11/08/2025 francesoir.fr  7min #286961

La Dermatose Nodulaire Contagieuse (Dnc) en France : une crise sanitaire et économique sous tension

Le Collectif citoyen, France-Soir

La Dermatose Nodulaire Contagieuse (DNC) en France : une crise sanitaire et économique sous tension

Francescopitarresi Pixabay

Depuis l'été 2025, la France fait face à une nouvelle crise sanitaire dans ses élevages bovins : la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), une maladie virale qui touche les vaches. Apparue pour la première fois en Savoie le 29 juin 2025, elle s'est rapidement propagée, avec 71 foyers recensés dans 37 élevages au 9 août. Cette situation a entraîné des mesures drastiques, notamment l'abattage de 1 500 à 2 000 animaux sur les 170 000 bovins de la région, ainsi qu'une campagne de vaccination massive. Mais cette stratégie, décidée par les autorités françaises, soulève de nombreuses questions, tant sur le plan sanitaire qu'économique et éthique.

Qu'est-ce que la DNC ?

La DNC, ou « Lumpy Skin Disease » en anglais, est une maladie virale qui affecte uniquement les bovins (vaches, zébus, buffles) et parfois certains ruminants sauvages. Elle n'est pas transmissible à l'humain, ce qui est rassurant pour la santé publique. Causée par un virus de la famille des Poxviridae, elle se manifeste par de la fièvre, une perte de poids, une baisse de la production de lait, et surtout l'apparition de nodules douloureux sur la peau. Dans les cas graves, ces nodules peuvent entraîner des complications comme des infections secondaires, des pneumonies ou des avortements. Bien que le taux de mortalité soit faible (1 à 5 %, jusqu'à 40 % chez les jeunes), la maladie peut causer des pertes économiques importantes en raison de la baisse de production et des restrictions commerciales.

Le virus se transmet principalement par des insectes piqueurs, comme les mouches d'étables, les taons ou les moustiques, qui transportent le virus après avoir piqué un animal infecté. Il peut aussi se propager par le sperme, le lait ou les sécrétions nasales, mais la transmission par contact direct entre animaux serait plus rare. En France, la DNC serait arrivée depuis l'Italie ou le Maghreb, probablement via des insectes ou l'importation d'un bovin infecté.

Une réponse française controversée : l'abattage systématique

Face à cette épidémie, la France a opté pour une stratégie stricte : l'abattage total des troupeaux dès qu'un seul animal est testé positif, même s'il ne présente aucun symptôme. Cette mesure, validée par le ministère de l'Agriculture et des organismes comme l'ANSES, repose sur trois axes :

  1. Abattage total des troupeaux infectés.
  2. Zones réglementées avec surveillance renforcée et restrictions de mouvements.
  3. Vaccination obligatoire dans un rayon de 50 km autour des foyers. Depuis le 18 juillet, un tiers des 310 000 bovins de la zone réglementée en Savoie et Haute-Savoie ont été vaccinés. Cependant, l'abattage systématique, qui concerne environ 1 % du cheptel savoyard, suscite une vive polémique. En effet, les règlements européens (UE 2016, 2018, 2023) classent la DNC comme une maladie de catégorie A, exigeant une éradication rapide, mais ils n'imposent pas l'abattage total.

Des dérogations existent, permettant de vacciner en urgence ou d'épargner les animaux sains après une évaluation des risques. Pourtant, la France a choisi une approche radicale, contrairement à d'autres pays comme l'Italie, où seulement 18 % des animaux des troupeaux touchés en Sardaigne et en Lombardie ont été abattus.

Pourquoi un tel choix ?

La décision française s'explique principalement par des enjeux économiques. La France, leader européen en cheptel bovin avec 16,4 millions de têtes en 2025, dépend fortement de l'exportation de bovins vivants et de produits transformés (viande, lait, cuirs) vers l'Italie, la Turquie ou l'Asie. Une zone déclarée infectée perd son statut "indemne", ce qui entraîne des restrictions commerciales pendant 2 à 3 ans. L'abattage total vise à éradiquer rapidement la maladie pour préserver ces marchés. Cependant, cette stratégie a un coût humain et économique pour les éleveurs : perte de troupeaux, parfois fruit de décennies de sélection génétique, et un choc psychologique nécessitant un soutien spécifique.

