03/08/2025 reseauinternational.net  27min #286195

Jef Costello, «Vous ne réalisez pas à quel point vous êtes « libéral »

Une recension du livre d'Alain de Benoist, «Contre le Libéralisme. La Société n'est pas un marché»

Recension par Jef Costello de la traduction anglaise du livre d'Alain de Benoist, Contre le Libéralisme. La Société n'est pas un marché (Against Liberalism : Society Is Not a Market, trad. Roger Devlin, Middle Europe Books).

[NdT : traduction DeepL revue. Toutes les citations du livre d'Alain de Benoist sont reprises de l'édition française originale.]

En décembre dernier, une fracture s'est ouverte au sein de la coalition MAGA [NdT : Make America Great Again, slogan trumpiste] au sujet de l'immigration légale. Elon Musk, un Sud-Africain blanc devenu citoyen américain, a écrit sur X : «Si vous voulez que votre ÉQUIPE remporte le championnat, vous devez recruter les meilleurs talents, où qu'ils soient. Cela permet à toute l'ÉQUIPE de gagner». Vivek Ramaswamy, citoyen américain de première génération dont les parents sont nés en Inde, abondait dans le même sens que Musk et a défendu les entreprises qui recrutent hors des États-Unis.

Ramaswamy est même allé jusqu'à suggérer que les travailleurs américains ne méritaient pas d'être embauchés : «Une culture qui célèbre la reine du bal au détriment du champion des olympiades de mathématiques, ou le sportif au détriment du major de promotion, ne produira pas les meilleurs ingénieurs».

La victoire de MAGA en novembre commençait à ressembler à la revanche des nerds. Mais la réaction fut rapide et décisive. Laura Loomer, Ann Coulter et même Nikki Haley, entre autres, attaquèrent les deux «tech bros», insistant sur le fait que les États-Unis devaient donner la priorité à l'embauche de leurs propres salariés. Après tout, que signifie «America First» si cela ne signifie pas «donner la priorité aux Américains» ?

De manière générale, les républicains MAGA se sont sentis trahis. En réaction, Musk a abandonné le sujet de l'immigration légale, tandis que Ramaswamy a été discrètement écarté du cercle restreint de Trump, ce qui a peut-être ruiné son avenir politique.

Alain de Benoist considèrerait les opinions de ces deux hommes comme des expressions classiques du libéralisme moderne, même si tous deux seraient probablement très surpris de l'apprendre. En Europe, le terme «libéralisme» désigne généralement le «libéralisme classique», qui a donné naissance au libéralisme de centre-droit et au libéralisme de centre-gauche, parfois appelé «libéralisme social». Aux États-Unis, en dehors du monde universitaire, le terme «libéralisme» désigne désormais exclusivement le libéralisme social, et «libéral» désigne les gauchistes modérés ou les démocrates.

L'ouvrage d'Alain de Benoist, Contre le libéralisme, s'oppose indéniablement au gauchisme, mais le libéralisme auquel il fait référence relève d'une catégorie plus large qui inclut non seulement la philosophie de la gauche, mais aussi les opinions de soi-disant «conservateurs» comme M Musk et Ramaswamy. En effet, la quasi-totalité des politiciens, experts et électeurs se réclamant du Parti républicain, ainsi que leurs homologues britanniques, seraient considérés comme des libéraux par de Benoist.

En identifiant simplement ce fait, nous pouvons anticiper l'un des thèmes principaux du livre : pour de Benoist, le véritable problème de la civilisation moderne est le libéralisme, qu'il soit de gauche ou de droite. Les «libéraux» et les «conservateurs» que nous considérons comme des pôles opposés partagent en réalité certains de leurs principes les plus fondamentaux.

En effet, nombreux sont ceux, même au sein de la Nouvelle Droite, qui adhèrent aux principes libéraux classiques, inconscients du fait que ceux-ci ont rendu possibles nombre des maux qu'ils dénoncent : le multiculturalisme, la dépendance à l'aide sociale, l'atomisation de la société, l'effondrement de la famille, etc.

De Benoist décrit une société libérale comme une société «dominée par la primauté de l'individu, l'idéologie du progrès, l'idéologie des droits de l'homme, l'obsession de la croissance, l'importance disproportionnée accordée aux valeurs mercantiles, la soumission de l'imagination symbolique aux axiomes de l'intérêt personnel, etc».

Le libre marché est au cœur du libéralisme. Les libéraux ont tendance à croire que l'individualisme et l'idéologie des «droits de l'homme» constituent le fondement de l'économie de marché. de Benoist inverse cette idée, insistant sur le fait que les nobles idéaux du libéralisme reposent sur le marché.

