agisse de l'Afghanistan ou de l'Irak. Il ne s'agit pas seulement du fait que les nations européennes ont exigé le retrait de leurs troupes bien avant que les Américains ne le fassent à leur tour. Il y a un autre exemple. Celui de Julian Assange qui a dévoilé sur  le site WikiLeaks des informations secrètes du Département d'Etat américain. Les partisans de cette action insensée (à en juger par ses résultats politiques dérisoires) se trouvent principalement en Europe. Aux Etats-Unis, la position prédominante est la suivante: notre nation est en guerre, il faut donc mettre Assange derrière les barreaux, au moins à vie.

L'exemple de ce partisan de la "liberté d'expression" qu'est Assange n'est pas seulement approprié ici parce que c'est à Londres que les dernières étapes de sa procédure d'extradition vers la Suède se sont déroulées, quand bien même l'affaire Murdoch l'a reléguée au second plan de l'actualité. Mais on y reviendra plus tard, parlons d'abord de Murdoch.

La culture de la peur

Des deux côtés de l'océan, nombreux sont ceux qui souhaitent mettre les événements actuels sur le seul compte de "l'empire du mal", fondé en Grande-Bretagne par l'Australien Murdoch, âgé aujourd'hui de 80 ans. Les écoutes téléphoniques, la corruption des informateurs, les provocations envers les fonctionnaires et les personnages publics afin de montrer leur cupidité... Tout ce que l'Etat ne peut pas faire contre un citoyen, un groupe de médias privé l'a fait.

Et à en croire les rumeurs, la culture de la peur qu'inspire la presse people a également atteint un niveau très élevé aux Etats-Unis. Prenons l'année 1995, lorsque Murdoch aurait soi-disant favorisé l'élection de Rudolph Giuliani à la mairie de New York et celle de George Pataki au poste de gouverneur de l'Etat de New York. On murmure encore que même Hillary Clinton, pourtant secrétaire d'Etat, craint Murdoch.

Mais si tel est le cas, tout devient très simple. On peut même prédire le résultat des audiences parlementaires à Londres et les débats judiciaires aux Etats-Unis. On dira qu'il s'agit d'une affaire atypique et que Murdoch et son équipe en sont responsables. Son "Empire" est trop grand, il faut donc le diviser en plusieurs parties, adopter plusieurs lois régissant la déontologie du travail des médias et tout ira bien.

La haine des élites

Revenons maintenant à Julian Assange et à ses fuites diffusées sur internet au nom de la transparence, de la liberté d'expression et de tout le reste. Les psychiatres ont bien travaillé sur la question de savoir quelles étaient ses motivations. Leur conclusion est la suivante: il est un membre profane d'un groupe représentatif de la classe moyenne des pays européens (et, apparemment de l'Australie, dont il est originaire), un autiste avec des complexes napoléoniens nourrissant avant tout une haine contre toutes les élites, dans le cas présent les diplomates et les fonctionnaires en général. Il veut que toutes leurs affaires secrètes deviennent transparentes.

Et voici la description de Murdoch qu'a faite Conrad Black, un éditeur américain: ce magnat et son équipe attaquent la "dignité des individus et des institutions" sous couvert d'anti-élitisme. Un véritable Assange, n'est-ce pas? La liberté des médias contre les élites.

Pourtant à l'origine, au siècle des Lumières, la liberté des médias était une idée purement élitiste. Les médias sont nécessaires pour que les personnes informées et instruites puissent participer à l'instruction des ignorants, faire d'eux des électeurs responsables, et placer les pouvoirs publics sous leur contrôle. La liberté des médias (par rapport au pouvoir exécutif et non pas en général) est logique et nécessaire, car s'ils ne pouvaient pas exprimer des faits et des opinions en toute liberté, personne ne leur ferait confiance. Ils doivent être un "quatrième pouvoir", à l'image des pouvoirs judiciaire ou législatif, au sens de leur indépendance et non de leur omnipotence.

La presse people est apparue comme un sous-produit, lorsque les éditeurs de médias ont découvert que des millions de personnes ne voulaient pas de politique et d'éducation tous les jours, qu'ils voulaient découvrir les "détails" de la vie des célébrités, des vedettes du show-business de préférence. Même si les détails de la vie des politiciens leur conviennent également.

C'est ici aussi un cas d'aversion envers les élites. Les subordonnés de Murdoch créaient artificiellement ces "détails" et suscitaient l'aversion des lecteurs pour les personnes célèbres et aisées. Mais pourquoi dans ce cas devraient-ils être intouchables? De quel droit revendiquent-ils la liberté? Les tabloïds ont simplement volé une chose qui ne leur était pas destinée initialement.

Il ne faut pas s'attendre à ce que les audiences au parlement britannique fassent revenir les médias au siècle des Lumières. Probablement, au final, les tabloïds (et pas seulement en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis) ne perdront pas le prestige, mais leur aura d'invulnérabilité. C'est déjà une bonne chose.

L'opinion de l'auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction [%20http://fr.rian.ru] http://fr.rian.ru

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