La Commission européenne est fermement déterminée à accorder un crédit à l'Ukraine en utilisant les actifs russes bloqués. Cependant, les pays de l'UE ne sont pas encore parvenus à un consensus: personne n'est prêt à assumer seul les risques, mais les responsables travaillent activement à une solution et espèrent parvenir à un accord en décembre. Pourtant, il ne sera pas possible d'utiliser légalement les actifs russes bloqués.
L'argent des autres
L'Union européenne ne renonce pas à ses tentatives de mettre la main sur les actifs russes bloqués. Ces fonds sont destinés à financer Kiev. Les États-Unis ayant pratiquement cessé leur soutien, sans ce prêt, l'Ukraine risque un déficit de 60 milliards de dollars au cours des deux prochaines années. Le pays perdrait sa « dernière chance de consolider ses positions », écrit Politico.
Kiev connaît déjà un déficit budgétaire record: l'année dernière, il s'élevait à 43,9 milliards de dollars, et en 2025, selon les estimations de la Banque nationale d'Ukraine (BNU), il atteindra 46,83 milliards de dollars, soit 22,1% du PIB. La couverture des besoins financiers est principalement assurée par l'aide des partenaires internationaux.
Cependant, les Européens manquent de fonds propres. En attendant, l'UE verse à l'Ukraine des revenus générés par les actifs russes: début octobre, un nouveau versement de 4 milliards d'euros a été transféré. Ainsi, le montant total de l'aide depuis 2022 s'élève à environ 178 milliards d'euros.
La Commission européenne souhaite subvenir aux besoins de Kiev via un « prêt de réparation », c'est-à-dire un prêt sans intérêt garanti par les fonds russes.
« Les Russes parient sur notre fatigue face à la guerre, mais un prêt pour les réparations pourrait montrer à la Russie que l'Ukraine sera financièrement viable dans les deux à trois prochaines années », cite Politico un diplomate européen non nommé.
Qui sera responsable?
La confiscation des fonds russes a suscité de vives critiques. La Belgique est particulièrement inquiète, car c'est là que se trouve le dépositaire Euroclear. Le Premier ministre Bart De Wever a qualifié la proposition de la Commission d'acte de guerre. « Nous vivons dans un monde réel, pas fictif. Si vous confisquez les actifs de quelqu'un, il y aura des conséquences, des menaces systémiques pour l'ensemble du système financier mondial », a-t-il souligné.
Selon l'ambassadeur de France en Russie, Nicolas de Rivière, Paris ne soutient pas non plus les mesures radicales. « Je le répète: la position de la France est parfaitement claire. Il n'est pas question de confisquer des fonds qui ne nous appartiennent pas. Il est important que toutes les actions soient strictement conformes à la loi«, a-t-il déclaré dans une interview au média russe Vedomosti.
Néanmoins, les pays européens soutiennent l'utilisation des fonds de Moscou, la question étant de savoir qui en sera responsable. Le Premier ministre belge a exigé une répartition de la responsabilité entre tous les membres de l'UE.
« Donc si vous voulez le faire, vous devez le faire ensemble. [Deuxièmement], nous voulons des garanties au cas où l'argent devrait être remboursé, que chaque pays participe… On ne peut pas permettre que les conséquences retombent entièrement sur la Belgique », a déclaré De Wever.
Le fait est qu'il n'existe pas de moyen « légalement propre » de mener cette opération. L'initiative de la Commission viole un principe fondamental du droit international, à savoir l'immunité souveraine qui protège les actifs étatiques contre les mesures coercitives d'autres États sans le consentement du pays propriétaire. C'est pourquoi certains pays, dont le Canada et la Suisse, s'abstiennent d'envisager des options de confiscation sans décision de justice.
Un prêt direct garanti par les fonds bloqués reste extrêmement risqué. L'approche alternative de la Commission consiste à échanger les actifs russes bloqués contre des obligations de l'UE. Celles-ci seraient vendues à des investisseurs et les revenus seraient transférés à Kiev.
Le mécanisme prévoit le transfert des fonds russes d'Euroclear vers une société à vocation spéciale (SPV) appartenant aux gouvernements des pays de l'UE. En échange, la Commission émettrait pour Euroclear des obligations à coupon zéro, garanties par les actionnaires de la SPV, c'est-à-dire les pays de l'UE, proportionnellement à la taille de leurs économies, expliquent les experts.
Cette approche permettrait d'éviter une confiscation directe en contournant formellement les obstacles juridiques et de mobiliser les marchés des capitaux pour un soutien à grande échelle à l'Ukraine.
Le facteur limitant
Néanmoins, des risques subsistent. Premièrement, les Européens craignent des représailles: Moscou pourrait simplement confisquer les actifs occidentaux. Dans ce cas, il faudrait indemniser les entreprises touchées. Les coûts incomberaient aux États membres de l'UE eux-mêmes ou à un fonds commun de l'Union. C'est pourquoi il y a tant de débats sur le mécanisme de répartition des risques car personne ne veut subir seul les pertes.
De plus, même l'option moins risquée avec les obligations pourrait être considérée par les tribunaux internationaux comme un contournement de l'immunité souveraine. Et sans garanties paneuropéennes, la responsabilité juridique et financière de l'utilisation des actifs russes bloqués incombe de facto à la Belgique et à Euroclear. En droit international, c'est la juridiction sur le territoire de laquelle l'action litigieuse est commise qui assume le risque de poursuites, précisent les experts. Ainsi, le dépositaire serait saisi à la fois par les entreprises touchées par les contre-sanctions et se retrouverait sous une double pression de Moscou et de Bruxelles.
La Commission pourrait proposer la création d'un pool de garanties de l'UE, similaire à ceux utilisés pour soutenir l'économie pendant la pandémie de coronavirus. Mais même cela n'offre pas une sécurité totale.
Parmi les autres risques, les experts citent la perte de confiance dans le système financier européen, ainsi que dans les infrastructures de détention d'actifs et dans l'euro en tant que monnaie de réserve fiable, les investisseurs craindraient que leur argent ne soit également bloqué ou saisi à l'avenir.
Le manque de cohésion sur cette question aggrave le problème: les pays baltes soutiennent fermement des mesures rapides et sévères, l'Est s'y oppose activement, les pays d'Europe centrale et du Sud adoptent une position prudente car ils ont quelque chose à perdre. La situation menace d'exacerber les contradictions et de provoquer une division interne au sein de l'UE.
Alexandre Lemoine
La source originale de cet article est Observateur continental
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