Par Story Ember leGaïe, le 16 avril 2025
La fusillade de Tulkarem n'était pas une "attaque". C'était un coup de semonce des colonisés.
Le feu avant la tempête
Sous les fleurs d'abricotier et à l'appel à la prière, sous les sandales usées des enfants rentrant chez eux, sous les oliviers plus anciens que l'empire,le sol tremblait. Pas de peur, mais du souvenir. Le 15 avril 1936, la terre que nous appelons aujourd'hui Palestine occupée s'est fissurée, et de cette fracture s'est élevé une flamme qui a brûlé trois ans. Une flamme allumée non pas par le "terrorisme", non pas par la "violence aveugle", mais par le poids insupportable des mandats étrangers, de l'expansion des colons et des souffrances incessantes d'un peuple chassé de sa propre histoire. Les collines d'Anabta n'ont pas sombré dans le chaos. Elles ont réagi. Elles se sont souvenus. Elles se sont soulevés. Pas d'un soudain sursaut, mais d'une lente combustion : des années de dépossession, de spoliation des terres, d'exploitation de la main-d'œuvre et d'effacement culturel déposées comme autant de brindilles sèches aux pieds d'une nation. Il n'a fallu qu'une seule étincelle : un barrage routier, un refus, un nom prononcé à travers des dents serrées au lieu du silence. Soyons clairs d'emblée : ce qui a débuté ce jour-là près de Tulkarem n'était pas une guerre de religion, ni le déchaînement irrationnel d'une rage ethnique. Ce n'était pas une haine ancestrale recyclée dans un bain de sang moderne. C'était un soulèvement. À pleins poumons. À pleines dents. Plein d'amour. Un amour si profond qu'il ne céderait pas ses vergers. Un amour si farouche qu'il refuserait d'oublier ses martyrs. Un amour si enraciné qu'il préfére brûler plutôt que s'incliner. Ce fut le premier cri d'un soulèvement anticolonial de grande ampleur en Palestine, non seulement contre l'appareil colonial déplaçait son peuple, mais contre toute la machine impériale qui a facilité ce vol. Ce fut le premier cri durable de ce qui allait devenir un chœur générationnel : nous ne serons pas effacés. Et bien que les archives coloniales parlent d'une "révolte", nous savons qu'il est plutôt question d'une déclaration - d'appartenance, de Résistance, de retour. Le mythe de la spontanéité
L'historiographie occidentale présente souvent les soulèvements tels que la révolte arabe de 1936 comme des "explosions spontanées", comme si les peuples colonisés se réveillaient un matin et décidaient de se rebeller sur un coup de colère aveugle. Cette vision édulcore la violence structurelle qui gronde sous l'occupation et occulte la conscience politique qui sous-tend la révolte.
Le 15 avril 1936 ne s'est pas "déclenché" spontanément. Il fait suite à des décennies d'expropriation de terres, de déplacements forcés, de mécanismes d'endettement et d'infrastructures impériales explicitement conçues pour déplacer les Palestiniens et les remplacer par des colons sionistes. Il est le résultat d'une mécanique coloniale de peuplement, financée par l'impérialisme britannique et justifiée par les hiérarchies raciales européennes, qui a pris l'apparence d'un projet refuge pour les Juifs.
Il ne s'agissait pas d'un "affrontement" entre Juifs et Arabes. Ce langage occulte l'asymétrie. Il ne s'agissait pas d'un conflit bilatéral, mais de colonisation. Les colons sionistes, armés et mandatés par un empire étranger, posaient les bases de la suprématie ethnique et de l'ingénierie démographique. Ce qui en a résulté n'était pas l'échec de la coexistence, mais la destruction délibérée d'un peuple pour le remplacer par un autre.
Le sionisme a instrumentalisé le deuil juif. Avant même l'Holocauste, ses dirigeants ont exploité la violence antijuive européenne, non pour éradiquer l'antisémitisme à la racine, mais pour réorienter la survie juive vers un avenir colonialiste en Palestine. Et après l'Holocauste, cet indicible génocide a été instrumentalisé rétroactivement, pour servir de bouclier moral et sanctifier ce qui avait déjà débuté : l'effacement de la vie, de la mémoire et de la patrie palestiniennes.
Un génocide a été instrumentalisé pour en justifier un autre.
Le sionisme n'est pas né de la volonté de survie des Juifs. Il s'est positionné pour tirer profit de la souffrance juive, tout en exportant cette souffrance, rebaptisée "retour", envers un peuple colonisé. Ce à quoi les Palestiniens ont été confrontés n'était pas le sous-produit d'un traumatisme, mais le pur calcul d'une stratégie impériale.
