17/04/2025 legrandsoir.info  18min #275212

 Ouïghours : les vérités sacrifiées de Madame Defranoux

Ouïghours : les vérités sacrifiées de Madame Defranoux (V) Incohérences, contrevérités et aveux

Albert ETTINGER

Le livre de Laurence Defranoux a pour titre " Ouïghours, Histoire d'un peuple sacrifié " (Éditions Tallandier, 2022 et 2025). Il a pour ambition de corroborer et d'établir une fois pour toutes le récit occidental du « génocide ouïghour » perpétré par le « régime communiste chinois ».

Le « massacre du peuple ouïghour » : Ce que nous révèlent les dates

La chronologie permet souvent de mieux comprendre la nature d'événements reliés entre eux en élucidant leur relation de cause à effet.

Selon Defranoux, la campagne internationale contre un prétendu « ethnocide » au Xinjiang atteint Paris en 2009, cinq ans après la fondation du WUC/Congrès mondial ouïghour à Munich par les services étasuniens, quand « une cinquantaine de personnes alertent les passants avec le slogan ‘Stop au massacre du peuple ouïghour', et arborent des tee-shirts qui supplient : ‘Aidez-nous, sauvez les Ouïghours' ». (1)

L'« élimination du peuple ouïghour » aurait donc débuté au plus tard en 2009, et l'urgence de « sauver les Ouïghours » en train d'être « massacrés » aurait déjà été pressante à cette date-là ? Mais attention : 2009, c'est trois ans avant l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping (en 2012) ; c'est cinq ans avant que les autorités chinoises ne réagissent à l'attentat meurtrier de la gare de Kunming (où, le 1er mars 2014, huit terroristes ouïghours « poignardent à mort 31 personnes et en blessent 140 » (2) ; c'est sept ans avant l'entrée en vigueur de la « loi antiterroriste » chinoise de 2016 qui, selon Laurence Defranoux, « criminalise tous les aspects de la vie (...) au Xinjiang » (3). Et c'est huit ans avant que la « ‘réglementation sur la déradicalisation' » adoptée en « mars 2017 » (4) n'entraîne, selon Laurence Defranoux, « l'internement massif en ‘centre de rééducation' » d'un grand nombre de Ouïghours « sous prétexte de ‘déradicalisation' » (5).

Sacrés Chinois ! Comment ils ont réussi à trouver encore, après 2017, assez de Ouïghours à interner « massivement » après les avoir massacrés systématiquement durant huit ans ?

Généralisations mensongères

Laurence Defranoux ne doit pas avoir la meilleure opinion de l'intelligence et de l'esprit critique de ses lecteurs. Sinon, elle n'aurait pas osé affirmer : « Tous (!) les observateurs étrangers (!) (ONG, chercheurs, gouvernements, etc.) s'accordent sur une estimation prudente de ‘plusieurs centaines de milliers à plus d'un million de personnes' qui ont été à un moment ou un autre enfermées dans les camps extrajudiciaires du Xinjiang depuis 2017 ». (6)

Tous les observateurs étrangers ? En tout cas, ni les « 400 délégations de diplomates et de journalistes, principalement de pays musulmans », ni les « 265 millions de touristes » qui ont visité le Xinjiang rien qu'en 2023 – que Laurence Defranoux dénigre en les accusant de « tourisme génocidaire » (7) – ne font partie de ceux-là.

« Tous les gouvernements » ? Encore une contre-vérité intentionnelle, car les États-Unis et leurs alliés sont clairement minoritaires en ce qui concerne les reproches adressés à la Chine au sujet du Xinjiang. Exemples : lors de deux réunions distinctes du Conseil des droits de l'homme de l'ONU en 2019 et 2020, les déclarations condamnant la conduite de la Chine au Xinjiang n'ont récolté que 22 voix sur 50 et 27 sur 46. (8) Le 21 octobre 2021, lors d'une réunion de la commission des droits de l'homme de l'Assemblée générale, une déclaration signée par 43 gouvernements critique la politique de la Chine au Xinjiang. En revanche, une déclaration concurrente de 62 pays rejette toutes les allégations d'abus comme étant fondées sur des « motivations politiques » et la « désinformation". » (9) En 2017, « plus d'un million » de personnes « sont englouties (!) dans les camps en quelques mois » ? Afin d'étayer cette allégation, Laurence Defranoux utilise un exemple qui met en miettes son propre récit : « Pour donner une idée de l'ampleur de la campagne d'‘éducation', Khotan commande 194 000 manuels de mandarin en moins d'un mois. » (10)

Des manuels comme instruments de torture ?

