13/09/2025 reseauinternational.net  11min #290337

 Que se passe-t-il au Népal ?

Népal : Émeutes

par Damien François

Jaya Mahakali, Ayo Gen Z... Vive la (Grande Déesse) Mahakali, Voici la Gen Z («Ayo Gorkhali» étant l'original). Je paraphrase ici légèrement le fameux slogan des redoutables Gurkhas du Népal en le mettant à la sauce du jour. Il est de circonstance, vu que c'est maintenant l'armée qui a pris les rênes du pays...

J'ai mis un peu de temps à réagir aux évènements qui secouent le Népal pour y voir plus clair, avoir de meilleures infos, entre autres par l'intermédiaire de mon ami, l'ancien ambassadeur du Népal au Benelux et auprès de l'UE, mais aussi parce que je reviens d'Inde, un voyage épuisant - le nord-ouest du pays, où je me trouvais, étant depuis 2 semaines en état d'exception, de catastrophe climatique.

Je connais bien le Népal, j'y passe 2 à 3 mois l'an depuis 2005, pour y pratiquer l'alpinisme, mais aussi pour me plonger dans un bain culturel tout à fait exceptionnel et certainement unique au monde. Je passe environ 3 semaines lors de chaque séjour dans des familles amies et je fréquente des personnes de toutes catégories sociales, que ce soit des hauts fonctionnaires, des artistes de renom, des guides de montagne, des petits commerçants, des étudiants, de simples paysans. Je ne vois donc pas le pays à travers les yeux du touriste lambda, ce qui me permet d'éviter les clichés, surtout du type bisounours, du genre «les pauvres Népalais sont les esclaves des riches alpinistes» ou «les Népalais n'ont pas la fibre matérialiste, ils se nourrissent de spiritualité et d'eau». Oui, les Népalais boivent de l'eau («pani») du matin au soir, froide, chaude, mais pas toujours de la meilleure qualité. Mais ne voir en eux que des bouddhistes pacifistes soucieux uniquement de non-violence correspond à un regard fallacieux de touristes qui ont bien souvent la fibre hippie-bobo et qui idéalisentà tort et ne comprennent pas le Népal, ni les Népalais.

Tout d'abord, les bouddhistes ne représentent que 10% maximum de la population, 85% étant hindous. Les Népalais, qui forment un peuple composé de plus de 135 groupes ethniques différents, ont en effet la réputation légendaire d'être toujours zen, de ne jamais s'emporter, de toujours garder le sourire et de régler tout de manière non-violente. Si cette première qualité, garder le sourire et le calme, est une réalité (quel bonheur ! Surtout de voir le sourire sur le visage radieux des belles femmes et des enfants - tout le contraire d'ici) culturelle qui se manifeste constamment et partout, le deuxième terme de la phrase précédente relève, lui, de la légende. Oui, il en faut beaucoup pour pousser un Népalais à s'énerver et tout casser, mais une fois que le bonbon a été poussé trop loin, oh oh... Mieux vaut se barrer, car le sang népalais, qui met certes beaucoup de temps à bouillir, peut atteindre un degré correspondant à l'altitude de l'Everest, c'est-à-dire 8.848m. Et il ne faut jamais oublier que c'est le pays des Sherpas et des Gurkhas, ethnie et entité militaire qui à elles seules symbolisent à merveille la formidable force des habitants de ce petit pays coincé entre deux géants, l'Inde et la Chine.

En 48 heures, le mouvement «Gen Z» (qui s'est appelé aussi «Nepokids») a paralysé le pays, a fait chuter le gouvernement et a incendié nombre de bâtiments (surtout gouvernementaux, mais aussi des résidences privées de hauts dignitaires) à Katmandou, Pokhara et dans d'autres villes- dont fait partie, malheureusement, le beau palais historique Singha Durbar (siège du parlement), une connerie monumentale, un crime impardonnable. Les émeutes ont fait 34 morts et causé d'énormes dégâts matériels. À l'origine du chaos révolutionnaire, le bannissement par le gouvernement népalais de plusieurs «réseaux-médias sociaux», car ceux-ci n'avaient pas cru bon respecter les directives et ne s'étaient pas fait enregistrées comme telles, et ce depuis des années. Le gouvernement a émis un ultimatum que Facebook, pour n'en citer qu'un, n'a pas respecté et, lundi, date de fin de l'ultimatum, le Népal a bloqué les «réseaux sociaux» qui se croyaient au-dessus de la loi. Le gouvernement népalais a donc agi de manière tout à fait légale et logique. Mais les Népalais ont éclipsé cet aspect légal et clament que le gouvernement a voulu imposé une loi qui allait lui permettre de museler les échanges sur les «réseaux-médias sociaux». La loi en question aurait certes permis au gouvernement d'intervenir plus fermement contre les dits médias, mais je soupçonne deux autres raisons qui ont poussé au soulèvement à caractère épique que nous voyons au Népal.