Mais les Palestiniens ont refusé de disparaître.
Le 15 avril n'a pas marqué l'apparition de la violence, mais celle du refus. C'était la voix d'un peuple qui ne se laisserait pas faire. Une étincelle, non pas source de chaos, mais de clarté. Un rappel que le colonialisme de peuplement n'est jamais passif, et que la résistance n'est jamais irrationnelle.
Et malgré toutes les tentatives d'éradication, tous les massacres, tous les murs érigés pour les contenir, ils n'ont toujours pas fait silence.
La fusillade de Tulkarem : un acte politique de résistance
Cette nuit fatidique, des Palestiniens, partisans présumés d'Izz al-Din al-Qassam, martyr de la Résistance anticoloniale, ont érigé un barrage routier près d'Anabta. Ils ont arrêté des véhicules. Ils ont exigé des armes et des fonds, non pour leur profit personnel, mais pour la libération de leur terre. Deux conducteurs juifs, nouveaux colons, ont été tués. Un troisième a été blessé. L'acte n'était pas anodin. Il ne s'agissait pas une question d'identité. Il s'agissait de savoir qui tient le fouet et qui en subit les coups.
Les forces sionistes ont immédiatement riposté. Deux ouvriers palestiniens ont été exécutés le lendemain à Petah Tikva. Quelques jours plus tard, durant des funérailles qui se sont muées en manifestation de masse à Tel Aviv, des milliers de personnes sont descendues dans la rue. Des Arabes ont été attaqués. La spirale s'était enclenchée.
Mais ne vous méprenez pas, il ne s'agissait pas de sombrer dans le chaos. Un peuple se soulevait.
La révolte arabe de 1936-1939 : un modèle de résistance
La fusillade de Tulkarem a marqué plus qu'une date, c'était un seuil. La suite fut l'une des révoltes anti-coloniales les plus longues de l'histoire moderne : grèves, sabotages, guérilla, comités nationaux. Paysans, dockers, enseignants et commerçants palestiniens se sont tous joints à un soulèvement de trois ans contre l'expansion sioniste et la domination militaire britannique.
Et comment l'empire a-t-il réagi ? Brutalement. Plus de 20 000 soldats britanniques ont été déployés. Des villages entiers ont été dévastés par des punitions collectives. Des maisons ont été détruites. Des magasins d'alimentation saccagés. Les journaux ont été censurés. Les Britanniques ont armé les milices sionistes et leur ont enseigné les mêmes tactiques de domination qu'Israël utilise aujourd'hui à Gaza, Jénine et Naplouse.
Ce n'est pas de l'histoire ancienne. Pas un prototype de génocide, c'était un génocide. Le projet sioniste est génocidaire depuis sa création dans les années 1880, lorsque les ambitions des colons ont pour la première fois esquissé un avenir sans Palestiniens. Ce que nous voyons aujourd'hui à Gaza n'est pas l'exception, c'est la continuité d'une longue campagne d'effacement délibérée.
Ce que le sionisme craint le plus : la mémoire et la Résistance
Pour une colonie de peuplement fondée sur l'effacement, l'histoire en elle-même devient une menace. C'est pourquoi le régime sioniste rase les charniers de Jaffa. C'est pourquoi il brûle des oliveraies plus anciennes que l'État lui-même. C'est pourquoi il bombarde bibliothèques, archives et universités à Gaza. Et c'est pourquoi il finance des musées de l'Holocauste à coups de milliards soutenus par l'État, non pas pour pleurer les vies juives, mais pour monopoliser la souffrance et servir de couverture politique à l'extermination des Palestiniens.
Il ne s'agit pas d'histoire, mais de contrôle du récit.
Le sionisme repose sur l'amnésie. Il vous demande d'oublier qu'avant 1948, les Palestiniens résistaient déjà à l'expulsion. Bien avant le Hamas, il y a eu des comités nationaux, des syndicats, des soulèvements paysans. Bien avant les roquettes, il y a eu des grèves générales, des révoltes dans les prisons et des mobilisations de masse. 1936 n'était pas une anomalie, mais un continuum.
Et c'est la plus grande crainte du régime : que le monde se souvienne que les Palestiniens ne "réagissent" pas à une crise, mais résistent à un génocide planifié depuis le début.