Il veut dire que le marché jouit d'une certaine primauté dans le monde moderne : il a façonné nos conceptions fondamentales de la nature humaine, des relations sociales et de notre relation au monde naturel. de Benoist écrit que «Le libéralisme est d'une part une doctrine économique, qui tend à faire du modèle du marché autorégulateur le paradigme de tous les faits sociaux : ce qu'on appelle le libéralisme politique n'est qu'une manière d'appliquer à la vie politique des principes déduits de cette doctrine économique, laquelle tend précisément à limiter le plus possible la part du politique».

Dans une société libérale, les relations sociales sont fondées sur le modèle du marché. Lorsqu'une personne est en manque de partenaire et recherche des rendez-vous, elle est «sur le marché». Les mariages sont comparables à des fusions d'entreprises, dont chacune des parties peut se retirer à tout moment si la fusion s'avère non rentable.

On cultive les vertus non pas parce qu'elles sont bonnes en soi, mais parce qu'elles constituent une bonne publicité. Si, par exemple, une entreprise est réputée pour son action philanthropique ou sa «sensibilité environnementale», on considère que c'est une bonne chose, car c'est bénéfique pour les affaires. L'honnêteté est pratiquée non pas par devoir, mais parce que c'est «la meilleure politique».

La réputation d'un homme est désormais appelée sa «marque» (brand). L'éducation est considérée comme une marchandise et est désormais évaluée en fonction de sa capacité à ouvrir la voie à une carrière lucrative. Les disciplines universitaires sont censées produire des «résultats», évalués quantitativement et soumis à une analyse coûts-avantages.

La religion, ou, comme on l'appelle aujourd'hui, la «spiritualité», est aussi une marchandise. Les sectes rivalisent pour attirer des adeptes en promettant le salut pour le moindre effort. Et beaucoup prêchent une version de «l'évangile de la prospérité» : ayez la foi et priez, et vous deviendrez riche ; faites un don à une œuvre caritative ou à votre église, non pas parce que c'est une bonne chose, mais parce que Dieu vous récompensera par l'abondance terrestre.

Les pays sont des zones économiques. Les nations sont, comme Musk et Ramaswamy nous l'ont montré, comme des équipes commerciales ou sportives. Leurs membres peuvent être remplacés par des étrangers d'autres zones économiques, sans que cela n'ait d'impact sur la nation.

C'est là, bien entendu, le fondement du multiculturalisme. de Benoist écrit :

«Un million d'extra-Européens venant s'installer en Europe, c'est donc seulement un million d'individus venant s'ajouter à d'autres millions d'individus. Le pays d'accueil, lui-même considéré comme un simple agrégat d'individus, accueille un certain nombre d'agents économiques supplémentaires. On raisonne ainsi comme si les hommes étaient interchangeables - ce qu'ils sont effectivement si l'on ne tient compte que de la dimension économique et comptable des choses...»

Comme l'a déclaré l'économiste français «très libéral» Bertrand Lemennicier, «la France n'est qu'un agrégat d'êtres humains».

Dans la société libérale, les valeurs marchandes s'insinuent dans tous les domaines de la vie, au point que les valeurs non marchandes sont oubliées, voire éliminées. Les biens sont appréciés uniquement pour leur utilité ou leur valeur d'échange. L'idée qu'il puisse exister des choses bonnes en elles-mêmes (par opposition à des choses bonnes pour autre chose) est désormais inconcevable pour beaucoup.

La critique de l'individualisme

En plus de faire du marché autorégulateur le modèle de tous les faits sociaux, de Benoist affirme que le libéralisme promeut «une anthropologie de type individualiste, c'est-à-dire une conception de l'homme comme n'étant pas fondamentalement social». En fait, l'individualisme est le fondement métaphysique du modèle du marché.

Les Américains ont généralement une vision idyllique de l'«individualisme», un mot qu'ils prononcent souvent avec révérence. Pour eux, il évoque l'autonomie et l'indépendance d'esprit. Ce sont des valeurs positives, mais pour de Benoist, l'individualisme signifie bien plus. Il le qualifie d'«anthropologie» : il s'agit en réalité d'une théorie de la nature humaine.

L'individualisme est la théorie selon laquelle les humains sont, en réalité, des atomes sociaux. Ces atomes entrent en relation avec autrui (emploi, amitié, mariage, etc.), mais ils ne se définissent pas par ces relations. Ils sont plutôt définis par leurs préférences, qui préexistent à toute relation. Les atomes peuvent sortir de relations et en nouer de nouvelles sans que leur nature ne subisse de changement fondamental.