Des « camps de concentration » destinés, entre autres, à l'apprentissage de la langue nationale ? Est-ce avant, pendant ou après les « massacres », « les coups et les insultes », la « pendaison au plafond », « la privation de sommeil, d'eau et de nourriture », les « viols en réunion », le « viol anal avec une matraque » et « la matraque électrique reliée aux parties génitales » (11) que les autorités locales – qui décidément se révèlent être de piètres pédagogues – ont offert « cette chance d'éducation gratuite » (12) aux Ouïghours concernés ?

Soyons sérieux : si le but des mesures de déradicalisation était la transformation des « internés » en loyaux citoyens qui maîtrisent la langue nationale – à quelle logique absurde correspondraient alors les sévices mis en avant par la journaliste de Libération ?

D'ailleurs, quand Laurence Defranoux emploie le terme d'« ethnocide » dans le contexte du reproche adressé au gouvernement chinois de massacrer une population entière, elle compte sur l'ignorance des lecteurs qui ne savent pas qu'ethnocide signifie « destruction de la civilisation d'un groupe ethnique » (13) et non pas son extermination physique.

Un million, deux millions, trois millions ? Qui dit plus ?

« Plusieurs centaines de milliers à plus d'un million de personnes engloutis dans les camps » ? Et pourquoi pas trois millions ?

Car sur la photo qui accompagne la première partie de cette recension et qui date de juillet 2021, on voit Raphaël Glucksmann, Clémentine Autain, l'écolo belge Samuel Cogolati et la « chercheuse » Dilnur Reyhan marcher derrière une pancarte qui affiche le chiffre de « 3 millions d'Ouïghour-e-s dans les camps de concentration chinois ». Pourtant, même Vanessa Frangville, une sinologue de l'Université Libre de Bruxelles citée plusieurs fois par Defranoux à cause de son biais antichinois, admet que les chiffres d'« internés » repris par les médias et des politicards occidentaux ne sont que des « hypothèses », et que la façon dont les médias les reprennent relève du journalisme à « sensation ». (14)
Des Ouïghours « enfermés » ? Pourtant, un reportage de la BBC, biaisé à souhait, finit par admettre que les pauvres « internés » du « camp de transformation de la pensée » qu'il décrit pouvaient rentrer chez eux le week-end. (15)

«... à un moment ou un autre » ? Les chiffres avancés par la propagande occidentale ne sont pas seulement « hypothétiques » et arbitrairement enflés. Ils sont de surcroît fallacieux, parce que ceux qui les propagent omettent généralement de préciser combien de personnes ont fréquenté en même temps les « centres d'éducation politique » et combien de temps a duré leur « endoctrinement ». La seule fois que Defranoux aborde cette dernière question, elle parle d'une durée de la « transformation éducative » de « sept à vingt jours ». (16)

L'éducation et l'alphabétisation dénigrées

Concernant l'éducation des jeunes au Xinjiang, Laurence Defranoux ne voit que les « centaines de milliers d'enfants » prétendument « envoyés de force en pension ». (17) Alors que même un article du New York Times admet : « il faut reconnaître que de nombreuses familles rurales sont désireuses d'envoyer leurs enfants dans ces écoles ». (18) L'autrice ne mentionne nullement, comme le fait le Borgen Magazine édité par une ONG humanitaire étasunienne, qu'il « y a soixante-dix ans, à peine 10 % des habitants du Xinjiang savaient lire et écrire, mais en 2017, ce chiffre avait grimpé à un taux d'alphabétisation largement supérieur à 90 %. (19) Elle n'a pas trouvé utile non plus de relever ce que ses confrères du Times of India soulignent : que le « développement des initiatives éducatives de Pékin a conduit à la construction de plusieurs centaines d'écoles au Xinjiang, tant au niveau du premier que du second degré. En novembre 2017, le gouvernement chinois a exposé les grandes lignes d'un programme d'éducation gratuite sur 15 ans pour tous les lycéens du Xinjiang. » (20)

