Olivier Mukuna
Avec une indifférence souveraine envers les USA, le président chinois Xi Jinping a reçu, à Pékin, son homologue russe. Une visite de Vladimir Poutine conçue pour répondre stratégiquement aux pressions américaines et présenter la relation russo-chinoise comme « propice à la paix » dans le monde... (I'A)
Les 16 et 17 mai derniers, le président Vladimir Poutine faisait une visite en Chine. Celle-ci fût, par les deux parties, volontairement et clairement placée sous le signe du symbolique. Il s'agit de la première visite officielle du président russe depuis son investiture le 7 mai dernier. Elle a été annoncée, par les deux parties, comme porteuse d'une alliance stratégique durable.
La veille de son déplacement, le président russe expliquait ainsi : « Notre rencontre portera sur le partenariat global entre nos deux pays et sur leur coopération stratégique afin de définir les domaines-clés de développement de la coopération russo-chinoise, tout en échangeant aussi leurs points de vue sur les questions internationales et régionales ».
La Chine, pour sa part, résumait l'objectif de la rencontre entre les deux chefs d'Etat comme suit : « un échange de points de vue sur les relations bilatérales, la coopération dans divers domaines et les questions internationales et régionales d'intérêt commun ».
Une visite hautement symbolique
Cette visite s'inscrit dans un contexte où les Etats-Unis multiplient les menaces de sanction contre Pékin accusé par Washington de soutenir la Russie dans la guerre en Ukraine. Sont visés, par ces menaces, la fourniture de matériels considérés comme réutilisable militairement et les banques chinoises qui permettent ces transactions.
La secrétaire d'Etat états-unienne au trésor, Yanet Yellen, déclarait ainsi le mois dernier à l'issue de son voyage en Chine : « les entreprises, notamment chinoises, ne doivent pas apporter de soutien matériel à la guerre de la Russie contre l'Ukraine, à l'industrie russe de défense. Des conséquences importantes toucheront celles qui continuerons de le faire. Toute banque qui facilite des transactions importantes qui permettent l'acheminement de biens militaires ou à doubles usages vers l'industrie de défense russe s'expose à des sanctions américaines ».
Le secrétaire d'Etat états-unien Antony Blinken a également précisé que : « La Chine ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. Eller ne peut arguer d'avoir une relation positive et amicale avec l'Europe et dans le même temps alimenter la plus grande menace à la sécurité européenne depuis la fin de la guerre froide ».
La visite russe en Chine est de fait une réponse à ces pressions et menaces. Nommant ostensiblement Vladimir Poutine comme étant son « meilleur ami » et son « vieil ami » , le président chinois Xi Jinping précise : « les échanges entre nos deux nations sont devenues plus fortes avec le temps, résistant aux épreuves que sont les tempêtes et les nuages sur la scène internationale et servant de modèle de respect mutuel, de franchise, d'harmonie et de bénéfice mutuel ».
Le message est clair. Il peut se résumer comme suit : les efforts états-uniens et occidentaux pour éloigner Pékin et Moscou sont vains. Les menaces et pressions états-uniennes reçoivent par les déclarations communes qui ont accompagnés cette visite une fin de non-recevoir.
Partenariat stratégique réaffirmé
La réponse aux pressions et menaces états-uniennes a pris, au cours de cette visite, la forme de la signature d'une déclaration conjointe portant sur « l'approfondissement du partenariat stratégique global de coordination Chine-Russie pour une nouvelle ère, à l'occasion du soixante quinzième anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre les deux pays ».
Cette déclaration critique sévèrement la politique étrangère états-unienne, qualifiée de « mentalité de la guerre froide ». Les Etats-Unis y sont nettement dénoncés comme des fauteurs de guerre : « les États-Unis pensent toujours en termes de guerre froide et sont guidés par la logique de la confrontation des blocs, plaçant la sécurité de «groupes étroits» au-dessus de la sécurité et de la stabilité régionales, ce qui crée une menace pour la sécurité de tous les pays de la région. Les États-Unis doivent abandonner ce comportement ».
