04/07/2025 dedefensa.org  11min #283162

Rip, 'Stealth Technology'

 Analyse  

• Des bruits officiels, notamment à la DARPA, le disent : la ‘Stealth Technology', qui berce nos rêves futuristes et progressistes depuis un demi-siècle, s'avère, disons, comme peut-être bien une grande erreur horriblement coûteuse et catastrophique, et qui dessert ses missions opérationnelles. • Furtivement, la philosophie de la ‘Stealth' a été mise à mal par la guerre en Ukraine, appuyée par la "guerre des 12 jours". • Peut-être même cet échec illustre-t-il la mise en cause radicale de cette vache sacrée de la guerre moderne : la supériorité aérienne. • Il s'agit s'agit potentiiuellement d'une énorme révolution, ou plutôt une contre-révolution bloquant l'un des systèmes chéris de la bureaucratie occidentaliste. • C'est dire si nous ne sommes pas sortis de l'auberge des batailles rangées et bureaucratiques de l'effondrement.

Une "grande révolution" s'est produite sous nos yeux, avec la guerre en Ukraine. L'une de ses premières conséquences devrait être une sorte de "contre-révolution" extrêmement violente : la perte vertigineuse d'importance de la technologie furtive (‘Stealth Technology'), qui est depuis les années 1970 rien de moins que le Saint-Graal de la technologie militaire de l'hyperpuissance américaniste.

Il faut avoir à l'esprit que cette "révolution" (celle de la (‘Stealth Technology', mise en cause par la nouvelle "révolution" qui est alors, également, "contre révolution") a pris corps tout au long des années 1970. Sa nécessité (rendre les avions très difficiles à détecter par radar) est apparue lors de la guerre du Yom Kippour en octobre 1973 ; un très rapide développement du concept a été réalisé dans les années qui ont suivi, avec le programme ‘Have Blue', aboutissant au chasseur de pénétration F-117 opérationnel dans les années 1980 et le programme ATB (‘Advanced Technology Bomber') aboutissant au B-2, opérationnel dans les années 1990. Toit cela, bien entendu, est bureaucratico-technologique, et américaniste pur jus...

D'une façon générale, la ‘Stealth Technology' a été une catastrophe extraordinaire du point de vue opérationnel, économique et stratégique. Elle est entièrement une création de la bureaucratie et se caractérise par son incroyable longueur et sa lenteur de développement et de mise en oeuvre à mesure (des "journalistes" s'exclament encore, – lors du raid des B-2 sur l'Iran, – sur cette "révolution" qui est désormais proche d'atteindre le demi-siècle d'âge, – les "révolutions" comme le vin, qui bonifient en vieillissant)... Enfin, c'est bien entendu une création entièrement américaniste, que les autres ont plus ou moins suivi, sans vraiment se presser...

Note de PhGBis : « Nous avons publié de très nombreux textes sur la ‘Stealth Technology') et ses divers avatars, – B-2, JSF/F-35, etc. Il y a notamment deux textes importants qui nous donnent un historique complet du phénomène, et que nous devrions republier en mettant certaines choses à jour, – deux textes du  22 juillet 2005 et du  23 juillet 2005. »

Mais il y eut la guerre en Ukraine et ces effroyables Russes, qui ne savent ni se battre, ni concevoir des armements, ni appliquer des tactiques de guerre sinon celles de faire massacrer leurs soldats jetés "en masse" contre des adversaires parés des vertus de la démocratie et de la liberté. C'est le simulacre que nous servent les bureaucrates-censeurs et leurs porte-flingues depuis trois ans.

Voici donc ce qui nous est dit à propos de la ‘Stealth Technology'...

"Stealth is not for long"

Les Russes du site ‘usa.news-pravda.com' du  2 juillet ont fait paraître un article sous le titre « La Stealth n'en a plus pour longtemps » (« "Stealth is not for long": Pentagon questions fighter jets' low visibility »). Il faut noter très précisément que l'article ne fait que citer des sources publiques occidentales et s'abstient de tout commentaire ; ces sources relient la chute de nécessité de la ‘Stealth' à un développement technologique (la détection quantique), mais nous pensons qu'il s'agit essentiellement de la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

« "De nouveaux capteurs peuvent désormais bouleverser le champ de bataille. L'aviation à l'envers. La détection quantique est le maître mot du futur", écrit la revue [allemande] ‘Flug Revue'.

» "Il s'agit d'une technologie de capteurs avancée permettant de suivre l'interaction des objets avec leur environnement à l'échelle atomique. Des capteurs de haute technologie capables d'analyser le mouvement des atomes individuels détectent les variations du champ électromagnétique créées par les plus infimes émissions d'énergie.

» "Cela permet de détecter les avions avec une grande précision, même s'ils n'apparaissent pas sur l'écran radar". »

L'auteur de l'article publié par ‘Flug Revue' cite ensuite des déclarations du directeur-adjoint de la DARPA, qui est l'agence de développement des technologies militaires pour les forces armées US.