Alors, que peut-on reprocher au système éducatif du Xinjiang ? Son caractère laïque ? Pour ce faire, Defranoux passe la parole à Enver Rehmetullah, un « concessionnaire auto de Kashgar » qui « a fui en Turquie » et qui nous explique : « ‘Je suis croyant et pratiquant, et je suis effrayé à l'idée que mes enfants puissent être internés dans des prétendues crèches spécialisées où l'on modifie leur identité, qu'ils ne sachent plus parler ouïghour et ne connaissent pas notre religion'. » (21) Puis elle nous présente « Qelbinur, une habitante de Kashgar » qui « a fui en 2016 en Turquie » : « Dans une vidéo tournée dans un internat situé à Khotan (...), elle reconnaît sa fille de six ans, Aishe. » (22) Un article du New York Times est plus explicite à son sujet. Il explique que cette femme « est venue en Turquie pour accoucher après avoir confié (abandonné ?) ses cinq enfants à des proches au Xinjiang » (23), et il ajoute une photo qui la montre accoutrée en niqab, dans sa boutique turque.

On imagine aisément l'éducation à laquelle la petite Aishe a échappé grâce à l'abandon par sa maman...

L'autre reproche concernant l'éducation, c'est que les autorités chinoises voudraient que les Ouïghours apprennent la langue nationale : « En 2004, l'enseignement est décrété ‘bilingue'. Mais contrairement aux apparences (?), cela veut dire que le chinois devient la langue principale du primaire jusqu'à l'université et que le ouïghour est relégué au statut de seconde langue. » (24) Quelle absurdité, surtout de la part d'une journaliste française qui oublie comment les « langues régionales » ont été « malmenées par la France depuis 1945 ». Par exemple, l'alsacien : « Longtemps, les enfants ont été interdits (plus ou moins violemment) de parler l'alsacien à l'école. » (25)

L'enseignement du chinois serait une calamité pour les enfants ouighours ? Même le New York Times a laissé entrevoir le fait que la majorité des Ouïghours voit les choses autrement : « Le gouvernement affirme que l'enseignement du chinois est essentiel pour améliorer les perspectives économiques des enfants issus des minorités, et de nombreux Ouïghours sont d'accord. » (26) Comment Defranoux imagine-t-elle qu'un habitant du Xinjiang chinois, où coexistent plusieurs communautés linguistiques, puisse vivre normalement et, à plus forte raison, réussir dans la vie quand il ignore la langue nationale commune ?

Réaction aux tentatives de déstabilisation ou « répression raciste » ?

Pour Laurence Defranoux, l'islamisme radical de type djihadiste et le séparatisme ethno-nationaliste n'existent pas vraiment, puisque ce sont que des « prétextes » utilisés par le « régime » chinois pour légitimer son « génocide » du peuple Ouïghour. Cependant, elle-même confirme l'existence de l'un et de l'autre.

À propos de l'émergence d'un l'ethno-nationalisme ouïghour, elle constate qu'une pseudo-« histoire nationaliste ouïghoure se fabrique à partir d'éléments archéologiques et littéraires épars » et que la « redécouverte des "momies du Xinjiang' » en 1979 a eu l'effet que certains « intellectuels ouïghours » ont voulu voir « dans ces hommes et ces femmes élégants aux traits européens leurs ancêtres directs » : « Pour les (sic !) Ouïghours, ils sont la preuve en peau et en os que leur peuple actuel est enraciné au Turkestan oriental depuis des millénaires, et ce bien avant l'arrivée des Chinois. » (27) Décidément, l'ethno-nationalisme ouïghour a un goût raciste... En même temps, des « romans historiques et des récits nationalistes, ronéotypés par des étudiants, exaltent ces expériences d'indépendance » (les deux éphémères « républiques du Turkestan oriental » des années 1933/1934 et 1944-1949). (28)

Au début des années 1990, l'« intellectuel Turghun Almas publie Uyghurlar ("les Ouïghours'), dans lequel il fait remonter la présence ouïghoure au Xinjiang à six mille ans, et estime que si les Juifs ont pu récupérer leur terre (sic !), les Ouïghours peuvent faire de même. » (29) Un « sionisme ouïghour » aspirant à l'expulsion des « Palestiniens han » ? L'idée a d'ailleurs fait son chemin. En parlant des « combattants ouïghours du PIT » (c'est-à-dire des terroristes du Parti islamique du Turkestan oriental) en Syrie, Defranoux souligne que ces « djihadistes » ont un profil inhabituel puisqu'« ils s'inspirent même du modèle sioniste et de la formation d'Israël » pour « créer une nouvelle patrie. » (30)