De même, des agrégats d'êtres humains atomiques (équipes sportives, entreprises, villes, nations, etc.) peuvent continuer d'exister sans être affectés, même si les atomes qui les constituent sont remplacés par des atomes entièrement différents. C'est la métaphysique qui sous-tend la défense de l'immigration légale défendue par Musk et Ramaswamy. Si les Américains actuels ne sont pas assez bons, nous les échangerons contre de nouveaux «Américains» et l'Amérique restera inchangée.

La métaphysique de l'individualisme est effectivement épicurienne. Épicure et son disciple romain Lucrèce soutenaient que tout ce qui existe, ce sont les atomes et le vide. Les atomes peuvent être combinés de diverses manières, mais ces combinaisons n'entraînent aucun changement dans les atomes eux-mêmes, qui sont également identiques et donc interchangeables.

On sent quelque chose du souffle froid du vide épicurien dans l'inhumanité pure et simple de l'idée d'importer un nouveau peuple pour remplacer le sien ; dans l'absence totale d'empathie pour ses compatriotes, considérés comme des pièces de machine remplaçables.

On retrouve la même inhumanité, et la même métaphysique, dans l'idée que les mineurs de charbon au chômage «apprennent à coder» - comme si tout le monde pouvait tout faire. On pourrait attribuer une telle position à notre égalitarisme absolu, qui nous dit que chacun peut devenir ce qu'il veut, pourvu qu'il s'y investisse. Mais cet égalitarisme est lui-même une expression de notre individualisme atomique : les atomes sont identiques, donc tous «égaux» et interchangeables. Chaque mineur de charbon peut être un codeur informatique et chaque codeur informatique un mineur de charbon.

Modernité

On voit aisément qu'en décrivant la société libérale et ses présupposés fondamentaux, nous décrivons en même temps la modernité. L'essor du libéralisme et l'essor de la modernité sont une même histoire, décrite de deux manières différentes. On pourrait aussi décrire cette même histoire comme l'essor de l'individualisme. La modernité est un phénomène occidental caractérisé par l'essor du libéralisme et tout ce que cela implique, y compris le capitalisme et l'individualisme.

«Moderne» vient du latin modernus, dérivé de modo, qui signifie «récemment» ou «tout à l'heure». Autrement dit, l'ère moderne est «ce qui est nouveau». Le mot allemand pour «modernité» est die Neuzeit, qui signifie littéralement «le nouvel âge» ou «le temps nouveau». Dans le temps nouveau, le temps lui-même est nouveau et amélioré : il évolue en ligne droite, tendu entre l'obscurité et la lumière du «progrès». La modernité se définit comme l'ère de la rupture avec le passé.

Cette conception que la modernité a d'elle-même est largement correcte. La modernité n'est possible que grâce à l'émergence de nouvelles formes de relations sociales, en rupture radicale avec les anciennes. Dans les mondes antique et médiéval, les individus tiraient leur identité principalement de leur appartenance à des groupes tels que la famille, le clan, la ville, la guilde et l'Église. L'essor de la modernité est le résultat direct de la dissolution progressive (et parfois plus lente) de ces liens.

La vision antique et médiévale considérait que ces liens étaient antérieurs à l'individu (et donc plus fondamentaux) car ils le constituaient. La vision individualiste moderne considère l'individu comme antérieur aux liens sociaux. Ce qui le constitue avant tout lui appartient entièrement et n'est pas fonction de son appartenance à un groupe : son autonomie, sa liberté de choisir et de poursuivre ses préférences personnelles. Il peut ainsi se défaire de toute relation sociale et demeurer exactement ce qu'il est.

Il en résulte inévitablement que le libéralisme moderne tend à considérer tous les liens sociaux non choisis - tels que la parenté, la communauté de naissance et la religion des parents - comme des restrictions intolérables à la liberté individuelle. La modernité peut ainsi être comprise, à un certain niveau, comme le processus par lequel les individus se défont de tous les liens sociaux dont les hommes, dans la société traditionnelle, tiraient leur identité et donnaient un sens à leur vie.

Ce n'est donc pas un hasard si les idéologies et les tendances modernes semblent toujours avoir pour effet d'affaiblir la famille, de rompre les liens avec la communauté et la terre, et de saper les croyances religieuses. Ce n'est pas non plus un hasard si l'homme moderne souffre profondément du sentiment de ne pas savoir qui il est et de n'avoir aucun but réel dans la vie.