Il faut savoir que les «réseaux-médias sociaux» sont très prisés en Asie, encore plus qu'ici ; tant là-bas qu'ici, ils posent problème, tant ils monopolisent la vie des jeunes, et de beaucoup de moins jeunes, sans pour autant être utilisés uniquement comme outil d'échanges de vues politiques ou à de fins de bonne communication sinon impossible. Je veux même bien avancer une parité de 10/90 pour l'engagement sociopolitique d'une part, et le simple divertissement («Hihihi...») d'autre part. Qu'on ne vienne pas me dire que les meRdias sociaux servent surtout à des fins constructives... Quand je lis ou entends que les Népalais ont été privés d'outils absolument nécessaires à leur travail ou à la recherche d'un emploi, je ne peux que hausser les sourcils et penser que c'est là une vision bien réductrice et manipulative, voire même mensongère de la situation. Certes, les «réseaux-médias sociaux» font partie de notre quotidien, privé et professionnel, mais de là à les élever au rang d'oxygène nécessaire à la survie... En effet, pendant la supercherie la plus éclatante dans l'Histoire du monde, le théâtre «Covid19-Corona», la docilité des Népalais était manifeste, alors que les mesures étaient très coercitives et draconiennes dans le pays. Et pourtant, rien, pas de manifestations anti-mesures vilain coco. Il faut aussi surtout garder à l'esprit la géographie et la topographie du Népal pour comprendre l'importance que revêtent les systèmes de communication dits «réseaux-médias sociaux». Le Népal est un pays à la géographie et topographie difficiles, la grande majorité des Népalais vivent en-dehors des villes, dans des campagnes souvent très difficiles d'accès, dans des vallées qu'il faut des jours, souvent de marche, pour atteindre. Pays parmi les plus pauvres du monde, seule une minorité a par exemple à sa disposition une voiture lui permettant d'aller vite voir sa famille ou des amis à l'autre bout du pays, voire dans une vallée proche, mais difficile d'accès. Et les routes népalaises (qui font des milliers de morts chaque année) n'aident pas... C'est à pied ou en bus que la plupart des Népalais se déplacent dans le pays.

L'étincelle qui a fait exploser la poudrière, le bannissement de quelques «réseaux-médias sociaux», n'a en fait été qu'un catalyseur - mais de quoi, au juste ? Le dégoût et le rejet de la corruption est la raison principale pour laquelle la Gen Z s'est soulevée. Le Népal en souffre endémiquement et, même si elle a pris des proportions quasiment dignes de sport national et touche un peu tous les domaines, plus on monte dans la hiérarchie sociale et politique, plus elle fait rage - ou le bonheur des corrompus. Il est indéniable que les élites népalaises sont très friantes de «baksheesh», petit ou gros, et que bon nombre d'acteurs politiques, mais aussi d'innombrables fonctionnaires ou autres personnes carburent au «supplément au noir». Il existe d'ailleurs un adage que je cite ici de mémoire : «Paisa baanepachi Mahadev ko pani, tinta aanka» (l'orthographie est approximative) ou «Quand il s'agit d'argent, même le seigneur Shiva a trois yeux». Autant dire que «paisa», l'argent, ne fait pas tourner la tête des élites uniquement !

Alors que le pays, anciennement unique État (monarchie constitutionnelle) hindouiste au monde (le roi du Népal a été destitué en 2008 - pour plus de détails, se référer aussi au «massacre de la famille royale en 2001», en fait un coup d'État très certainement perpétré par l'Inde et les USA parce que le roi d'alors, Birendra, cherchait la rapprochement avec la Chine), a connu dans son histoire récente (1996-2006) une révolution maoïste sanglante qui a fait au moins une cinquantaine de milliers de morts, la promesse de changements radicaux dans la gouvernance du pays est restée lettre morte. J'ai encore des reçus pour «donation» (obligatoire) à la révolution maoïste que nous devions faire pour traverser certaines régions en 2005 et 2006. Ce sont même, voire surtout, les cadres des partis maoïstes (le premier ministre Oli, ou un géant politique comme Prachanda), qui ont intégré les gouvernements à la suite de la révolution qu'ils ont pratiquée, qui ont fait l'objet de l'ire des Népalais dans les récents évènements. Le soulèvement actuel est donc légitime et je partage tout à fait les vues des Népalais sur la nature de ceux qui les gouvernements. Il me faut néanmoins aborder certains aspects de ces émeutes qui collent moins avec le côté «romantique» du bon soulèvement populaire et qui renvoient à d'autres révolutions dites «de couleur», telles que nous les avons connues en Ukraine et en Géorgie, par exemple. Et il faut souligner que les évènements survenus au Népal font suite à ceux qu'ont connus d'autres pays du sub-continent indien récemment, le Bandaglesh, le Sri Lanka, ou encore l'Indonésie. Y aurait-il des forces étrangères et disruptives à l'œuvre en Asie (du sud-est) et si oui, dans quel but ?