Mais Laurence Defranoux accuse les autorités chinoises d'une « répression de type colonialiste et raciste ». (31) Pour illustrer cette répression, elle relate le cas d'un certain « Abduweli Ayup, titulaire d'un master de linguistique de l'université du Kansas obtenu grâce à une bourse de la fondation Ford ». Selon la journaliste, celui-ci est arrêté en 2013 et « interrogé durant six heures, pendant lesquelles on le bombarde de questions répétitives comme ‘As-tu été entraîné par les États-Unis pour soutenir le séparatisme en Chine ?' » Étranges questions ! Dans l'hypothèse d'une « répression raciste », n'aurait-il pas suffi de constater l'appartenance d'Abduweli Ayup à l'ethnie ouïghoure ?

Vérités déplaisantes et aveux à contrecœur

À certains moments rares, Abduweli Ayup nous permet d'entrevoir des aspects de la réalité au Xinjiang qu'elle tente généralement de nier ou d'occulter. Par exemple, quand elle constate à bon escient que les Ouïghours ne sont pas tous musulmans pratiquants, loin de là, et que la forme traditionnelle de l'islam au Xinjiang, le soufisme, se distingue radicalement de l'islam wahabite importé de l'étranger. Elle cite ainsi une de ses « interlocutrices » qui lui confie : « Ma mère n'était pas voilée, ni aucune de ses filles. Lors des fêtes, les femmes cuisinaient en minijupe. (...) Puis l'islam venu de l'extérieur a commencé à avoir de l'influence, et certaines de mes copines ont commencé à mettre un voile dans les années 2010. » (32) Alors, défendre ses propres traditions et s'opposer à ceux qui « s'enthousiasment pour un islam radical venu du Pakistan et de l'Arabie saoudite » (33), n'est-ce pas l'exact contraire d'un « génocide culturel » ?

Cela n'empêche pas Abduweli Ayup de regretter, avec le photographe Patrick Wack, que « les femmes ne sont plus voilées » (34), et de dénoncer comme « misogyne » l'avis d'un leader local du PCC pour qui les « femmes représentent l'amour et la beauté » et le port du voile « une tendance arriérée et régressive ». (35) Elle fustige même le geste de « Zohre Talip, membre du PCC et rédactrice en chef d'un journal local » qui « offre un foulard coloré traditionnel à une mère de famille pour la convaincre de renoncer à son hidjab austère. » (36)

Tout en réprouvant l'envoi de travailleurs ouïghours dans des usines situées hors du Xinjiang, l'autrice admet que « certaines jeunes filles choisissent de s'installer à l'Est, trouvant là l'occasion de se libérer d'une culture patriarcale parfois étouffante. » (37) Elle continue par expliquer : « Traditionnellement, au Xinjiang, les garçons sont servis en premier à table, et les filles subissent une forte pression pour se marier avant 25 ans. Les mariages d'amour avec les non-musulmans sont très mal acceptés et encore moins l'homosexualité. » (38)

Les familles de réfugiés ouïghours que Laurence Defranoux nous présente ont quatre, cinq ou six enfants (39). Rappelons-nous que les Chinois han ont été longtemps soumis à la « politique de l'enfant unique » et que les Ouïghours ainsi que les autres minorités ethniques en étaient exempts. Ce privilège a permis aux Ouïghours de garder longtemps leurs structures familiales traditionnelles, ce qui n'était pas nécessairement à leur avantage, surtout pas pour les femmes : en parlant d'« Axel né en 1971 », l'autrice relate que « sa mère s'est mariée à 15 ans » et que « son père vendait du bois pour nourrir leurs dix enfants et leur permettre de faire des études » (40) (par ailleurs gratuites en Chine).

Comment expliquer, au vu de ces conditions de vie du passé, que dans sa jeunesse, Dolkun Isa, le futur dirigeant du Congrès mondial ouïghour (présenté par l'autrice comme laïc et pro-occidental) (41), participait à sa « première manifestation » au cri de « Non à la limitation des naissances ! » ? (42)

Persécution de type raciste ?