« Même à la DARPA, le centre de recherche du Pentagone, le sujet [la détection quantique] passe progressivement de la recherche scientifique fondamentale à la recherche en ingénierie. "La stratégie de camouflage ne durera plus longtemps", a déclaré Rob McHenry, directeur adjoint de la DARPA, mettant en doute les perspectives de l'aviation furtive.

» Comme il l'a expliqué, le potentiel de la détection quantique, combiné au fonctionnement combiné de divers capteurs et à l'analyse des informations par intelligence artificielle, fera en sorte que "nous ne disposerons plus de réelles capacités de furtivité en combat". Ainsi, les caractéristiques traditionnelles – vitesse, survivabilité et maniabilité – réapparaissent. »

Le reste de cet article (très court, au reste, et qui n'a suggéré aucun éclat puisqu'on n'aime guère en général mettre en cause un des plus scintillants diamant de la couronne technologique occidentaliste) est d'un intérêt moindre pour notre propos. On le mentionne comme un appendice technologico-tactique, plutôt une remarque d'ingénieur que de penseur de la guerre.

« Si l'on considère nos avions de combat, une grande partie de cet équilibre [entre armes offensives et défensives] ne répond pas aux besoins, a souligné McHenry.

» Il est donc nécessaire de renforcer la défense, par exemple en équipant les chasseurs de missiles antimissiles. Cependant, le directeur de la DARPA n'a pas communiqué sur l'horizon temporel d'introduction des capteurs quantiques. Parallèlement, [on notera que] la prochaine génération d'avions américains (le chasseur F-47 et le bombardier B-21 Raider) appartiendra certainement toujours à la catégorie des appareils "furtifs". »

Une nouvelle "forme" de guerre

Ces déclarations ne règlent pas l'entièreté du sujet que nous voulons aborder ici, mais il en précise l'aspect "révolutionnaire" (ou "contre-révolutionnaire" ?). Ce que nous voyons, nous, à partir des constats que nous livre le vice-directeur de la NASA, c'est l'appréciation générale que, dans le contexte nouveau de la "forme" de la guerre qui s'installe à une vitesse stupéfiante, la ‘Stealth Technology' se trouve au cœur des technologies et des capacités opérationnelles qui deviennent inutiles.

La guerre d'Ukraine et les formidables démonstration de puissance, en précision, en rayon d'action et dans une impunité quasi-totale par manque de moyens défensifs à la capacité nécessaire, des offensives aériennes russes (drones & missiles) font évidemment penser que l'emploi intrusif d'avions d'attaque, dans l'espace aérien ennemi, devient inutile. C'est évidemment une mise en cause radicale de la ‘Stealth Technology' et des énormes contraintes et coûts qu'elle fait peser sur l'ensemble des matériels et des tactiques concernés.

Mais c'est aussi et surtout la mise en cause radicale de la nécessité d'une supériorité aérienne dans l'espace aérien ennemi. Les drones sont bien suffisants pour saturer les défenses et les moyens d'identifications ; les missiles offensifs, notamment hypersoniques, accomplissent parfaitement la mission qu'une aviation d'attaque et de supériorité aérienne devrait (ou devait) remplir dans les conditions d'"avant" (y compris pour s'approcher des cibles et tirer des missiles de portée limitée). Le moins qu'on puisse dire est que la "guerre des 12 jours" avec l'Iran en vedette inattendue a  confirmé ce constat.

Un passage de ce texte tente de répondre à la question qui doit nécessairement venir à l'esprit : s'agit-il « de l'obsolescence de la supériorité aérienne ? »

« Il s'agit d'un domaine qui prend de plus en plus de consistance, sur lequel nous reviendrons très-rapidement : la confirmation fondamentale mais pas encore fracassante de l'existence d'une nouvelle "forme" de guerre... Pourquoi des guillemets ? Parce qu'on y trouve rien de fondamentalement nouveau dans les outils et les actes opérationnels, mais simplement un bouquet de capacités technologiques poussées à l'extrême de leurs dynamique, engendrant des combinaisons tout à fait nouvelles, et donc une nouvelle "forme".

» On part d'un constat qui nous paraît évident : la "guerre des 12 jours" confirme la guerre de l'Ukraine dans sa forme. Les singularités de cette nouvelle "forme" sont les suivantes :

» • Les capacités habituelles de l'attaque aérienne sont devenues, sinon inutiles dans tous les cas marginales, et la quête de la supériorité aérienne également.

» • La puissance de frappe des missiles employés (par les Iraniens, face aux escadres de F-15 et de F-35 inutiles ou presque, dans tous les cas stupéfaites) est devenue extrême grâce à l'accession des Iraniens à l'hypersonique, au stade intermédiaire ou au stade achevée. Contre cela, il n'y a rien à faire pour l'instant, aucune défense ne peut être assurée, – et le "Dôme de Fer" s'avère être en fer-blanc, quincaillerie inutile, à 3-4 $millions le missile...

