Dirk Tuypens
Le ministre de la Défense de Belgique, Theo Francken (AFP)
Service militaire : « Mon fils de 17 ans a reçu une lettre du ministre Francken, je lui ai répondu »
Depuis la semaine dernière, 149 000 jeunes de 17 ans ont reçu une lettre du ministre de la défense Theo Francken les invitant à faire leur service militaire volontaire. Dirk Tuypens, père de famille, lui a répondu.
La lettre de réponse de Dirk Tuypens a déjà été lue au Nord du pays par des centaines de milliers de personnes. Elle a été publiée ce mardi dans le quotidien flamand De Morgen. La voici :
Monsieur Francken,
C'est donc vendredi que votre lettre adressée à mon fils de dix-sept ans est tombée entre ses mains : une invitation à effectuer un service militaire volontaire d'un an. Vous aviez annoncé son arrivée avec tambours et trompettes, aussi n'était-ce pas une surprise. En revanche, lire votre lettre fut une véritable stupeur.
Bien que cette lettre ne me soit pas adressée, je prends la liberté de vous répondre. Parce que, en tant que père de ce jeune homme de dix-sept printemps, je suis profondément indigné par ce que vous tentez de lui vendre, à lui et à ses semblables. Par la légèreté avec laquelle vous essayez de recruter des milliers de jeunes pour cette guerre que vous prônez de plus en plus ouvertement chaque jour. Cela ne vous dérangera sans doute pas, je n'ai aucune illusion à ce sujet : ceux qui ne partagent pas votre politique font partie, selon vos propres mots sur Facebook, des « des bobo-écolos, des pseudo-pacifistes, des communistes, des complotistes, des amateurs de Poutine qui rendent notre pays riche plutôt que pauvre ».
La lettre de réponse de Dirk Tuypens a été publiée dans le quotidien flamand De Morgen
Il faut le reconnaître, vous avez un sens du timing. Les jeunes de dix-sept ans reçoivent votre courrier en novembre, quelques jours après que le pays tout entier ait commémoré la fin de la Première Guerre mondiale. Aux monuments aux morts, des personnalités comme vous, dos droit et visage grave, ont rendu hommage aux soldats tombés lors de la Grande Guerre. Et, comme toujours, cela s'accompagne de grands discours sur « ceux qui ont donné leur vie pour la paix, la liberté, la démocratie... ». Car c'est toujours ainsi que l'on présente l'enjeu de la guerre, du moins dans les grands discours de ceux qui la décident.
Le soldat français Louis Barthas, mobilisé en 1914, écrivait dans ses carnets de guerre une phrase frappante : « Dans les villages, on veut déjà ériger des monuments à la gloire des victimes de ce grand massacre, ou comme disent les chauvins, "à la gloire de ceux qui ont volontairement sacrifié leur vie". Comme si les malheureux avaient eu le choix de faire autre chose... Ah si les morts de cette guerre pouvaient se lever de leur tombe, ils briseraient ces monuments hypocrites, car ceux qui les ont érigés les ont sacrifiés sans pitié. »
Voilà la réalité amère, monsieur Francken. Aucune vie n'est donnée volontairement à la guerre, elles y sont arrachées avec brutalité. Chaque vie déchiquetée dans la boue des champs de bataille est une vie gaspillée délibérément. Et la guerre n'est pas une horreur qui surgit soudainement du néant. C'est une horreur décidée par des hommes. Pas par les jeunes de dix-sept ans qui reçoivent votre lettre, pas par leurs parents, leurs familles ou leurs amis. Mais par les grands de ce monde. Et toute la rhétorique grandiloquente sur la liberté et la démocratie ne peut masquer une vérité simple : la guerre a toujours été une question de pouvoir, d'argent et d'intérêts économiques. C'est pour cela que tant de vies sont sacrifiées.
Et ce sont toujours les vies des jeunes qui sont jetées dans la gueule affamée du monstre de la guerre. Des jeunes que l'on recrute et que l'on prépare, encore et toujours, avec les mêmes mensonges criminels, pour courir vers leur mort au nom du drapeau et de la patrie, et revenir chez eux dans un sac mortuaire.
C'est pourquoi votre lettre est si consternante. Elle occulte toute réalité et se présente comme une offre d'emploi banale pour un poste ordinaire. Dès le deuxième paragraphe, vous leur promettez, en gras, un « salaire attractif ». Vous savez parfaitement à quel point 2 000 euros par mois peuvent être tentants pour un jeune de dix-sept ans. Ensuite, vous assenez aux jeunes des phrases creuses sur « contribuer activement à l'avenir du pays », « une opportunité unique de se développer personnellement et professionnellement », « se faire des amis pour la vie », « un environnement de travail passionnant et aventureux ». Tout cela est d'une légèreté insupportable.