Laurence Defranoux évoque la « discrimination » qu'éprouveraient les Ouïghours du Xinjiang à cause de leur « domination » par les « fonctionnaires han ». Voici l'exemple qu'elle trouve pour illustrer cette « domination » et les terribles « diktats du PCC » : « Certains cadres locaux laissent les commerçants chinois vendre leurs cochons au beau milieu des marchés musulmans. » (43)

Pour ce qui est de la « discrimination », elle semble surtout avoir existé sous forme de « discrimination positive réservée (...) aux peuples turciques », c'est-à-dire sous forme de « points supplémentaires à l'entrée à l'université » (44) : les Ouïghours « peuvent entrer » dans les universités chinoises « avec un quota de points inférieur à celui des Han ». (45)

Est-ce que les exilés que nous présente l'autrice ont été désavantagés économiquement ou socialement ?

En tout cas, la « fondatrice de l'Institut ouïghour d'Europe », Dilnur Reyhan, se plaint amèrement de la « spoliation » et de « la confiscation des terres menée sur le modèle de l'URSS » au début des années 1950, et on la comprend : « La famille de mon père était de grands propriétaires terriens de Ghulja. Ils possédaient quasiment tout le quartier, ainsi des pâturages dans la montagne, gardés par des bergers kazakhs et mongols. Ils ont été persécutés dès l'arrivée des communistes, chassés de chez eux et envoyés vivre avec les nomades durant deux ans. » (46) Pauvres propriétaires fonciers, obligés de partager pendant deux longues années la vie de leurs « bergers » !

N'empêche que les biographies des « victimes » ouïghoures que nous présente Laurence Defranoux démentent carrément les allégations de désavantages économiques et sociaux dus à leur ethnie. Qelbinur Sidik, née en 1969 dans une famille « de six enfants », raconte : « Mes frères et sœurs sont tous diplômés du supérieur, ils sont policiers, hauts fonctionnaires, ou font des affaires florissantes. » (47) Les « deux oncles maternels d'Aynur sont « de richissimes hommes d'affaires », et sa « tante » est propriétaire d'un « supermarché ». (48) Habibula Mohamet était propriétaire d'une « entreprise textile au Xinjiang », sa « sœur Patigül, mère au foyer aisée à Urumqi ». (49) « Gülbahar Haitiwaji (...) raconte la ‘belle vie' qu'elle menait jusqu'au début des années 2000, l'appartement confortable en ville, les sorties au resto et au spa avec ses amis ». (50) « La jeune Nyrola Elimä..., à l'issue de ses études,... est embauchée sur un poste qui implique qu'elle voyage dans toute la Chine ». (51) « Après l'université, Axel trouve facilement du travail dans l'industrie au Xinjiang » (52), etc.

Difficile aussi de trouver un signe de persécution ethnique dans les biographies des meneurs séparatistes. Selon Laurence Defranoux, Dolkun Isa a pu « faire des études de physique » à Urumqi. Sa mère était vétérinaire de formation et possédait « une entreprise commerciale », le père était « ingénieur agronome dans l'administration ». (53). Rebiya Kadeer, l'ex-présidente du Congrès mondial ouïghour, a été cheffe d'entreprise, vice-présidente de la Fédération de l'industrie et du commerce du Xinjiang, vice-présidente de l'Association des femmes entrepreneures du Xinjiang et membre de la 8e Conférence consultative politique du peuple chinois. (54) Le site Wikipédia aussi frôle le ridicule quand il nous apprend d'abord – sans preuve – qu'Anwar Yusuf Turani, le « premier ministre » fantoche d'un « gouvernement en exil du Turkestan oriental » établi à Washington, a subi « l'oppression politique », mais qu'il a eu néanmoins le privilège d'étudier « à l'université de Kashgar où il est diplômé de physique en juillet 1983 ». (55)

Laurence Defranoux laisse donc échapper parfois des vérités qui ne collent pas du tout avec la « dystopie » qu'elle s'applique à dépeindre tout au long de son livre. Selon l'autrice, tout comme la déradicalisation, la lutte contre la pauvreté n'est qu'un « prétexte » qui sert aux autorités chinoises à cacher qu'en réalité, ils ne veulent qu'une chose : éliminer les minorités turciques, culturellement (« ethnocide ») et, si possible, physiquement. Elle se contredit pourtant, en écrivant que les « autorités misent sur le développement économique, censé apporter la stabilité sociale tant espérée » et en évoquant les « programmes de jumelage avec des villes de l'Est » qui « sont lancés par l'État » afin de « combattre la pauvreté » au Xinjiang. Elle décrédibilise son propre récit en signalant que le « PIB par habitant a bondi en quelques années » et que le Xinjiang « n'est plus une région pauvre » (56), alors que, encore dans les années 1990, il était affecté par « l'extrême pauvreté. » (57) Elle se voit obligée d'admettre enfin que « beaucoup de Ouïghours » deviennent « fonctionnaires » (58) et que des « dizaines de milliers d'entre eux entrent dans la police ». (59)

