Des autocollants « On remet les choses à l'endroit », « loi Duplomb c'est non », recouvrent les panneaux d'entrées de dizaines de communes de la Loire.© Confédération paysanne
« Les pesticides nous tuent ». Ces derniers jours, des autocollants, affiches et pancartes ont recouvert les panneaux d'entrée de centaines de communes. L'action a été initiée par la Confédération paysanne de la Loire, farouchement opposée à la proposition de loi Duplomb. « Contrairement à ce qu'en disent les médias, "la profession agricole" n'est pas unie derrière ce texte », affirme le syndicat dans un communiqué. « Non, ce ne sont pas des pesticides, des méga-bassines, des bâtiments de plus en plus grands... qui vont répondre aux attentes et au malaise du monde agricole. Cette loi est faite pour l'agro-industrie, elle est dangereuse pour les paysan·nes et pour la société dans son ensemble », poursuit le communiqué.
Un panneau « Les pesticides nous tuent », « c'est plus clair comme ça ? », dans la Loire.
©Confédération paysanne
Cette initiative fait écho à l'opération de retournement des panneaux qui avait été lancée par les syndicats agricoles majoritaires, FNSEA et Jeunes Agriculteurs, fin 2024. Ces organisations « considèrent qu'on ''marche sur la tête'' alors que depuis des décennies les lois agricoles - dont cette loi Duplomb - sont votées d'après leurs propositions et sous leurs applaudissements », critique la Confédération paysanne de la Loire.
Des actions similaires menées par des membres de la Confédération paysanne ont eu lieu dans d'autres départements, notamment dans le Puy-de-Dôme, la Drôme, l'Isère, la Savoie, la Haute-Savoie, ainsi que la Haute-Loire où Laurent Duplomb a été élu sénateur. C'est « un geste fort pour interpeller les élu·es, alerter la population et souligner l'absurdité d'une loi qui fait passer les intérêts de l'agro-industrie avant ceux du vivant » précise la Confédération paysanne de Savoie. « Loin de lever les contraintes, la proposition de loi Duplomb les amplifie : dépendance aux pesticides de synthèse, facilitation de l'accaparement de la ressource en eau par l'accélération de la construction des méga-bassines, destruction de zones humides, ou encore allègement des normes pour les productions animales industrielles (les élevages les plus intensifs) » regrette ce syndicat.
Les points de blocage
La proposition de loi Duplomb doit être discutée par seulement 14 députés et sénateurs en commission mixte paritaire à partir de ce lundi 30 juin. Le débat n'a pas pu avoir lieu à l'Assemblée nationale. Une motion de rejet portée par le bloc central (LR, Modem, Ensemble, Horizons) a été adoptée avec le soutien du Rassemblement national. L'adoption de cette motion a permis de contourner les 2300 amendements déposés par les insoumis et les écologistes. Cette commission mixte paritaire est ainsi chargée de trouver une version définitive, à partir du texte adopté au Sénat en janvier dernier. Si la commission se met d'accord, ses conclusions seront soumises à un vote final au Sénat le 2 juillet, puis le 7 juillet à l'Assemblée nationale.

Panneau recouvert d'un sticker à l'envers, « Les pesticides nous tuent », dans une commune de Savoie
©Confédération paysanne des Savoie
Parmi les sujets de blocage figure la question des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) dont les seuils pourraient être relevés. Cela permettrait notamment aux grands élevages de porcs et de volailles de pouvoir s'agrandir, sans devoir procéder à des demandes d'autorisations et à des réunions publiques.
Selon la Confédération paysanne, les ministères de la Transition écologique et de l'Agriculture ont reçu la FNSEA, les chambres d'agriculture et la Coopération agricole, pour élaborer une nouvelle version de l'article, mais pas les syndicats agricoles minoritaires. Or, pour la Confédération paysanne, « le relèvement des seuils ICPE ne va pas favoriser le renouvellement des générations, ni améliorer le revenu à partir de prix garantis et pas plus permettre l'accès à des abattoirs relocalisés. L'avenir de l'élevage passe par l'installation de fermes partout sur le territoire et non leur concentration dans des territoires déjà denses. »
Consensus sur le retour des néonicotonoïdes
L'article 2 du texte, qui réforme en profondeur les procédures d'évaluation des pesticides par l'Anses, l'autorité sanitaire française, promet aussi de vifs débats. Il prévoit d'instaurer une « priorisation » des demandes d'autorisation de mise sur le marché en fonction des besoins économiques des filières agricoles. Les industriels des phytosanitaires pourraient avoir une place de choix.
Actuellement, l'examen des dossiers par l'agence se fait principalement par ordre d'arrivée, en tenant compte de l'impact du produit sur la santé humaine ou l'environnement et des demandes d'évaluation en cours pour nos voisins européens. Selon le média Contexte, si Laurent Duplomb tient beaucoup à cette mesure soutenue par Horizons et le Modem, le groupe EPR (Ensemble pour la République) s'y oppose, de même que certains députés centristes et l'ensemble de la gauche qui redoutent la mise sous tutelle de l'Anses.
En revanche, un consensus existerait concernant l'acétamipride, de la famille des néonicotinoïdes interdits il y a dix ans. « Seuls quelques députés Modem et Ensemble pour la République comme Pascal Lecamp et Sandrine Le Feur, absents ou sans droit de vote lors de la commission mixte paritaire, sont toujours fortement opposés à ce qu'ils considèrent comme un recul écologique majeur », indique Contexte. La réautorisation dérogatoire de cet insecticide serait limitée à trois ans.
Enfin, la proposition de loi Duplomb vise à faciliter la construction d'ouvrages de stockage d'eau en modifiant le Code de l'environnement. Elle instaure une présomption d'intérêt général majeur et leur accorde le statut RIIPM (raison impérative d'intérêt public majeur). Ces projets devront néanmoins s'accompagner d'une gestion concertée de la ressource en eau et de pratiques sobres en eau, selon l'article 5.
La protection des zones humides considérées comme « fortement modifiées » serait aussi fortement allégée pour réduire les contraintes pesant sur les agriculteurs. « Les membres de la CMP pourraient s'accorder pour maintenir l'essentiel de la rédaction sénatoriale, la droite - et la FNSEA - y étant particulièrement attachée, à une condition. Il s'agirait de retirer la réforme de la réglementation sur les zones humides pour tenir compte des inquiétudes de plusieurs élus macronistes » précise Contexte.
Si les quatorze députés et sénateurs trouvent un compromis sur ce texte en commission mixte paritaire, celui-ci devra passer l'épreuve du Conseil constitutionnel, puisque la gauche a déjà annoncé son intention de le saisir. Les mobilisations locales se multiplient ces derniers jours, à l'appel de paysan·nes, scientifiques, médecins, organisations de la société civile et citoyen·nes.
Pour la Confédération paysanne de la Loire, « les consommateurs et l'ensemble de la société ne peuvent tolérer que nos élu·es votent une législation qui ne profite qu'à quelques-uns, l'agro-industrie, contre l'intérêt de tous ».
Journaliste, basée en région lyonnaise : je m'occupe en priorité des sujets liés à l'écologie. Passionnée par les questions agricoles et alimentaires, je multiplie enquêtes et reportages depuis plus de dix ans, pour mieux comprendre les dessous de nos assiettes. Repérer et raconter des alternatives qui font système fait aussi partie de mon travail. Officie également pour le mensuel Campagnes solidaires. Retrouvez moi sur Mastodon, Bluesky et LinkedIn