La réponse moderne à ce problème est la réponse épicurienne : rechercher le plaisir, même sous la forme dégénérée de la cupidité ou de l'avidité. Pour beaucoup de modernes, leur identité ne se construit pas à travers des liens organiques, mais à travers ce qu'ils achètent et possèdent.

Les origines chrétiennes du libéralisme

La manière dont cette révolution des relations sociales s'est produite est une question complexe, et on ne peut en imputer la responsabilité à un seul facteur. Cette histoire n'est pas le sujet central de Contre le libéralisme, mais de Benoist l'aborde néanmoins. Il impute une grande part de responsabilité au christianisme.

S'il a raison, il s'agit sans doute de l'une des plus grandes ironies de l'histoire : le christianisme a rendu possibles des conditions sociales qui ont entraîné un déclin brutal non seulement de la religiosité, mais aussi de la solidarité, de l'empathie et de la charité. de Benoist rattache l'individualisme moderne à l'enseignement chrétien sur la nature de l'homme et sa relation à Dieu.

Le christianisme soutient que l'homme est un individu dont la relation la plus fondamentale n'est pas avec la famille, la communauté ou la nation, mais avec un être qui transcende entièrement le monde. C'est grâce à cette relation qu'il peut être sauvé. En effet, tous les hommes ont le potentiel d'être sauvés car tous entretiennent fondamentalement la même relation avec Dieu : tous sont égaux devant Dieu. de Benoist n'est pas le premier à affirmer que nous voyons dans cette doctrine la forme germinale de l'universalisme et de l'égalitarisme modernes.

Puisque les hommes sont tous également fils de Dieu, ils appartiennent à la même famille. Cette famille des fidèles prime sur toute autre parenté, y compris raciale ou nationale. de Benoist cite saint Paul : «Il n'y a ni juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus» (Ga 3,28).

Tout comme dans l'individualisme libéral moderne, pour le christianisme, l'individu est ce qu'il est avant et indépendamment de la famille, de la nation, de la race et du rôle social. Ceux-ci sont inessentiels. L'individu n'est même pas fondamentalement homme ou femme, comme le souligne clairement l'Apôtre. Seule sa relation à Dieu est essentielle ; tout le reste de ce que l'on peut dire de lui est accidentel.

Nous voyons ici les germes de l'affirmation individualiste moderne selon laquelle on peut renoncer à toute relation et identité, même à «l'identité de genre». Nous voyons également les germes du multiculturalisme qui, malgré une rhétorique abondante sur la «diversité», rejoint en réalité l'épître aux Galates selon laquelle tous les hommes ne font qu'un et peuvent donc être rassemblés dans n'importe quelle combinaison.

L'Église catholique a agi comme un rempart contre cet individualisme en insistant sur le fait que l'homme ne pouvait parvenir au salut qu'au sein de la communauté de l'Église et seulement grâce à la direction d'un intermédiaire sacerdotal entre l'homme et Dieu.

Le protestantisme, cependant, a franchi une étape radicale vers l'individualisme moderne en insistant sur le fait que les hommes ne pouvaient être sauvés que par une relation directe et personnelle avec Dieu. Le salut dépendait de l'état d'âme de l'individu, et non de l'appartenance à un groupe, même à l'Église. de Benoist cite l'historien et philosophe français Marcel Gauchet (Le Désenchantement du monde, 1985) qui affirme qu'avec le protestantisme, «l'intériorité de départ [du christianisme] devient-elle carrément individualité religieuse».

En affirmant que seule la relation de l'homme à Dieu avait une valeur ultime, le christianisme a inévitablement diminué la valeur du monde et des choses terrestres. Comme le souligne de Benoist, pour que le libéralisme et l'individualisme modernes puissent émerger, il a fallu éradiquer le dualisme entre ce monde et l'au-delà. L'éthique protestante du travail y a largement contribué, en insistant sur l'assiduité au travail dans ce monde.

La position calviniste selon laquelle la richesse est un signe de la faveur divine achevait pratiquement le processus. Il était difficile, à ce stade, de ne pas conclure que l'activité mondaine était la valeur ultime et que le bon travailleur ou le bon homme d'affaires était un bon chrétien.

Progressivement, le sentiment que les hommes avaient une vocation transcendant ce monde s'est perdu, et avec lui une grande partie de l'emprise du christianisme protestant sur les cœurs et les esprits. Les statistiques sur la fréquentation des églises en Europe montrent un déclin constant d'année en année depuis les premiers relevés au XVIIIe siècle.