L'État sioniste cherche à faire passer les Palestiniens pour des irrationnels, des rétrogrades ou des primitifs. Car si la vérité est reconnue, et que l'on admet qu'il s'agit d'un système délibéré de nettoyage ethnique systématique, alors le fondement moral s'effondre. Le "droit d'exister" devient un slogan pour la suprématie raciale. La "seule démocratie au Moyen-Orient" tient lieu d'euphémisme pour l'apartheid. Et le mythe du conflit mutuel cède la place à la vérité : il s'agit d'une guerre d'élimination unilatérale.
La mémoire est une arme. La Résistance est survivante.
Voilà pourquoi Gaza est la cible non seulement de bombes, mais aussi de black-out. Voilà pourquoi les étudiants de Cisjordanie sont enlevés, pourquoi les auteurs palestiniens sont interdits, pourquoi l'histoire elle-même est criminalisée. Parce que se souvenir, c'est se rebeller. Et refuser d'oublier, c'est déclarer que le sionisme n'a pas réussi à effacer le peuple qu'il tente d'enterrer.
Les Palestiniens ne sont pas une tragédie, ils sont un mouvement de résistance qui s'étend sur plusieurs générations.
Et la mémoire est la flamme qui le maintient en vie.
Ce n'est pas un conflit. C'est une lutte de libération.
Ce qui s'est passé à Tulkarem en 1936 n'était pas un crime de guerre, c'était un acte porteur de clarté historique. Ce n'était pas le chaos, c'était la Résistance. Ces combattants n'ont pas attaqué au hasard, ils avaient compris ce que beaucoup refusent encore de nommer : le colonialisme ne cède pas le pouvoir. Il faut le briser.
Ce n'était pas un "conflit". Ce terme implique la symétrie : deux camps, des positions égales, une culpabilité partagée. Mais entre l'occupant et l'occupé, entre un État colonialiste doté de l'arme nucléaire et un peuple indigène luttant pour sa survie, on ne peut pas parler de rapport de force égal. C'est, et cela a toujours été, une lutte pour la libération.
La Résistance qui s'est soulevée en 1936 perdure à Gaza, en Cisjordanie, dans les camps de réfugiés du Liban, dans les voix de la diaspora, chez les étudiants qui envahissent les rues, de Chicago au Cap. Ce n'est pas nouveau. Cela n'a rien d'extrémiste. C'est le long combat d'un peuple qui refuse de mourir pour le mythe de la "sécurité" d'autrui.
Le sionisme n'est pas le judaïsme. Antisionisme ne veut pas dire antijuif. Et la libération de la Palestine s'opérera non pas par le dialogue avec ceux qui nient son existence, mais par le démantèlement du régime qui s'est bâti sur les tombes des Palestiniens.
Les colons peuvent réécrire les manuels scolaires. Les empires peuvent signer des contrats d'armement. Mais la mémoire ne meurt pas. Et la Résistance se poursuit.
La Palestine ne se résigne pas. Elle se soulève.
À ceux qui se battent aujourd'hui : vous ne luttez pas seuls contre le temps
À ceux qui jouent leur vie dans les ruines de Rafah, à ceux qui rédigent des tracts de revendication à minuit, à ceux qui défilent le poing tremblant face aux policiers anti-émeute, vous ne luttez pas seuls aujourd'hui. Vous ne luttez pas seuls dans l'histoire.
Chaque drone abattu au Yémen, chaque route barrée aux colons à Masafer Yatta, chaque olivier replanté là où les bulldozers sont passés, ce ne sont pas des actes isolés. Ce sont les pulsations du même esprit vivant de la résistance. Chaque réfugié passant des frontières interdites, chaque prisonnier refusant de céder aux oubliettes sionistes, chaque grève de la faim, chaque chanson chère à une langue maternelle que l'empire a tenté d'effacer, sont l'écho du 15 avril 1936.
Et cet écho n'est pas que défi. C'est de l'amour.
Car la Résistance ne naît pas de la haine, mais de l'amour. L'amour de la terre, de la langue, de la mémoire. L'amour de l'enfant à naître dont le nom est déjà chuchoté en terre. L'amour des grands-parents qui ont dansé dans des rues aujourd'hui occupées, rebaptisées, réécrites. Un amour si intense qu'il ne pliera ni face aux chars, ni aux traités, ni aux larmes.
L'empire veut que vous vous sentiez seuls. Il veut vous couper de vos ancêtres, vous convaincre que vous criez en vain. Mais ce vide, c'est le leur, pas le vôtre.