Il semblerait en effet que beaucoup de casseurs ont sévi lors des 48 heures qu'a duré le soulèvement. Si ce n'est pas en soi un critère prouvant qu'influence étrangère il y a eu, des casseurs profitant toujours de telles situations pour foutre le bordel), le haut degré d'organisation de groupes agissant comme catalyseurs - je ne crois pas au récit selon lequel «par concertation spontanée GRÂCE AUX RÉSEAUX-MÉDIAS SOCIAUX, des dizaines, voire centaines de milliers de jeunes, se sont concertés et ont pu prendre le dessus sur les forces de l'ordre», les plus grands «réseaux-médias sociaux» (FB, Instagram,... étant justement «hs» et leur bannissement représentant LE grief principal initial des foules, avant que ne surgissent les revendications contre la corruption.

Pour la correction de mon propos, je dois mentionner que Tiktok était opérationnel, puisqu'il avait répondu à l'appel du gouvernement et s'était enregistré comme la loi népalaise le demandait. Les grandes bannières portées par plusieurs manifestants, les petites pancartes individuelles avec des slogans au goût du jour, on en voit aujourd'hui dans toutes les manifs et «révolutions de couleur», et nous savons tous que souvent, elles ont été savamment confectionnées à l'avance, par des groupes financés de l'extérieur (Namaste, George Soros et l'Open Society !).

Mais la présence de bannières et de pancartes ne peut suffire pour déterminer à coup sûr que des éléments exogènes et des forces étrangères mal intentionnées étaient à l'œuvre. Qui aurait donc éventuellement voulu causer l'instabilité dans cette zone de l'Himalaya et pourquoi ? D'aucuns ont rapidement pointé du doigt l'Inde comme élément perturbateur éventuel, parce que le gouvernement népalais actuel favoriserait plutôt son voisin du nord, la Chine, au détriment du grand frère ancetral au sud, l'Inde. Mais personnellement, je ne vois pas pourquoi le gouvernement de Modi voudrait mettre le feu à un pays qui n'a pas de véritable poids géopolitique au moment où son pays se rapproche d'une «Chine concurrante au Népal» dans un cadre bien plus vaste, à savoir la multipolarité, le combat des BRICS contre l'Hégémon atlantiste.

En 2014, dans la région du Mustang, de l'uranium a été découvert ; serait-ce cette découverte datant d'une dizaine d'années qui aurait poussé quelqu'acteur, les USA, par exemple, qui aimeraient mettre la main sur ce pactole, mais n'ont pas réussi jusqu'aujourd'hui, et pour autant que je sache, à forcer la main aux autorités népalaises, à foutre le bordel pour installer un gouvernement favorable à leurs ambitions ? Je ne sais pas.

Ce qui me chagrine par-dessus tout, outre la destruction d'un bâtiment que j'avais toujours beaucoup de plaisir à contempler, Singha Durbar, c'est le fait que ce sont les meRdias «sociaux» qui ont été à l'origine du soulèvement et ont été l'étincelle qui a mis le feu à la mèche. Certes, les «réseaux-médias sociaux» permettent de communiquer plus facilement dans un pays à la géographie et la topographie aussi difficiles que le Népal, mais aussi avec leurs compatriotes qui travaillent à l'étranger (au moins 4 millions, surtout dans le Golfe persique, en Malaysie et à Singapour), mais la quasi obsession des Népalais pour leur «smombiephone « (contraction de «zombie» et «smartphone»), comme pour une grande partie des terriens aujourd'hui, et des asiatiques en particulier, me chagrine toujours. Car je doute fort qu'ils l'utilisent uniquement à de bonnes fins communicationnelles. L'emprise de cette technologie «yin et yang», à deux faces, à la fois bonne et mauvaise, sur les jeunes est manifeste et très souvent lénifiante et abrutissante.

Mais il est tout aussi manifeste que cette fameuse mèche, qui a été allumée par le bannissement de certains «réseaux-médias sociaux», a de solides racines et s'enfonce profondément dans la société népalaise. Ses racines ont en effet pour nom : corruption et avantages népotiques légendaires. C'est indéniable. La léthargie sociale habituelle de la Gen Z a fait place ici à une révolution, déclenchée par un geste qui pourrait paraître anodin : on leur avait retiré leur jouet.

Le légendaire «Kay garné ?», une expression fataliste et de résignation que les Népalais utilisent au moins 10 fois par jour et qui signifie «Que faire ?», a fait place à un mouvement tellurique qui a mis moins de 48 heures pour voir le gouvernement chuter et une partie du Katmandou gouvernemental partir en fumée dans les flammes de la colère populaire.

Je vois un parallèle avec le conflit en Ukraine : il ne faut jamais pousser le bonbon trop loin... L'Ours russe a mis du temps, mais une fois réveillé, rien ni personne ne peut l'arrêter ; le peuple népalais a lui aussi mis le temps pour se soulever, mais une fois que les choses se sont mises en branle, il a mieux valu ne pas être du mauvais côté... Jaya Nepal, mero naya desh !

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