Le christianisme a bien sûr continué d'exister, mais avec une théologie fortement atténuée. Comme indiqué précédemment, c'est désormais l'«évangile de la prospérité» qui attire les fidèles (surtout dans les «méga-églises»), ce qui équivaut à une version édulcorée de l'enseignement calviniste selon lequel la réussite financière est un signe de faveur divine.

Il ne restait plus alors aux classes urbaines instruites qu'à rejeter complètement la relation de l'individu à Dieu. Il en résultait une sécularisation de l'individualisme religieux chrétien : l'individu est ce qu'il est avant et indépendamment de sa famille, de sa nation, de sa race et de son rôle social, et n'est pas fondamentalement défini par ceux-ci. Mais, sa relation à Dieu étant rejetée, l'individu n'est plus qu'un atome social, pourtant censé posséder, d'une certaine manière, une valeur et une dignité intrinsèques. Et cette valeur est exactement la même pour tous les individus. Autrement dit, tous les hommes sont égaux.

Les droits de l'homme

Pour le libéralisme, la valeur intrinsèque de l'individu est liée à sa capacité à revendiquer divers «droits», un concept crucial que nous n'avons pas encore évoqué. La «liberté» prétendument défendue par le libéralisme repose sur l'idée que les individus possèdent instinctivement certains droits fondamentaux. Les individus sont «libres» lorsque ces droits sont respectés.

Le libéralisme conçoit généralement la liberté comme l'absence de contrainte ou de domination, mais de Benoist souligne que, fondamentalement, le libéralisme s'oppose à toute forme de détermination qui limiterait de quelque manière que ce soit l'individu : «pour le libéralisme, écrit de Benoist, l'homme, loin d'être constitué comme tel par ses liens avec les autres, doit être pensé comme individu délié de toute appartenance constitutive, c'est-à-dire en dehors de tout contexte culturel ou social-historique».

De telles formes d'appartenance sont considérées avec suspicion par le libéralisme, car elles rendent l'individu moins libre dans ses choix, surtout lorsqu'ils ne sont pas volontaires. Cela signifie que, de fait, le libéralisme s'oppose à l'histoire, à la tradition et à la nature. Il devient un déni de tout ce qui transcende l'individu atomique et son autonomie personnelle.

De Benoist écrit que «l'idéal d'«autonomie» (...) implique le rejet de toute racine, mais aussi de tout lien social hérité». Libérer ou émanciper les individus signifiait rompre les liens de la communauté et les libérer des circonstances dans lesquelles ils étaient nés. Soit «une dévalorisation radicale du passé au nom d'une vision optimiste d'un futur censé représenter une rupture radicale avec ce qui l'a précédé (idéologie du progrès)».

La capacité du sujet humain à se détacher, ne serait-ce que dans son imagination, de tout lien et de tout contexte historique est considérée, en outre, comme ce qui le rend véritablement humain. Cette position se radicalise dans la philosophie allemande avec la découverte de la «subjectivité transcendantale», capable de se libérer de tout attachement et conçue comme littéralement «contre nature», car elle défie toute analyse naturaliste. Alors que pour les anciens, l'idéal consistait à se conformer à l'ordre naturel, pour les modernes, il consiste à s'en libérer.

L'épanouissement personnel est ainsi compris comme un processus de libération de toute connexion ou attachement non choisi. D'où l'attitude libérale selon laquelle se séparer de sa famille et de sa ville natale est en quelque sorte positif, signe d'émancipation et de maturité. La vie citadine est exaltée et la vie rurale dénigrée, car s'installer en ville promet, pour la plupart, la libération de la famille et des autres relations non choisies, du passé («un nouveau départ») et de l'esprit de clocher.

On le constate aujourd'hui dans l'attitude libérale urbaine qui considère que ceux qui restent là où ils ont grandi, qui restent attachés à leur famille et qui vivent près de la terre sont des imbéciles arriérés et à faible QI. Cependant, lorsque les progressistes constatent ces mêmes traits chez les non-Blancs des pays sous-développés, ils sont frappés d'admiration et ressentent une vague nostalgie pour un passé pré-libéral.

Les individus modernes possèdent des droits intrinsèques. Lorsque Jefferson affirmait que nous sommes «dotés par notre Créateur» de droits inaliénables, il voulait dire que nous naissons avec ces droits. Les droits ne sont pas «conférés» aux hommes par l'État. Comme le souligne de Benoist, cela signifie que l'individu lui-même est la source de ses droits.