» • Cette puissance, si l'on peut employer ce terme, se retrouve dans la précision qui complète la puissance de choc de l'hypersonique en la concentrant sur l'objectif parfaitement identifié.

» • On parle des drones aussi, qui servent d'"armes de poing", à petites charges mais gênantes, mais surtout qui servent de leurres, de simulacres, pour occuper les défenses à s'intéresser au marginal tactique et ouvrir la voie à l'hypersonique stratégique. »

Une situation à ciel couvert

Effectivement, cette rapide analyse reprise du texte d'hier conduit à la question centrale de la supériorité aérienne. En Ukraine, les Russes possèdent la supériorité arienne, mais ils en usent très modérément pour leur aviation ; c'est surtout pour leurs nuée de drone (dont un certain nombre servent de leurres) et pour leurs missiles qu'ils en usent, avec comme objectif central d'assurer à leurs tirs tactiques et stratégiques une situation d'impunité temporaire (lors des attaques) garante de leur efficacité.

Ainsi, la guerre devient une "guerre de loin", c'est-à-dire une guerre où est fortement marginalisé le concept de "supériorité aérienne", – ou d'« air dominance »/de « global air dominance », comme disent (ou dirent) les experts de l'USAF lors du choix triomphant de la ‘Stealth Technology', dans les années 1990. Les Russes ont développé, intégré et structuré pour cela, selon une démarche traditionnelle pour eux qui sont une puissance terrestre, une formidable panoplie de défense anti-air qui tend à former des zones dites (selon la nomenclature USAF) des zones A2/AD, ou ‘Anti-Access/Area-Denial', à considérer comme des zones d'exclusion et d'interdiction.

Nous en faisions rapport le 26 janvier 2019, en citant le système S-400 comme moyen central de la constitution de telles zones, mais en précisant bien qu'il s'agissait d'un choix symbolique (voire un choix permettant d'interférer sur des exportations du S-400) au milieu d'une multitude d'autres systèmes anti-air très divers et assurant diverses fonctions en coordination les uns avec les autres :

« L'argument de l'article s'appuie sur l'affirmation par le Pentagone que le système sol-air russe S-400 introduit une dimension nouvelle dans la défense aérienne, sous la forme de la mise en place d'un système global de zones dite A2/AD, ou Anti-Access/Area-Denial ; c'est-à-dire des sortes de No-Fly-Zone pour l'aviation ennemie, du fait des moyens russes parfaitement intégrés de détection, de brouillage et de contrôle électroniques, et de destruction, qui transforment toute incursion aérienne ennemie dans ces zones en un risque inacceptable. »

On comprend dans ce cas combien cette sorte d'organisation participe puissamment à l'arrangement général mettant en cause la "supériorité aérienne", et rendant de ce fait inutile la recherche du maintien d'une telle supériorité. On retrouve là l'importance considérable d'une véritable rupture dans cette portion vitale de l'art de la guerre, rendant effectivement obsolète la recherche constante, et désormais de plus en plus coûteuse avec de moins en moins de garantie de succès, d'une "supériorité arienne" permanente comme le conçoivent depuis plus d'un siècle (depuis la fin de la Grande Guerre) les grandes puissances technologiques occidentales.

En Ukraine, les Russes ont montré le point d'excellence que l'on peut atteindre en matière d'organisation et d'intégration. Dans ce cadre, la ‘Stealth Technology' devient une sorte de luxe coûteux et marginal, qui en plus interfère gravement sur les capacités nécessaires d'un avion de combat (maniabilités, emport de charges diverses, etc.). Même si les Russes eux-mêmes, comme les Chinois, y ont sacrifié avec le Su-57, – pourtant bien supérieur aux avions US dans les domaines du vol conventionnel, – il est manifeste que cette "révolution" venue des années 1970 est désormais, – outre d'être bureaucratiquement énorme et monstrueuse, – un épisode marginal, éventuellement symbolique et folklorique si l'on veut, du développement de la dimension aérienne. Son heure a passé parce qu'il n'y a jamais eu vraiment d'heure qui soit la sienne sinon furtivement et pour la promotion et la publicité de communication.

Les forces aériennes occidentales devront donc faire (on se demande quoi et pourquoi) avec un "bras-cassé" (le F-35, ex-JSF, "camion à bombes" pour l'USAF au départ, devenu "camion à fric" pour l'exportation US) qui a prouvé ses irrésistibles et phénoménales contraintes d'emploi, comme par exemple ses 30 heures d'entretien à terre, sur sa base et par trop mauvais temps, pour assurer une heure de vol opérationnel... Pendant ce temps, les pilotes pourront soigner leurs crises de nerfs.

Mis en ligne le 4 juillet 2025 à 10H50

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