La vaccination : une solution imparfaite

La vaccination, réalisée avec la souche Neethling (un vaccin vivant atténué), est efficace pour limiter la propagation, comme prouvé dans les Balkans. Mais elle présente des limites :

  • L'immunité met 21 jours à se développer, ce qui est trop long en pleine épidémie.
  • Des effets secondaires (fièvre, nodules temporaires, avortements rares) sont possibles.
  • La vaccination d'animaux déjà infectés peut aggraver la maladie et favoriser l'apparition de virus recombinants, plus difficiles à détecter.

De plus, aucun vaccin n'a d'autorisation de mise sur le marché (AMM) en Europe, ce qui soulève des questions sur leur innocuité. Certains éleveurs regrettent que la vaccination ne soit pas généralisée, notamment en Corse, proche de la Sardaigne touchée par la DNC.

Des traitements prometteurs mais ignorés

Fait surprenant, des traitements existent et ont montré des résultats encourageants dans d'autres pays. Par exemple, l'ivermectine combinée à des antibiotiques a permis une guérison en 14 jours, et une combinaison de gentamicine, méloxicam et antihistaminiques a soigné des veaux en 21 jours. Pourtant, en France, aucun traitement n'est officiellement autorisé, rappelant les controverses autour de la gestion de la Covid-19.

La Confédération paysanne et la Coordination rurale dénoncent cette interdiction et demandent pourquoi ces options ne sont pas testées en parallèle de l'abattage.

Une gestion critiquée

De nombreux experts et éleveurs critiquent l'approche française. En Hongrie, en 2016-2017, aucun abattage n'a été pratiqué, car la maladie était jugée peu létale, les porteurs sains rares, et l'opinion publique défavorable. En Israël, l'abattage est limité aux cas où le bien-être animal est en jeu. Même l'Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) privilégie la vaccination, la biosécurité et le contrôle des mouvements, sans insister sur l'abattage.

Les éleveurs français, soutenus par la Confédération paysanne et la Coordination rurale, se mobilisent. Des blocages d'exploitations, comme à Rumilly ou Entrelacs, et des manifestations, comme celle devant la préfecture de Chambéry le 24 juillet 2025, expriment leur refus de voir leurs troupeaux sains abattus. Ils dénoncent une mesure « disproportionnée, inefficace et inhumaine », qui menace leur patrimoine et leur survie économique. De plus, le transport des carcasses vers d'autres régions, comme le Cantal, fait craindre une propagation involontaire du virus, bien que les autorités minimisent ce risque.

Et maintenant ?

La DNC met en lumière les tensions entre impératifs économiques, bien-être animal et santé publique. Si l'abattage total peut limiter la propagation à court terme, il ne garantit pas l'éradication, comme l'ont montré la Turquie et Israël, où la maladie est revenue malgré des abattages massifs. La vaccination, bien que nécessaire, n'est pas une solution miracle et pourrait favoriser l'apparition de souches virales plus complexes. Enfin, l'absence de traitements autorisés interroge sur la volonté d'explorer toutes les options pour sauver les animaux.

Face à cette crise, les éleveurs appellent à une approche plus équilibrée : vaccination ciblée, surveillance renforcée, et tests de traitements pour éviter les abattages inutiles. Comme le disait Gandhi, « on peut juger la grandeur et la valeur morale d'une nation à la façon dont elle traite ses animaux ». La France, leader de l'élevage bovin en Europe, est à un tournant : saura-t-elle concilier ses ambitions économiques avec une gestion plus humaine et durable de cette crise ?

Pour en savoir plus : sur le suivi de l'épidémie :  idele.fr gtvbfc.com, les données sur le cheptel  agreste.agriculture.gouv.fr et le point sur la dermatose nodulaire des vaches en France en 2025 : la maladie, l'abattage, la vaccination : Helene Banoun -Jean-François Lesgards
 researchgate.net

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