Elle aurait pu y ajouter tous ceux qui s'engagent dans l'APL, tous ceux qui sont des membres loyaux du Parti communiste chinois, tous ceux qui sont des scientifiques ou des imams. Et les « stars » de cinéma, de télé ou du sport ouïghours admirés et aimés du public partout en Chine.

Après avoir fini le livre, je me suis demandé quel est le but poursuivi par son autrice. Est-ce « sauver les Ouïghours » ou empêcher un « massacre », comme le disent les slogans qu'elle reprend et que répètent les « activistes », genre Glucksmann, depuis des années et des années ? Mais ce « massacre » n'a jamais eu lieu. Après le Tibet, voilà encore un « génocide annoncé » qui s'est passé exclusivement dans nos médias – des médias qui, d'autre part, nient ou ignorent des génocides qui se déroulent devant nos yeux. Alors, le véritable but de Laurence Defranoux, c'est de noircir la Chine, de lui nuire économiquement par des appels au boycott, de la faire haïr par une opinion publique qu'on prépare à une guerre éventuelle de l'OTAN dans le Pacifique.

Notes

1) Defranoux, Ouïghours, Histoire d'un peuple sacrifié, p. 167
2) Defranoux, op. cit., p. 197
3) Defranoux, p. 356
4) Defranoux, p. 246
5) Defranoux, p. 356
6) Defranoux, p. 271
7) Defranoux, p. 313
8)  digitallibrary.un.org
9) "More countries criticise China at UN for repression of Uighurs", Al Jazeera ( aljazeera.com
10) Defranoux, p. 251
11) Defranoux, pp. 255, 257, 190, 256, 257
12) Defranoux, p. 264
13)  dictionnaire.lerobert.com
14) Giselle Nath, « Zijn Oeigoerse strafkampen ook echt 'concentratiekampen' ? » (« Les camps pénitentiaires ouïgours sont-ils vraiment des ‘camps de concentration' ? »), De Standard, 11 février 2021.
15) "Inside China's 'thought transformation' camps ", youtube , 10:48-11:08.
16) Defranoux, p. 215
17) Defranoux, p. 271
18) "In China's Crackdown on Muslims, Children Have Not Been Spared"  nytimes.com
19) Xin Gao, "Education in Xinjiang", Borgen Magazine, 4/12/2017.
20) "China offers 15-year free school education in restive Xinjiang", The Times of India, 21 novembre 2017.  timesofindia.indiatimes.com
21) Defranoux, p. 269
22) ibd.
23)) "In China's Crackdown on Muslims, Children Have Not Been Spared"  nytimes.com
24) Defranoux, p. 149
25)  france3-regions.francetvinfo.fr
26) "In China's Crackdown on Muslims, Children Have Not Been Spared", art. cit.
27) Defranoux, p. 94
28) Defranoux, p. 95
29) Defranoux, p. 111
30) Defranoux, p. 209
31) Defranoux, p. 190
32) Defranoux, p. 174
33) ibd.
34) Defranoux, p. 301
35) Defranoux, p. 174
36) Defranoux, p. 231
37) Defranoux, p. 145
38) ibd.
39) Defranoux, pp. 269 et 243
40) Defranoux, p. 156
41) Defranoux, p. 207
42) Defranoux, p. 103
43) Defranoux, p. 102
44) Defranoux, p. 274
45) Defranoux, p. 100
46) Defranoux, p. 76
47) Defranoux, p. 243
48) Defranoux, p. 275
49) Defranoux, p. 281
50) Defranoux, p. 156
51) ibd.
52) ibd.
53) Defranoux, p. 102
54) fr.wikipedia.org
55) fr.wikipedia.org
56) Defranoux, p. 170
57) Defranoux, p. 117
58) Defranoux, p. 156
59) ibid.

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