Vous objecterez peut-être que je m'inquiète pour rien, car sur votre page Facebook, vous affirmez avec assurance que vous ne voulez pas envoyer nos jeunes au front. Mais alors, pourquoi en avez-vous besoin ? À quoi doivent-ils être prêts ? Car c'est bien ce que dit votre lettre : « Nous devons être préparés et prêts à agir. » Pour quoi voulez-vous que mon fils et ses semblables soient prêts ? Pour éplucher des pommes de terre, nettoyer les latrines avec leur brosse à dents, s'ennuyer à mourir dans les casernes, ou recueillir des anecdotes héroïques à raconter plus tard à leurs descendants sur leurs jours glorieux sous les drapeaux ?
Pour qui nous prenez-vous, monsieur Francken ? Et pour qui prenez-vous nos jeunes ? Pensez-vous vraiment qu'ils ne comprennent pas ce que signifient, en réalité, tous ces appels voilés à la « préparation », baignant dans l'odeur nauséabonde du « devoir patriotique » et de la « citoyenneté » ? Allons, monsieur Francken, à qui voulez-vous faire croire cela ? Soyez au moins honnête. Cessez de souffler le chaud et le froid. Vous voulez, avec l'Europe, que nous soyons prêts pour la guerre dans cinq ans. Vous voulez que nous nous armions jusqu'aux dents, que nous construisions des abris, que nous remplissions nos maisons de kits de survie, et maintenant, que nos jeunes soient prêts. Et nous devons croire que vous ne les enverriez pas réellement au combat armé ? La guerre n'est pas un « environnement de travail passionnant et aventureux », ni une « opportunité unique de se développer personnellement et professionnellement ». Comme l'écrit le journaliste Walter Zinzen : « Les guerres sont en réalité des massacres et des destructions de masse. Tout ce qui est humain y est éradiqué par une violence sans pitié. Et c'est à cela que nous devons nous préparer, comme notre ministre de la Guerre nous invite à le croire ? » Mais sans doute rangerez-vous aussi monsieur Zinzen parmi les indésirables qui, selon vous, ne méritent que moqueries et mépris.

Extrait d'une adaptation graphique du livre « Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier 1914-1918 » par le dessinateur Fredman
Ces jours-ci, vous essuyez de nombreuses critiques. Cela ne vous empêche pas de dormir, vous savez encaissez, c'est dans la nature de la fonction, n'est-ce pas ? Mais vos enfants ne sont pas épargnés, et cela, à mes yeux, dépasse les limites du tolérable. Sur Facebook, vous écrivez : « Quand on s'en prend à mes enfants, je réagis assez vivement. » Eh bien, nous avons au moins cela en commun. Car quand il s'agit de mes enfants, je réagis aussi assez vivement. Et ce qui me fait dresser les cheveux sur la tête, c'est de voir comment le gouvernement, dont vous faites partie, s'emploie avec zèle à démanteler les perspectives d'avenir des jeunes par des restrictions drastiques et des réformes sociales destructrices, de sorte qu'il ne leur restera bientôt plus d'autre option que de s'engager dans l'armée.
Au JT, on vous a demandé si vous étiez déjà réserviste. Vous avez répondu que vous n'aviez pas encore eu le temps. Eh bien, monsieur Francken, mon fils n'a pas le temps non plus. Il a déjà fort à faire : vivre, être jeune, passer du temps avec ses amis et son amoureuse, aller à l'école, acquérir de l'expérience en tant que travailleur étudiant, faire des projets pour l'avenir qui s'offre à lui... Il ne rêve pas d'une mort héroïque en tant que jeune recruté, suivie d'un hommage de personnalités comme vous pour le « don » de sa vie.
Je peux vous annoncer, peut-être à votre déception mais en tout cas à mon grand soulagement, que mon fils décline poliment votre invitation. Cela me conforte dans l'espoir que Simon Gronowski ait raison lorsqu'il écrit, dans son livre récemment paru 'Plaidoyer pour la paix' : « Les jeunes disposent d'un sens de la justice, de la vérité et de la solidarité. »
Avec mes salutations pacifistes,
Dirk Tuypens
Source : ptb.be