Le libéralisme aboutit à la théorie des droits naturels grâce à une expérience de pensée qui nous oblige à imaginer des individus dans un hypothétique «état de nature», avant de s'unir à d'autres pour former le «contrat social». Dans une telle situation, selon Locke et d'autres, les individus auraient un droit naturel à la vie, à la liberté et à la recherche de la satisfaction personnelle, car dans l'état de nature, nous vivons librement et faisons ce que nous voulons.

Bien sûr, l'idée même d'un état de nature - une époque préhistorique où les êtres humains n'entretenaient aucune relation sociale - est non seulement invraisemblable, mais inconcevable. Les êtres humains ont toujours vécu en groupes, tout comme les singes dont ils sont issus. Néanmoins, cette idée singulière constitue le fondement philosophique de la théorie des droits libéraux.

On ne saurait trop insister sur cette caractéristique du libéralisme moderne, car il est essentiel que le libéralisme classique parvienne à sa conception de la nature humaine en abstrayant l'homme de la société. Une fois de plus, l'approche moderne est l'inversion complète de l'ancienne. Aristote définissait l'homme comme un animal politique (c'est-à-dire social), ainsi que comme un animal rationnel. Les individus tiraient leur identité de leurs relations aux autres, au sein d'un contexte culturel précis dans lequel ils étaient nés.

Les modernes, au contraire, tentent de comprendre l'individu humain en le soustrayant artificiellement à toute relation avec autrui. Mais, si nous procédons ainsi, que reste-t-il ? Pratiquement toutes nos caractéristiques humaines uniques sont ancrées socialement, comme le langage, la moralité et la capacité d'expression artistique.

Lorsque l'on soustrait l'homme à toute relation sociale, il ne reste que ce qu'il partage avec les animaux : l'appétit. Ainsi, la société libérale moderne conçoit l'homme comme un être exclusivement appétitif, et les individus sont incités à se comporter de diverses manières en faisant appel à leur nature appétitive. De plus, c'est la promesse de satisfaire ses appétits qui est offerte en compensation de la pénibilité du monde du travail moderne, de la perte des liens familiaux, de la perte de la religion, de l'aliénation de la vie urbaine, et bien d'autres choses encore.

Il est significatif que le libéralisme n'ait aucune conception des devoirs naturels pour compléter sa théorie des droits naturels. La raison en est, encore une fois, qu'il considère les relations sociales comme contre nature. Il découvre la nature humaine en extrayant les individus de la société et en les considérant dans l'état de nature. Puisque, par définition, il n'y a pas de relations sociales dans l'état de nature, il ne peut y avoir de «devoirs naturels».

Mais si nous nous définissons entièrement en fonction de nos droits individuels, il s'ensuit que nous ne devons rien à la société. Nous pouvons participer à la vie sociale si nous le souhaitons, mais rien ne nous y oblige. Pour le libéralisme, la «liberté» signifie fondamentalement se libérer de tout ce qui n'est pas choisi, en particulier les relations sociales non choisies. Cette idée s'est radicalisée au fil du temps, si bien qu'on nous dit désormais que nous sommes libres même de notre sexe biologique et que nous pouvons choisir une «identité de genre» différente ou en créer une de toutes pièces.

Cette position crée de graves problèmes pour l'État libéral. Les fondements du libéralisme excluent toute notion d'obligation envers la communauté, et donc toute exigence de sacrifice individuel pour l'ensemble. Ainsi, si une société libérale est menacée d'attaque ou d'invasion, l'État ne pourra pas compter sur des citoyens prêts à risquer leur vie pour la défendre.

Ce problème a été considérablement exacerbé par l'attachement du libéralisme, évoqué précédemment, à l'interchangeabilité humaine. Peut-on sérieusement imaginer que les populations multiculturelles de France et d'Allemagne se battraient pour «leur» pays, alors que ces pays ne sont pas les leurs ? Très probablement, elles fuiraient vers le prochain pays sûr.

«Les libéraux, écrit de Benoist, ont beau insister sur le fait que la contrepartie de la liberté est la responsabilité, on voit bien en fait qu'en matière éthique ils ne peuvent, sans contrevenir à leurs principes, développer la moindre conception du bien». Le libéralisme ne peut pas avancer une conception du «bien commun» parce qu'il conçoit la société comme une agglomérat d'individus dont chacun poursuit ses propres biens volontairement choisis.

