15/09/2025 les-crises.fr  8min #290496

Azerbaïdjan : l'accord de paix proposé par Trump traduit le triomphe militaire de Bakou au détriment de l'Arménie

La récente effervescence diplomatique entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, qui a abouti à une déclaration très médiatisée à la Maison Blanche concernant un projet d'accord de paix, a été saluée comme une avancée décisive pour la paix dans le Caucase du Sud. Mais derrière les discours élogieux se cache une réalité bien plus complexe, une réalité où les discours triomphalistes masquent des tensions non résolues et où c'est la domination militaire, plutôt qu'un véritable compromis, qui continue de dicter les conditions.

Source :  Responsible Statecraft, Eldar Mamedov
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

À la veille d'accueillir le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev pour le sommet du 8 août, le président américain Donald Trump a annoncé sur son réseau Truth Social que les dirigeants se réuniraient pour une « cérémonie officielle de signature de la paix ». Cependant, celle-ci n'a abouti qu'à une « déclaration commune » en sept points - dont seulement quatre traitent concrètement du conflit, les autres se limitant à de vagues banalités sur la paix et des éloges enthousisates concernant la médiation de Trump.

Le premier point, et le plus important de la déclaration révèle son caractère temporaire : l'accord de paix est seulement paraphé par les ministres des Affaires étrangères, et non signé par les chefs d'État. Lorsque le texte a été publié dans son intégralité quelques jours plus tard, son contenu s'est avéré étonnamment familier - une version réchauffée des principes des accords d'Helsinki de 1975 (inviolabilité des frontières, souveraineté et intégrité territoriale) combinée à des clins d'œil à la déclaration d'Almaty de 1991 qui a dissous l'URSS et créé la Communauté des États indépendants, rejointe à la fois par l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Ce flou délibéré indique qu'il reste de redoutables obstacles à franchir avant qu'un traité définitif puisse être signé par les dirigeants des deux pays.

L'accent mis par le projet d'accord sur la « non-ingérence dans les affaires intérieures » sonne creux face à la demande intransigeante de l'Azerbaïdjan, qui exige que l'Arménie purge sa constitution de toute référence au Haut-Karabakh - le territoire contesté qui a déclenché deux guerres dévastatrices (années 1990, 2020) et qui a abouti à la victoire militaire de l'Azerbaïdjan, à la réintégration forcée de la région et au nettoyage ethnique de plus de 100 000 Arméniens autochtones en 2023. En omettant ce point de friction existentiel, le document met en évidence le gouffre qui sépare le théâtre diplomatique et les réalités sur le terrain.

L'exigence de réforme constitutionnelle est politiquement délicate pour Pashinyan, qui fait déjà face à une réaction brutale des Arméniens à ce que beaucoup considèrent comme une capitulation humiliante face aux exigences de Bakou. Personnage extrêmement polarisé, en conflit à la fois avec l'influente diaspora arménienne et avec l'Église apostolique arménienne, Pashinyan doit agir avec prudence avant les élections législatives de 2026. Faire adopter des amendements à la constitution avant cette date risquerait d'éroder davantage son emprise sur le pouvoir, d'autant plus que les changements exigeraient une ratification par le biais d'un référendum conflictuel.

Cependant, il est probable qu'Aliyev, désireux de concrétiser ses victoires militaires, se refuse à accepter des reports interminables.

D'autres obstacles non résolus se profilent à l'horizon. Alors que la reconnaissance mutuelle de l'intégrité territoriale devrait théoriquement protéger les enclaves situées sur les territoires respectifs, l'Arménie est beaucoup plus vulnérable dans la pratique. Trois enclaves azerbaïdjanaises - Kerki, Yuhary Askipara et Sofulu - occupent des positions stratégiques le long ou à proximité d'axes routiers essentiels en Arménie, notamment celui qui relie Erevan àTbilissi. Si Bakou en reprenait le contrôle, cela pourrait compromettre la liaison terrestre de l'Arménie avec la Géorgie.

Les échanges de territoires pourraient constituer une solution, mais Erevan ne dispose pas d'un levier équivalent : contrairement à l'Azerbaïdjan, l'Arménie ne détient aucune enclave stratégique en territoire azerbaïdjanais qu'elle puisse échanger. Cette asymétrie n'incite guère Bakou à renoncer à ses avantages tactiques, ce qui lui permet de conserver son levier territorial en plus de sa supériorité militaire en cas de nouveaux conflits.

Voilà qui révèle la faille fondamentale du soi-disant « accord de paix » : il traduit le triomphe militaire de Bakou au détriment de l'Arménie plutôt qu'un compromis équitable répondant aux intérêts fondamentaux des deux parties. Les objectifs du champ de bataille ayant été atteints, Bakou ne ressent pas le besoin de faire des concessions significatives.

Pourtant, l'histoire nous met en garde contre le risque de confondre victoire militaire et paix durable. L'éphémère victoire de l'Arménie en 1994 montre à quel point les choses peuvent changer rapidement. Si l'Azerbaïdjan jouit d'avantages structurels (taille, population et ressources naturelles plus importantes), sa domination actuelle n'est pas garantie. Des changements d'alliances régionales ou des dynamiques internes pourraient modifier l'équation. Le véritable danger réside dans la manière dont cet accord institutionnalise la paix du vainqueur, en ancrant des griefs non résolus susceptibles d'alimenter de futurs conflits plutôt que de favoriser une véritable réconciliation.