Vous marchez portés par le souffle des générations passées. Vous brûlez du feu de ceux qui ont brûlé les barrages des autoroutes coloniales, pas pour détruire, mais pour déclarer : nous sommes toujours là. Vous brûlez du sang de ceux qui ont résisté, pas parce qu'on leur avait promis la victoire, mais parce que leur dignité n'était pas négociable.
Et l'empire ? Il se vide encore de son sang quand nous nous souvenons.
Alors souvenez-vous. Portez le deuil. Exprimez votre rage. Organisez-vous. Prenez-vous par la main dans les ténèbres. Affûtez vos armes. Racontez vos histoires. Nommez vos morts.
La flamme qu'ils ont allumée à Tulkarem brûle toujours, par-delà les décombres, par-delà les barrières frontalières, par-delà vos voix.
Elle ne s'est jamais éteinte. Elle vit parce que vous la portez. Parce que l'amour, sans remords, ni colonisation, se bat encore.
Décoloniser la mémoire. Résister jusqu'au retour.
Effacer les noms de leurs cartes. Refuser leurs chronologies. Enterrer leurs manuels scolaires sous les oliviers qu'ils n'ont pu déraciner. Se souvenir non pas avec nostalgie, mais par insoumission. La mémoire n'est pas une relique. C'est une arme. Rejetez la version de l'histoire de l'occupant, celle qui fait des bulldozers des frontières, celle qui appelle le massacre une « défense », celle qui réduit votre chagrin à des statistiques et qualifie votre Résistance de terrorisme. Leurs archives mentent. Les vôtres vivent dans les chansons fredonnées par votre grand-mère et les taches de sang toujours inscrites dans notre terre. Résistez jusqu'au retour. Jusqu'à ce que les clés transmises en exil ouvrent les portes condamnées. Jusqu'à ce que les figuiers fleurissent dans les cours volées. Jusqu'à ce que le nom des martyrs ne soit plus chuchoté, mais chanté. C'est plus qu'une lutte pour la terre, C'est une lutte pour la langue, pour la mémoire, pour le droit de pleurer là où vos ancêtres riaient. Longue vie à la lutte palestinienne. Pas parce que c'est simple, mais parce que c'est juste. Parce que c'est sacré comme l'est toute libération, à vif, imparfaite et brûlante. Longue vie à la révolte arabe. Pas comme une page de leur histoire, mais comme la flamme de la nôtre. La révolte n'a jamais pris fin. Elle a juste évolué, a gagné la clandestinité, s'est amplifiée dans le silence. Longue vie à cette flamme de 1936. Allumée à Tulkarem. Portée dans les cœurs. Couvant encore sous les ruines de Gaza, dans tous les chants, de Dheisheh à Deir Yassin, dans chaque refus de disparaître. Puisse la rage se déchaîner jusqu'à détruire tous les checkpoints. Jusqu'au retour de tous les exilés. Jusqu'à ce que les régimes colonisateurs soient réduits en poussière, et que la Palestine s'épanouisse sans chaînes. Une nation renaîtra de ses cendres. Une tempête naîtra du silence. Une carte nous reviendra de la mémoire.
Rappel : Solidarité à travers l'histoire
Cette lutte est non pas un déni de l'histoire juive, mais un refus de laisser cette histoire être détournée contre un autre peuple.
Le sionisme n'est pas né pour la survie des Juifs, mais de la logique coloniale européenne, déguisée en traumatisme juif. Bien avant l'Holocauste, les premiers dirigeants sionistes ont exploité la montée de la haine antijuive en Europe non pas pour la démanteler, mais pour plaider en faveur d'une patrie de colons en Palestine. Et après l'Holocauste, ce génocide impensable a été brandi tel un bouclier moral justifiant le nettoyage ethnique des Palestiniens. Un génocide a été perpétré pour en justifier un autre. Mais la survie ne saurait se construire sur la tombe d'autrui.
Du Bund d'Europe de l'Est aux rabbins de Neturei Karta, des survivants de l'Holocauste opposés à la Nakba aux organisateurs de Jewish Voice for Peace, les juifs antisionistes ont soutenu les Palestiniens non en dépit de leur identité, mais bien grâce à elle.
Nous rejetons la haine antijuive.
Nous rejetons également l'effacement de la Résistance palestinienne sous de mauvais prétextes.
Lutter contre le sionisme ne signifie pas nier la souffrance juive, mais refuser son instrumentalisation en tant qu'arme colonialiste. Et ce refus n'est pas synonyme d'isolement. Mais de solidarité.
Traduit par Spirit of Free Speech
Marginalia Subversiva