Le resserrement des liens stratégiques entre Moscou et Pékin est situé dans le cadre de la contradiction mondiale entre hégémonisme occidental, en général, et états-unien, en particulier, et développement d'un nouveau monde multipolaire. C'est au regard de cette contradiction essentielle que la relation Chine-Russie est considérée comme allant dans le sens de la paix mondiale : « La relation entre nos deux pays est non seulement dans l'intérêt fondamental des deux pays et des deux peuples, mais elle est également propice à la paix. La Chine est prête à travailler avec la Russie pour [...] soutenir l'équité et la justice dans le monde ».
Logiquement, les alliances militaires sont condamnées ; la logique d'extension de l'OTAN, explicitement considérée comme porteuse de guerre : « Nous condamnons l'expansion des alliances militaires et la création de têtes de pont militaires à proximité des frontières d'autres puissances nucléaires, notamment avec le déploiement avancé d'armes nucléaires et de leurs vecteurs, ainsi que d'autres éléments ». Sur la guerre en Ukraine, la déclaration commune insiste sur la nécessité de rechercher « un règlement durable de la crise ukrainienne, ce qui suppose d'éliminer les causes profondes ».
Contexte menaçant
Les sanctions économiques états-uniennes contre de nombreux Etats sont également condamnés dans cette déclaration conjointe : « Condamne également les initiatives de confiscation d'actifs et de biens d'États étrangers et souligne le droit de ces États à appliquer des mesures de rétorsion conformément aux normes juridiques internationales ».
La formulation fait référence aux initiatives états-uniennes visant à utiliser les bénéfices des actifs russes gelés par Washington ou mêmes ces actifs eux-mêmes pour aider l'Ukraine dans ses efforts de guerre. Ce projet de brigandage d'Etat est pris au sérieux par Pékin comme en témoigne la réduction constante de ses avoirs en bon du trésor états-unien d'une part et la hausse de la part de l'or dans ses réserves d'autre part.
Pour la première fois également, une déclaration conjointe aborde la question du fascisme en condamnant la destruction des monuments à la gloire de l'armée rouge en Ukraine et dans d 'autres pays européens, d'une part, et en condamnant les tentatives de réhabilitation du fascisme, d'autre part.
Si la déclaration conjointe ne fait, dans son contenu, que rappeler des déclarations antérieures, elle s'inscrit dans un contexte particulier. Non seulement les menaces contre la Chine se font plus explicites à Washington, depuis plusieurs semaines, mais le conseiller d'Etat Blinken annonçait à la veille du sommet de Pékin, lors d'une visite à Kiev, le 14 mai, qu'il autorisait l'Ukraine à utiliser des missiles US à longue portée pour frapper directement à l'intérieur de la Russie : « Nous n'avons pas encouragé ou permis des frappes à l'extérieur de l'Ukraine, mais en fin de compte, c'est à l'Ukraine de prendre ses propres décisions sur la manière dont elle va mener cette guerre. »
Ce type de déclaration est particulièrement dangereuse, les autorités russes ayant prévenues qu'elles riposteraient militairement contre un pays de l'OTAN permettant l'utilisation de missiles à longue portée. Les risques d'une conflagration généralisées se multiplient dangereusement.
Plus que jamais les peuples du monde ont un intérêt vital à s'opposer aux préparatifs de guerres. Plus que jamais nous avons besoin d'un mouvement populaire mondial et massif pour la paix.
Saïd Bouamama
Pour aller plus loin :
Pierre Antoine Donnet, « Quand Xi Jinping accueille son « meilleur ami » Vladimir Poutine à Pékin, Asialyst du 18 mai 2024, consultable sur le site : asialyst.com
« Visite en Chine : Vladimir Poutine et XI Jinping face à l'Occident collectif », Courrier International, 16 mai 2024.
Source : Investig'Action