Cette situation explique la position maximaliste d'Aliyev, qui cherche à tirer parti de la domination actuelle de l'Azerbaïdjan pour éliminer toute possibilité future de ce que Bakou appelle le « revanchisme arménien ». Cette stratégie est clairement illustrée par la clause générale de l'accord de paix (article 8) qui impose une opposition au « séparatisme » sous toutes ses formes. Cette expression a un double objectif : elle éteint définitivement les revendications territoriales de l'Arménie sur le Karabakh tout en refusant le droit au retour de sa population arménienne. L'exode forcé de 2023 ne représentait donc pas seulement une solution militaire, il constituait également la création délibérée de réalités irréversibles sur le terrain.

Cependant, ces tensions locales s'inscrivent dans une situation géopolitique de plus en plus complexe, qui voit les rivalités entre grandes puissances menacer d'exacerber les conflits de la région plutôt que de les résoudre.

La médiation de Washington a indéniablement affaibli la position de la Russie dans la région, mais, ce faisant, les États-Unis ont hérité de ce même jeu d'équilibre complexe entre Bakou et Erevan qui a posé de nombreux problèmes à Moscou pendant des décennies. Les États-Unis ont obtenu l'accord de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan pour le corridor TRIPP (Trump Route for International Peace and Prosperity, La route de Trump pour la paix et la prospérité internationales), un itinéraire de transit soutenu par les États-Unis qui relie l'Azerbaïdjan au Nakhitchevan et à la Turquie en passant par l'Arménie. Bien que présenté comme une bouée de secours économique et soumis en apparence à la législation arménienne, des questions cruciales restent sans réponse : qui contrôle la sécurité ? (Les États-Unis ou des entrepreneurs privés géreront-ils les points de contrôle ?) Qu'est-ce qui garantit la souveraineté de l'Arménie ? (Bakou insiste pour que le transit se fasse sans entrave - ce qui pourrait constituer une faille en matière d'extraterritorialité).

La réaction discrète du Kremlin à cet accord négocié par les États-Unis reflète un calcul stratégique plutôt qu'une adhésion. Cela s'explique par le désir de Moscou de rester dans les bonnes grâces de Trump. Mais surtout, elle montre que la Russie reconnaît qu'en assumant le leadership dans le Caucase du Sud, Washington détient désormais tout à la fois les bénéfices mais aussi les risques potentiels.

On ne sait toujours pas jusqu'à quel point Washington est réellement prêt à s'engager dans la stabilisation d'une région située à 6 000 km, et d'une importance stratégique marginale alors que des puissances régionales comme la Russie, la Turquie et l'Iran ont des enjeux bien plus importants.

En dépit des déclarations annonçant un retrait, la Russie maintient des liens économiques et d'infrastructure importants en Arménie et cherchera probablement à influencer les élections législatives de 2026 pour favoriser les factions favorables à Moscou. La présence continue de gardes-frontières russes le long de la frontière arménienne avec l'Iran constitue un autre facteur de complication - le corridor TRIPP soutenu par les États-Unis devra s'adapter à cette réalité qui perdure.

Parmi les acteurs régionaux, c'est l'Iran qui a formulé les critiques les plus virulentes à l'égard du TRIPP. Si le président Pezeshkian a adopté un ton conciliant, il a toutefois explicitement averti que la présence des États-Unis le long de la frontière iranienne serait « problématique ». Le conseiller en politique étrangère du Guide suprême, Ali Akbar Velayati, a quant à lui durci le ton, promettant de s'opposer à la « route Trump », indépendamment de l'implication de la Russie. Dans le contexte où un nouveau conflit entre Israël et l'Iran semble possible - le dernier épisode ayant donné lieu à des bombardements américains sur les installations nucléaires iraniennes - Téhéran considérera probablement toute intrusion américaine si près de sa frontière comme une grave provocation. L'Iran pourrait alors jouer un rôle de trouble-fête majeur.

Le Caucase du Sud a vu de nombreux accords « historiques » échouer. Pour que celui-ci perdure, il doit aller au-delà du symbole et s'attaquer aux questions non résolues qui opposent encore l'Arménie et l'Azerbaïdjan. À défaut de s'attaquer aux principaux griefs - différends territoriaux, exigences constitutionnelles et droits des populations déplacées -, cet accord risque de devenir une nouvelle trêve éphémère dans un conflit qui échappe à toute résolution depuis des décennies.

Toute paix véritable exige davantage que des gesticulations diplomatiques ; elle nécessite des compromis difficiles qui, jusqu'à présent, ont fait défaut. Tant que cela sera le cas, la promesse de stabilité restera un mirage.

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Eldar Mamedov est expert en politique étrangère qui vit à Bruxelles. Il est chercheur non résident à l'Institut Quincy.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source :  Responsible Statecraft, Eldar Mamedov, 15-08-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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