Exiger des individus qu'ils reconnaissent un «bien commun» au-delà de leurs propres fins personnelles et, si nécessaire, qu'ils se sacrifient pour le préserver est un anathème pour le libéralisme. Adam Smith nous assure qu'une «main invisible» harmonisera ces multiples fins. Il en résulte cependant non pas une conception du bien commun, mais simplement celle d'un «intérêt général défini comme la seule addition des intérêts particuliers».

Le lecteur pourrait objecter qu'en Occident, on trouve encore de nombreux exemples d'individus se comportant avec civisme, et parfois même consentant de grands sacrifices pour autrui. C'est vrai, mais de Benoist souligne que le libéralisme ne peut ni cautionner ni imposer un tel comportement.

En réalité, ces comportements sont des survivances de la société pré-libérale. De plus, le lecteur a probablement remarqué qu'ils sont de plus en plus rares. La confiance et la générosité dont mes grands-parents ont fait preuve envers autrui pendant la Grande Dépression seraient tout à fait inhabituelles aujourd'hui. Ces comportements font partie des victimes du libéralisme et de la société multiraciale et multiculturelle, qui affaiblit considérablement la confiance sociale, même entre membres d'un même groupe. Les termes «bien commun» et «sacrifice de soi» sont quasiment absents du discours public actuel.

Les étranges contradictions des «libéraux» et des «conservateurs»

Comme indiqué précédemment, les «libéraux» et les «conservateurs» d'aujourd'hui partagent un engagement commun en faveur du libéralisme, au sens où l'entend de Benoist. C'est particulièrement le cas de la gauche et de la droite dominantes aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Ce n'est qu'aux marges de ces deux courants que l'on trouve de véritables critiques du libéralisme, et ils sont totalement exclus par les partis politiques dominants.

La gauche dominante a cessé depuis de nombreuses années de critiquer le capitalisme et l'individualisme. L'«injustice» qu'elle prétend combattre aujourd'hui n'a rien à voir avec l'exploitation des travailleurs par les patrons. Elle consiste plutôt en diverses formes de «discrimination» - envers les noirs, les femmes, les homosexuels, les transgenres, etc..

La gauche est constamment à la recherche de nouveaux groupes à libérer, mais cette libération ne constitue en aucun cas une véritable menace pour le système. Généralement, la principale objection à ces formes de discrimination est qu'elles empêchent les opprimés de bénéficier pleinement de l'économie de marché.

De Benoist écrit que, «La priorité a alors été donnée à la dénonciation des inégalités «ontologiques» liées au sexisme, au racisme, au fanatisme religieux, etc., au détriment de toutes les inégalités concrètes qui sont le produit des politiques sociales d'inspiration libérale. L'égalité est désormais assimilée à la critique des «stéréotypes» et au «dépassement des tabous», tandis que l'exploitation économique est passée sous silence».

Les «conservateurs» d'aujourd'hui offrent peut-être un spectacle encore plus détestable. Philosophiquement, le véritable conservatisme s'oppose totalement au libéralisme - et donc au capitalisme et à l'individualisme. Les véritables conservateurs critiquent l'idéal libéral du «progrès» et l'idéologie des «droits de l'homme», qui fait de la volonté individuelle une souveraineté.

Les vrais conservateurs mettent l'accent sur la situation des individus par rapport à l'histoire, aux relations sociales et à leur patrie. Selon le conservatisme, c'est de cette situation que les individus tirent leur identité et leur sentiment d'appartenance. Or, comme nous l'avons vu, le libéralisme non seulement rejette ce type de relations, mais les sape activement.

De Benoist cite le philosophe Laurent Fourquet qui écrit : «Le militant qui lutte «pour la famille», mais prône avec enthousiasme l'«ultra-libéralisme», comme l'on dit, dès lors que l'on cause économie, n'est pas seulement inconséquent : il est inutile». de Benoist dénonce lui aussi ces «conservateurs» qui pensent pouvoir défendre à la fois le système de marché et les ««valeurs traditionnelles» que ce système ne cesse de laminer».

Les «conservateurs» qui fustigent l'«État-providence» sont particulièrement grotesques, ignorant qu'il est en réalité une création du libéralisme économique qu'ils défendent. Le libéralisme a progressivement détruit les liens familiaux et communautaires sur lesquels les individus pouvaient compter en cas de détresse. L'État-providence est en réalité une réponse à la montée de l'individualisme, qu'il aggrave encore en transformant ses bénéficiaires en dépendants atomisés, dénués de tout sens de la communauté et de la responsabilité sociale.

Karl Marx lui-même reconnaissait que, contrairement aux affirmations de ses contemporains, le capitalisme n'est ni «conservateur» ni «patriarcal». Selon de Benoist, pour Marx, il «constitue en réalité une force révolutionnaire permanente», étant donné que les forces du marché remplacent continuellement l'ancien et le familier par le nouveau et le différent.

Le conservatisme repose sur le sens des limites ; ce que Thomas Sowell a appelé sa «vision contrainte». Mais comme le souligne de Benoist, «comment professer le sens des limites quand on adhère à un système économique dont l'essence réside dans l'illimitation du marché et la suraccumulation du capital, c'est-à-dire à un système dont le déploiement planétaire entraîne la destruction de tout ce que l'on veut conserver ?»

Si nous cherchons une alternative au libéralisme des gauchistes modérés et des faux «conservateurs pro-marché», nous ne la trouverons pas dans la gauche radicale. de Benoist souligne que le marxisme partage des prémisses fondamentales avec le libéralisme. D'une part, il prône le mythe du progrès tout autant que les capitalistes.

Tout comme le capitalisme, la conception marxiste du bien humain est profondément matérialiste (d'où la célèbre affirmation de Heidegger selon laquelle capitalisme et communisme sont «métaphysiquement identiques»). Les marxistes ne cherchent pas à surmonter ce que de Benoist appelle la «religion de la production» ; ils cherchent simplement à changer la propriété des usines.

«Le marxisme «traditionnel», note de Benoist, voulait briser l'esclavage du salariat, mais ne remettait pas en cause le principe même du travail moderne. En d'autres termes, il voulait libérer le travail, mais non s'en libérer». Le matérialisme de Marx l'empêchait de considérer la bourgeoisie comme le véritable homo economicus. Sa société sans classes, observe de Benoist, est en réalité «une bourgeoisie pour tout le monde».

Aujourd'hui, la seule véritable alternative au libéralisme se trouve à l'extrême droite, sous la forme de critiques conservatrices du système de marché et de l'individualisme. Ces points de vue gagnent en popularité dans l'Occident anglophone, grâce à Internet et à l'essor des «nouveaux médias» de droite.

Sur le continent européen, bien sûr, une forme de «socialisme de droite» est depuis longtemps présente dans la vie politique, comme en témoignent les fascistes et les nationaux-socialistes, ainsi que tous ces militants de droite aujourd'hui diffamés par association avec eux. Ce n'est qu'aux États-Unis et en Grande-Bretagne que le socialisme a été perçu comme un phénomène exclusivement de gauche.

Que faut-il faire ?

On peut certes classer Alain de Benoist parmi les «socialistes de droite», mais l'alternative au libéralisme qu'il esquisse dans ce livre est plutôt tiède. Il défend un point de vue «communautaire», insistant, à juste titre, sur le caractère totalement intenable de la vision «présociale» de l'homme prônée par le libéralisme. de Benoist écrit : «Il ne fait pas de doute, pour les communautariens, que si l'homme moderne est aujourd'hui sans cesse à la recherche de lui-même, c'est précisément parce que son identité n'est plus constituée par rien». Il insiste sur le fait que la société doit non seulement fournir aux hommes des moyens d'existence, mais aussi des «raisons de vivre».

Pour combattre le libéralisme, de Benoist prône «un renouveau de la citoyenneté axé sur la participation et l'action collective à partir de la base». Il faut redonner la priorité au «commun» et à l'«être-en-relation».

Ce que de Benoist omet cependant de mentionner dans Contre le libéralisme, c'est qu'atteindre ces objectifs est impossible sans homogénéité ethnique et culturelle. Comment donner la priorité au «commun» alors que la France est aujourd'hui composée de tribus en guerre qui n'ont rien en commun ?

Comment les Français peuvent-ils parvenir à «être en relation» avec des membres de cultures étrangères qui ne partagent pas leurs valeurs et leur sont activement hostiles ?

Comment redonner du sens à la France quand ses citoyens ne parviennent plus à s'accorder sur une source de sens partagée ?

On pourrait fortement soupçonner que de Benoist concèderait ces points, mais dans le présent volume, il se montre prudent.

Malgré ces réserves, Contre le libéralisme est un ouvrage fascinant et infiniment stimulant, dont je n'ai fait qu'effleurer la surface. Ce livre sera particulièrement précieux pour les conservateurs américains, qui pourraient être surpris de découvrir qu'ils sont bien plus «libéraux» qu'ils ne l'imaginaient.

source :  Kosmotheos

 reseauinternational.net